Une dizaine de fondations des centres jeunesse régionaux du Québec estiment que le changement de nom de leur homologue de la métropole – qui n’inclut plus le terme « Montréal » depuis novembre – induit les donateurs en erreur et nuit à une répartition équitable des ressources dans la province.

« Le donateur est de ce fait induit en erreur, ce qui représente un enjeu éthique important et risque de nuire à la crédibilité et la notoriété de toutes les fondations », déplorent 10 directeurs régionaux dans un avis interne obtenu par La Presse, envoyé à la fin d’avril à la Fondation des jeunes de la DPJ (FDJDPJ).

La « Fondation du Centre jeunesse de Montréal » a procédé en novembre à un changement de nom et d’identité, afin d’« exprimer plus concrètement la mission et le fort impact » de ses actions « sur la vie des jeunes ». Le tout s’était accompagné d’une importante campagne de communication.

S’ils reconnaissent que l’objectif d’avoir une portée plus large au Québec est « fort louable », les directeurs régionaux déplorent toutefois que « la prétention d’être une fondation nationale ne représente pas la réalité ».

Aucun jeune du Québec ne sortira gagnant d’un conflit ou d’une compétition malsaine entre nos différentes fondations.

Des directeurs de fondations des centres jeunesse régionaux, dans un avis interne

Par ailleurs, « le choix de la FDJDPJ de se placer en tant qu’organisme subventionnaire et [de] demander aux 12 autres fondations de faire des demandes de subvention auprès d’elle est un irritant supplémentaire qui, encore une fois, crée un mirage pour le donateur », insistent les directeurs régionaux. Ceux-ci sont issus de la Montérégie, de l’Estrie, de Laval, des Laurentides, du Bas-Saint-Laurent, de la Mauricie, du Saguenay–Lac-Saint-Jean, de Québec, de l’Abitibi et de Chaudière-Appalaches.

Au nom du public

Le président de la Fondation du centre jeunesse de la Montérégie, Martin Bélanger, affirme qu’il veut « éclaircir la situation » rapidement. « Si quelqu’un de Rimouski veut donner à Montréal, c’est bien correct et on l’encourage, mais s’il veut donner à sa région, il doit aussi savoir où son argent s’en va », plaide-t-il.

« Ça crée de la confusion. Déjà, de notre côté, on a dû gérer plusieurs demandes de donateurs qui sont mélangés », ajoute M. Bélanger, qui craint de perdre des ressources.

Pour moi, les jeunes de la Montérégie ou de l’Estrie, et de partout au Québec, devraient avoir les mêmes droits et les mêmes chances que ceux de Montréal. C’est ce qu’on veut, tout simplement.

Martin Bélanger, président de la Fondation du centre jeunesse de la Montérégie

Martin Bélanger et ses collègues arguent que les « impacts négatifs » de la situation ont pourtant « été clairement transmis » à la FDJDPJ. Ils ont créé en janvier un « regroupement volontaire » des fondations régionales, dans le but d’augmenter la pression. « On invite vraiment la section de Montréal à nous y joindre, mais à condition que tout le monde soit sur un pied d’égalité », dit le principal intéressé.

Faire rayonner tout le monde ?

À la FDJDPJ, la directrice générale, Fabienne Audette, se défend de vouloir accaparer davantage de fonds ou de pouvoirs. Elle affirme que le changement de nom avait justement pour objectif d’offrir plus de clarté au public.

On a fait le constat que parce qu’on est à Montréal, avec un C.A. solide, beaucoup de visibilité médiatique, on pouvait aider non seulement les jeunes de la métropole, mais aussi ceux des autres régions. Mais pour y arriver, ça nous prenait un nom plus clair, qui va droit au but.

Fabienne Audette, directrice générale de la Fondation des jeunes de la DPJ

« Ça prenait au fond plus de clarté pour sensibiliser plus de gens, aller chercher plus de fonds, et aider plus de jeunes. Ç’a toujours été ça, le but », soutient Mme Audette, disant toutefois « entendre » les revendications des centres jeunesse régionaux.

Son groupe dit avoir cerné « plusieurs pistes de solution ». Une correspondance a d’ailleurs été renvoyée jeudi aux directeurs régionaux. « On est prêts, par exemple, à attribuer des sièges supplémentaires aux régions à notre comité d’allocation qui étudie les demandes de subvention partout au Québec. […] On n’a jamais eu l’intention de faire ça seuls, de notre bord. On veut faire rayonner tous les centres jeunesse au Québec », insiste encore Mme Audette. Elle se dit aussi disposée à « simplifier » la présentation de projets venant des régions et à préparer divers messages ciblés sur le web et sur les réseaux sociaux pour « faire rayonner » les centres jeunesse régionaux.

Selon Jade Bourdages, professeure à l’École de travail social de l’UQAM, les revendications des directions régionales doivent être prises très au sérieux. « Ce qu’a dit la commission Laurent, c’est justement de ramener l’organisation de la protection de la jeunesse à une échelle humaine, à des pratiques régionales non centralisées, pour prendre en compte les réalités complètement différentes sur le territoire », rappelle-t-elle.

« Un mot dans un titre, ça peut avoir beaucoup d’implication dans la pratique. Il faut entendre ces préoccupations, d’autant que les régions sont souvent les enfants pauvres des subventions, et notamment à la DPJ. À un moment donné, il faut que ça arrête », affirme la professeure.

En savoir plus
  • Fondations « autonomes »
    Au cabinet du ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, on se dit au fait du dossier. On indique toutefois que le ministre ne commentera pas l’affaire. « Les fondations sont autonomes et nous ne nous immiscerons pas », répond l’attaché de presse, Lambert Drainville.