Devant composer avec sa propre déficience intellectuelle, Lelisabetta D’Elia s’attelle aussi au rôle de mère seule.

Quand Lelisabetta D’Elia apprend qu’elle est enceinte il y a huit ans, elle contient à peine sa joie. Elle aura enfin l’enfant qu’elle a tant désiré. Mais son entourage accueille la nouvelle avec plus de réserve. C’est que Mme D’Elia présente une déficience intellectuelle légère. Sera-t-elle en mesure de relever le défi de la maternité ?

Aujourd’hui, son fils a 7 ans. Et Mme D’Elia est tout à fait épanouie dans son rôle de mère. « Ce n’est pas toujours facile. Mais j’ai de l’aide […]. On me montre des techniques, et je les applique tout de suite », dit-elle.

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Lourdes Gina Janvier Mathieu (à gauche), éducatrice spécialisée, et Lelisabetta D’Elia

Son aide, Mme D’Elia la reçoit du Centre de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants du développement (CRDITED) de Montréal. Plus précisément de son éducatrice spécialisée, Lourdes Gina Janvier Mathieu, et de son équipe du volet parentalité du programme de réadaptation en déficience intellectuelle. Ses « anges gardiens », comme elle aime les appeler. « Depuis qu’ils sont là, tout a changé dans notre vie », dit la mère.

Le défi de Mme D’Elia est double. Elle doit accomplir son rôle de mère seule en composant avec sa propre déficience intellectuelle. Et son fils présente lui aussi ce trouble, en plus d’avoir un trouble du spectre de l’autisme.

Quand Lourdes Gina Janvier Mathieu est entrée dans la vie de Mme D’Elia, il y a trois ans, l’intervenante l’a d’abord familiarisée avec le concept de pictogrammes. Aujourd’hui, ceux-ci sont la clé de son quotidien. Dans chacune des pièces de sa maison, une feuille avec des pictogrammes illustre les tâches à y accomplir. Dans la cuisine, les dessins lui rappellent par exemple de laver la vaisselle, de nettoyer la table… La vie de son fils est aussi encadrée par l’utilisation d’un horaire déterminé avec des pictogrammes. Le système fonctionne si bien que Mme D’Elia transporte un porte-clés avec des pictogrammes dans son sac à main pour aider son enfant quand ils sont à l’épicerie ou en déplacement. « Ça fonctionne très bien », dit-elle.

Un suivi plus ou moins intensif

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Des pictogrammes sont affichés partout dans la maison de Mme D’Elia pour l’aider dans la gestion de son quotidien.

Les éducatrices du CRDITED sont présentes de façon plus ou moins intensive dans le quotidien de Mme D’Elia en fonction des besoins de son enfant. D’une fois par semaine à une fois par mois. Mais elles sont toujours joignables par téléphone. Les premières interventions ont aidé la mère à gérer les crises de son fils. « Il avait tendance à crier pour obtenir mon attention. À frapper ses jouets sur la table quand il était fâché », dit Mme D’Elia. Depuis un mois, son enfant est propre. Mme Janvier Mathieu estime que la mère a beaucoup de mérite dans ces succès.

[Lelisabetta] applique tous nos conseils. Le mérite lui revient totalement. Tous ses efforts portent leurs fruits.

Lourdes Gina Janvier Mathieu, éducatrice spécialisée

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L’éducatrice spécialisée Lourdes Gina Janvier Mathieu

« La prochaine étape, c’est l’habillage ! », lance avec confiance Mme D’Elia.

La maman travaille dans un organisme communautaire et est très impliquée dans plusieurs groupes. Elle est aussi inscrite avec son fils à des cours de karaté. Son quotidien est éreintant. « Le soir, à 8 h, on est couchés ! », dit-elle.

Très autonome, Mme D’Elia ne craint tout de même pas de demander de l’aide au besoin. Dernièrement, elle éprouvait de plus en plus de stress à gérer son horaire de fin de journée. Elle craignait constamment de ne pas revenir à temps pour accueillir son fils après l’école. Au point de se priver de certaines activités. Lourdes Gina Janvier Mathieu lui a fourni des trucs. La maman a tissé des liens avec le chauffeur d’autobus, dont elle a maintenant le numéro de téléphone en cas d’imprévu. Elle est rassurée et peut travailler en paix.

Mme D’Elia est née prématurément en Italie et a déménagé au Québec à l’âge de 9 ans. Elle y a fréquenté des écoles spécialisées, comme son fils aujourd’hui. Mais ce n’est qu’il y a deux ans qu’on lui a diagnostiqué officiellement une déficience intellectuelle légère. « Ça arrive souvent, un diagnostic tardif. Avant d’obtenir le diagnostic, ces parents peuvent parfois être considérés comme n’étant pas sociables. Ou on peut penser qu’ils ne collaborent pas », note Mme Janvier Mathieu.

Une trentaine de parents

Une trentaine de parents sont suivis dans le volet parentalité du programme en réadaptation en déficience intellectuelle du CRDITED. « Un enfant, ça évolue vite. On aide les parents à s’adapter vite. À anticiper les prochaines étapes », explique Nathalie Monfet, psychoéducatrice spécialiste en activités cliniques au CRDITED de Montréal lié au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

Les éducatrices du CRDITED travaillent en collaboration avec tous les acteurs impliqués dans la vie de ces familles. Que ce soit la DPJ, l’école, les organismes communautaires…

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Mme D’Elia traîne des pictogrammes dans sa sacoche.

Même si les enfants sont placés en famille d’accueil, on aide les parents à remplir leur rôle à travers tout ça.

Nathalie Monfet, psychoéducatrice spécialiste en activités cliniques

Alice (nom fictif) est la maman d’enfants placés en famille d’accueil. Elle présente une déficience intellectuelle légère. Épaulée par le CRDITED, elle a fait d’« énormes progrès » dans les dernières années, selon Mme Monfet. Elle s’est sevrée d’une dépendance aux drogues. Elle a appris à gérer sa colère. « Les intervenantes du CRDI, c’est des amours pour moi, dit Alice. Elles me donnent le plus d’outils possible. »

Même si elle n’en a pas la garde, Alice voit ses enfants de façon régulière. Elle se fait une fierté de faire de ces rencontres un succès. Elle gère aussi les visites médicales de ses enfants. « Je veux continuer de soutenir mes enfants. Avec le soutien du CRDI, je ne suis pas inquiète. Je vais y arriver », dit-elle.

Les intervenantes sont aussi présentes pour aider les parents présentant une déficience intellectuelle à composer avec une réalité : quand leur enfant neurotypique réalise qu’il ne peut plus être aidé par ses parents dans certaines tâches du quotidien, comme dans ses devoirs. « Ça devient un nouveau défi pour les familles », explique Julie Théroux, gestionnaire au programme de réadaptation en déficience intellectuelle, volet parentalité, du CRDITED.

Souvent, les intervenantes commencent en expliquant dans le détail le diagnostic du parent à l’enfant. « À partir du moment où l’enfant comprend, il est moins dans le jugement et dans la réaction », note Mme Monfet. « On valorise aussi beaucoup le parent autrement. Comme par la résilience », ajoute Mme Théroux. Mme D’Elia appréhende-t-elle les prochaines années ? « J’ai un peu peur de la préadolescence. Mais on va me donner d’autres techniques… Je vais m’arranger », dit-elle.