Un record de près de 23 800 travailleurs étrangers temporaires sont venus travailler au Québec en 2021. La Presse est allée à la rencontre de certains d’entre eux à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal. Constat : ils ont hâte de travailler. Mais à quel coût ?

« Si on n’avait pas ces travailleurs-là, il n’y aurait pas d’agriculture au Québec, lance Annie-Claude Bélisle, de la ferme productrice de petits fruits A. Bélisle et Fils. On a besoin d’eux. » Rencontrée par La Presse à l’aéroport de Montréal, elle s’apprête à accueillir 12 nouveaux travailleurs guatémaltèques pour les ramener à la ferme familiale, à Saint-Eustache.

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Annie-Claude Bélisle, de la ferme productrice de petits fruits A. Bélisle et Fils

Le nombre de travailleurs étrangers temporaires (TET) a bondi au Québec en 2021, passant d’environ 17 035 à 23 795, soit une hausse de plus de 6000 travailleurs, un sommet historique, selon les données d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. À noter qu’il s’agit du nombre de TET titulaires d’un permis de travail valide en date du 31 décembre annuellement.

Ce chiffre ne risque pas de diminuer en 2022 avec l’annonce conjointe des gouvernements fédéral et provincial, en janvier dernier, de l’augmentation des seuils d’immigration pour permettre à certains secteurs d’engager 20 % de travailleurs étrangers temporaires, plutôt que 10 %.

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Isabelle St-Pierre, coordonnatrice en prévention et conformité à la Fondation des entreprises en recrutement de main-d’œuvre agricole étrangère

« Cette année, il y a beaucoup plus de travailleurs et beaucoup plus d’employeurs », observe Isabelle St-Pierre, coordonnatrice en prévention et conformité à la Fondation des entreprises en recrutement de main-d’œuvre agricole étrangère (FERME), rencontrée sur place. « Chaque année, ça augmente », renchérit Michel Pilon, directeur du Réseau d’aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles du Québec (RATTMAQ).

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Michel Pilon, directeur du Réseau d’aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles du Québec (à gauche)

Or, le statut précaire des travailleurs étrangers temporaires est « un grand problème », indique au bout du fil Cheolki Yoon, postdoctorant à l’Université McGill et bénévole pour le Centre des travailleurs immigrants. Selon lui, le rapport de force entre les employeurs et ces travailleurs est fragilisé par la présence de permis de travail fermés. « ​​Ils sont vraiment dépendants de la volonté des employeurs et ils n’osent pas contester des situations abusives », constate-t-il. Une observation confirmée par des données préliminaires d’une étude menée au Québec par l’Acfas (voir onglet 2).

Débarquer de l’avion

Mercredi matin, un avion nolisé en provenance du Guatemala a atterri à Montréal. À bord, 182 travailleurs guatémaltèques, fatigués par un long trajet. « Je suis très excité », déclare malgré tout José López, 25 ans, en file d’attente dans la section des arrivées internationales. C’est sa première fois au Québec, il ne sait pas encore où il va s’installer. « Je me sens bien, j’ai hâte de travailler ! »

Un peu plus loin, Samuel Bautista retourne pour la quatrième année chez les Serres Mirabel (Savoura). « J’aime travailler ici », affirme-t-il.

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Samuel Bautista retourne pour la quatrième année chez les Serres Mirabel.

Un véritable comité accueille les voyageurs, en plusieurs étapes, comme une machine bien huilée. D’abord, le RATTMAQ distribue des fiches en espagnol expliquant leurs droits et responsabilités. Les travailleurs peuvent aussi laisser leur numéro de téléphone, où leur seront envoyées des vidéos YouTube explicatives. L’idée : qu’ils sachent vers où se tourner, en cas de pépin.

Deuxième étape : le consulat du Guatemala, sur place pour l’occasion. « Vous avez le droit de garder votre téléphone, votre passeport, votre argent… », énumère une travailleuse du consulat à chaque groupe de travailleurs. Elle les dirige ensuite vers un kiosque où sont distribuées bouteilles d’eau, clémentines et barres tendres.

Nelson Rafael Olivero, consul général du Guatemala à Montréal, accueille chaque travailleur.

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Nelson Rafael Olivero, consul général du Guatemala à Montréal

C’est vraiment important pour le Guatemala que le programme [des travailleurs étrangers temporaires] continue.

Nelson Rafael Olivero, consul général du Guatemala à Montréal

Les travailleurs sont ensuite dirigés dans un autre espace de l’aéroport où ils sont rencontrés par des employés de la Santé publique, puis subissent des tests de dépistage aléatoires de la COVID-19 avant de visionner une vidéo sur leurs droits, apprend La Presse. À leur retour, ils sont dirigés vers des autobus de FERME, ou de leurs employeurs, prêts à les amener sur leurs futurs lieux de travail, partout dans la province.

Dénoncer les situations abusives

« Il y a un manque de connaissance sur leurs droits, observe Cheolki Yoon. Mais même en sachant qu’il y a une violation, souvent les travailleurs acceptent la situation parce qu’ils veulent rester ici. »

En 2021, le RATTMAQ a défendu les droits de 579 travailleurs étrangers temporaires, une hausse importante par rapport à l’année précédente, précise Michel Pilon.

À l’aéroport, les employeurs rencontrés n’ont pas de mots tendres pour ceux qui négligent les conditions de travail de ces travailleurs. « De voir ça, c’est perturbant, confie Annie-Claude Bélisle. Moi, ça me brise le cœur parce que j’ai grandi avec ces travailleurs-là. »

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Anibal Garcia, interprète pour L’Équipoule, à Marieville (à gauche) et Alain Beaudry, conducteur à L’Équipoule

« C’est choquant », renchérit Anibal Garcia. L’homme de 30 ans est lui-même arrivé comme travailleur étranger temporaire en 2010. Il est désormais marié et établi au Québec, et travaille comme interprète pour L’Équipoule, à Marieville. « En plus, on vient aider le pays ! »

À ses côté, Alain Beaudry, conducteur à L’Équipoule, n’en démord pas : « Ça ne devrait pas exister, ces compagnies-là. »

En savoir plus
  • 140 %
    Hausse du nombre de postes de TET visés par les études d’impact sur le marché du travail positives au Québec, de 2014 à 2021
    Source : Emploi et développement social Canada
    24 705
    Nombre de postes de TET acceptés dans des secteurs de « ressources naturelles, agriculture et production connexe » au Québec en 2021 (tous les postes n’ont pas nécessairement été pourvus)
    Source : Emploi et développement social Canada