À Pâques, une famille de Repentigny a fui son VUS hybride tout neuf, qui a flambé sans raison apparente. Onze jours plus tard, une petite familiale hybride brûlait sur l’autoroute Ville-Marie. La popularité croissante des voitures hybrides et électriques force les pompiers à affronter des incendies d’une violence et d’une ténacité aussi inusitées que spectaculaires.

« Tout a été réduit en cendres »

PHOTO FOURNIE PAR ROGER LAMONTAGNE

Le Jeep Wrangler hybride de Roger Lamontagne a pris feu spontanément à la sortie du pont George-Washington de New York, le soir de Pâques dernier.

Le soir de Pâques, une fillette en larmes a regardé le Jeep Wrangler de son beau-père flamber avec son doudou lapin chéri à bord. En un éclair, les pneus de leur véhicule hybride ont explosé et les flammes ont avalé la carrosserie. Le Jeep avait été acheté neuf, sept mois auparavant.

Une minute plus tôt, Roger Lamontagne, Audrey Suquet et leurs enfants de 5 et 13 ans roulaient, insouciants. À la sortie du pont emprunté pour quitter New York, l’apparition d’un voyant sur le tableau de bord a tout fait basculer. « La pédale ne répondait plus et le capot s’est mis à fumer, raconte le résidant de Repentigny. Je me suis arrêté et on est sortis en catastrophe. »

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, LA PRESSE

Roger Lamontagne

« Nos achats, nos bagages, le sac et l’iPad d’école de mon fils… Tout a été réduit en cendres en cinq minutes… »

Audrey Suquet frémit en imaginant leur auto s’embraser au milieu du pont envahi de voitures. Sans issue.

Aucun autre incendie de Jeep Wrangler 4xe – un modèle hybride rechargeable – n’avait jusque-là été rapporté à Transports Canada, qui a demandé à M. Lamontagne de contacter son service d’enquête et de lui envoyer ses photos. Ce qu’il a fait.

PHOTO FOURNIE PAR ROGER LAMONTAGNE

Le Jeep Wrangler hybride de Roger Lamontagne en proie aux flammes

« Puisque la technologie hybride est assez nouvelle, on a intérêt à impliquer les enquêteurs le plus vite possible », applaudit le président de l’Association pour la protection des automobilistes (APA), George Iny.

Un véhicule neuf n’est pas censé prendre feu spontanément. Il y a une présomption légale de défaut de fabrication.

George Iny, président de l’Association pour la protection des automobilistes

Le constructeur du Jeep Wrangler, Stellantis, déclare que ce modèle « respecte ou dépasse toutes les réglementations de sécurité applicables ». « Nous ne sommes au courant d’aucun évènement comme celui-ci et mettons fortement en garde contre toute spéculation sur la cause », nous a-t-il aussi écrit.

Au cours des 15 dernières années de production du Jeep Wrangler à essence, des modèles de 11 années différentes ont fait l’objet de rappels pour divers défauts accroissant le risque d’incendie, révèle le site de Transports Canada.

« Tous les constructeurs ont éventuellement des rappels pour ce risque, c’est courant », précise M. Iny.

Incendies ultraviolents

Le 28 avril dernier, pour une raison encore inconnue, c’était au tour d’une Prius hybride d’être dévorée par les flammes en pleine autoroute Ville-Marie, à proximité du Centre universitaire de santé McGill. Personne n’a été blessé, mais trois unités de pompiers ont dû intervenir tellement l’incendie était intense.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, LA PRESSE

Prius hybride en flammes, en pleine autoroute Ville-Marie, le 28 avril dernier

Malgré son extinction complète, le feu s’est rallumé près de 45 minutes plus tard et a forcé les pompiers à reprendre leurs boyaux et un extincteur à poudre.

Partout dans le monde, l’arrivée des véhicules hybrides et électriques complique ainsi la tâche des services d’incendie. Les batteries lithium-ion, très denses en énergie, flambent de manière violente et persistante, constatent-ils. Surtout celles des véhicules 100 % électriques, plus grandes et plus puissantes, mais qui semblent par contre s’embraser beaucoup moins souvent.

« Des remorqueurs nous ont déjà rapporté que le feu s’était réactivé pendant qu’ils se dirigeaient vers la fourrière avec des véhicules hybrides ou électriques qu’on avait entièrement éteints. Ça peut même reprendre des heures plus tard et risquerait de se propager à d’autres véhicules ou à des bâtiments, si on ne les isolait pas », constate Dany Lalancette, expert et chef des enquêtes sur les causes et circonstances d’incendies au Service de sécurité incendie de Montréal.

76 000

Nombre de voitures entièrement électriques au Québec

57 000

Nombre de voitures hybrides rechargeables au Québec

Source : Association des véhicules électriques du Québec (au 28 mars 2022)

En juillet 2019, un Hyundai Kona entièrement électrique a explosé dans un garage résidentiel de L’Île-Bizard, dans l’ouest de Montréal. La porte et le toit ont été soufflés.

Dans le reste du monde, d’autres véhicules hybrides ou électriques ont endommagé des stations de recharge, des stationnements souterrains, des abribus et des résidences entières.

C’est un problème grandissant qui va augmenter avec leur nombre. Et avec notre climat, le froid et le sel vont user les boîtiers qui protègent les batteries. On s’attend à voir plus d’incendies dus à ça.

Dany Lalancette, expert et chef des enquêtes sur les causes et circonstances d’incendies au Service de sécurité incendie de Montréal

Pour répondre à la demande, les constructeurs développent des batteries plus puissantes et des chargeurs plus rapides, qui créent plus de chaleur. Par contre, d’autres progrès technologiques permettront de mettre au point des batteries de plus en plus sûres, nuance M. Lalancette, pompier depuis 32 ans.

Les conducteurs doivent pour leur part suivre les consignes d’utilisation à la lettre.

Risque « extrêmement faible »

« Inutile d’avoir peur de rouler en voiture électrique. Le risque est extrêmement faible comparativement à un véhicule à essence », affirme Simon-Pierre Rioux, porte-parole de l’Association des véhicules électriques du Québec.

Si l’on se fie aux calculs d’Auto Insurance EZ, un site comparatif d’assurances auto qui a consulté les statistiques de trois organismes gouvernementaux américains, les véhicules hybrides (avec un taux d’incendie de 3,5 %) risquaient environ 2 fois plus de prendre feu que les véhicules à essence (qui présentent un taux d’incendie de 1,5 %), et 140 fois plus que les véhicules entièrement électriques (qui présentent un taux d’incendie de 0,025 %).

Il est toutefois trop tôt pour statuer sur la fréquence réelle de ces incendies, estiment des ingénieurs cités dans les médias étrangers. Les données sont encore embryonnaires, la taille des différents échantillons est trop différente, et les évènements sont rapportés de façon trop aléatoire.

3,5 %

Taux d’incendie des véhicules hybrides

1,5 %

Taux d’incendie des véhicules à essence

0,025 %

Taux d’incendie des véhicules électriques

Source : Auto Insurance EZ

L’Association des véhicules électriques juge quant à elle que les statistiques actuelles sont fiables et plausibles. « Les véhicules hybrides sont plus complexes et une source de chaleur intense, le moteur à essence, se trouve à côté du système électrique », expose M. Rioux.

« Mais c’est troublant qu’un incendie soit arrivé pendant que des gens roulaient. La grande majorité du temps, ça arrive lorsque le véhicule est à l’arrêt, stationné ou en recharge. »

Il existe toutefois des exceptions. L’an dernier, une BMW i3 Rex hybride a pris feu en roulant vers une ville portuaire de la Nouvelle-Zélande. Le tableau de bord venait d’afficher cet avertissement : « Impossible de continuer le voyage, contactez le concessionnaire immédiatement »…

Une Renault Zoé électrique a par ailleurs flambé dans un tunnel en Allemagne. Et un Français a été brûlé au troisième degré sur la moitié du corps, dans le même modèle de voiture.

Le 29 avril dernier, 149 bus électriques parisiens ont été retirés de la circulation. Pour la deuxième fois le même mois, l’un d’eux s’est retrouvé calciné en quelques secondes. Les flammes et la colonne de fumée étaient gigantesques, mais aucun passager n’a été blessé.

Trop lents à rappeler

Les enquêteurs de Transports Canada concluent chaque année qu’une centaine de véhicules électriques, hybrides ou à essence brûlent en raison d’un défaut de sécurité. Leurs enquêtes approfondies ont influencé 55 rappels depuis 2010, ajoute le Ministère par courriel.

Certains défauts sont attribuables aux fournisseurs de batterie plutôt qu’aux constructeurs.

Plusieurs rappels conseillent aux propriétaires de garer leur véhicule dehors, à l’écart de toute autre voiture ou structure. Les conducteurs doivent patienter des mois quand la cause du problème demeure inconnue ou que des pièces manquent.

Mais la plupart des incendies de voiture ne sont jamais rapportés aux autorités, s’inquiète l’Association pour la protection des automobilistes.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

George Iny, président de l’Association pour la protection des automobilistes

Les assureurs préfèrent souvent envoyer le véhicule directement à la ferraille plutôt que d’être pris à le garder pendant une enquête qui peut durer des semaines ou des mois.

George Iny, président de l’Association pour la protection des automobilistes

Certains règlent ensuite l’affaire à l’amiable avec le constructeur, loin des projecteurs, dit-il. « Les engagements de confidentialité devraient être interdits pour des défauts impliquant la sécurité ou la santé publique. »

Transports Canada nous a écrit examiner diverses « façons d’améliorer et d’atteindre des taux de rappel plus élevés », entre autres, au moyen d’« un nouveau règlement qui obligerait les fabricants à fournir des renseignements communs concernant les rappels sur leurs sites web ».

Des constructeurs qui se traînent les pieds ?

Certains constructeurs tardent trop à lancer leurs rappels, estime l’Association pour la protection des automobilistes. En 2020, Hyundai et Kia ont écopé d’amendes records aux États-Unis pour avoir nié que leurs moteurs à essence prenaient feu en raison de défauts. Et ainsi étalé sur des années le rappel de 1 million de véhicules des deux côtés de la frontière. Une action collective a par ailleurs été lancée le mois dernier en Colombie-Britannique, contre General Motors, qui a fini par se résigner à rappeler toutes ses Chevrolet Bolt électriques. La poursuite, citée dans des médias spécialisés, allègue que GM a vendu ces voitures « en sachant qu’elles contiennent des batteries défectueuses et potentiellement dangereuses, sans avertir les clients ou les concessionnaires ». Aucun juge n’a encore déterminé si c’était bel et bien le cas.

Quelques rappels récents pour risque d’incendie de véhicules hybrides ou électriques au Canada

• BMW hybrides (11 modèles)

• Chevrolet Bolt électriques

• Chrysler Pacifica hybrides

• Hyundai Sonata hybrides

• Hyundai Kona et Ioniq électriques

• En Europe ou aux États-Unis, des Ford Kuga et plusieurs modèles hybrides ou électriques de Volkswagen, de Tesla et d’Audi ont aussi été rappelés.

Des précautions à prendre

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Borne de recharge de véhicules électriques

Les feux de voitures – mais aussi de scooters, de vélos et de trottinettes électriques – donnent de plus en plus de fil à retordre aux pompiers. « Comme pour le gaz naturel, il ne faut pas devenir fou avec ça, mais être conscient du danger », affirme Dany Lalancette, chef de la recherche des causes et circonstances des incendies à la Ville de Montréal.

Qu’est-ce qui provoque ces incendies ?

Quand une batterie lithium-ion subit un court-circuit, est percée ou surchauffe, un emballement thermique peut se produire, lui faisant atteindre son point d’autocombustion.

« Si un véhicule n’est pas si vieux et n’était même pas branché, il y a souvent un défaut de fabrication », observe Dany Lalancette.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Dany Lalancette, expert et chef des enquêtes sur les causes et circonstances d’incendies au Service de sécurité incendie de Montréal

Mais parfois, c’est plutôt le conducteur qui n’a pas respecté les instructions du constructeur. « Quand on n’utilise pas le bon chargeur ou qu’on surcharge la batterie, ça l’affaiblit et elle peut s’enflammer dans deux semaines ou six mois », prévient le pompier.

Autre possibilité : qu’un accident de la route abîme le boîtier de la batterie. « Quand le véhicule n’est pas ou est mal inspecté, ou quand le dommage n’est pas évident, un incendie peut survenir après quelques recharges. »

Qu’ont de particulier les véhicules électriques et hybrides ?

« La technologie des véhicules électriques et hybrides est émergente, et plusieurs fabricants sont aussi émergents. Ça amène de la complexité, car il n’y a pas de standardisation », observe Daniel Deslauriers, chef de la division des opérations et de la formation au Service de sécurité incendie de l’agglomération de Longueuil.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Daniel Deslauriers, chef de la division des opérations
et de la formation au Service de sécurité incendie
de l’agglomération de Longueuil

Autre défi : « Ces véhicules peuvent brûler pendant deux heures, parce que l’eau ne se rend pas dans la batterie », ajoute-t-il.

Ils dégagent une énergie si spectaculaire que l’asphalte a fondu et que les fenêtres d’édifices voisins ont volé en éclats, à l’étranger.

PHOTO TIRÉE DU SITE AUTOEVOLUTION

En 2019, des pompiers néerlandais ont immergé une BMW décapotable dans un conteneur d’eau pour empêcher les flammes de renaître dans sa batterie.

Les pompiers doivent vider de deux à trois camions citernes pour abaisser suffisamment la température des voitures, précise M. Deslauriers. Et le feu se rallume quand même à l’occasion. « Les Européens plongent parfois ces véhicules dans un gros conteneur d’eau », dit-il.

Même une trottinette électrique branchée dans un salon peut brûler en 30 secondes.

Dany Lalancette, expert et chef des enquêtes sur les causes et circonstances d’incendies au Service de sécurité incendie de Montréal

Dany Lalancette échange régulièrement avec ses pairs dans le monde, pour discuter des meilleures techniques d’extinction, actuellement en évolution.

Comment éviter le pire ?

Il faut avant tout respecter les consignes. En faisant notamment installer sa borne de recharge par un électricien et en évitant d’utiliser une extension électrique ou un pistolet endommagé.

Les pompiers conseillent par ailleurs d’installer un détecteur de fumée dans les garages qui abritent un véhicule électrique, même s’il s’agit d’un vélo ou d’une trottinette. « C’est la fumée qui tue », rappelle M. Lalancette.

Les batteries en feu dégagent une fumée particulièrement abondante et toxique.

Transports Canada presse pour sa part les conducteurs de vérifier régulièrement si leur véhicule fait l’objet d’un rappel. Si c’est le cas, ils doivent faire apporter « les mesures correctives dès qu’ils en sont avisés », nous a indiqué le Ministère par courriel.

D’après ses calculs, environ trois véhicules sur dix ne subissent pas les travaux requis dans les deux années suivant un rappel. Parfois, leurs propriétaires oublient d’informer le constructeur de leur changement d’adresse ou d’enregistrer un véhicule d’occasion.

Ils ignorent donc les nouvelles consignes, qui recommandent parfois de stationner dehors et de ne plus recharger la batterie à 100 %, par précaution. « Quand le système d’arrêt automatique ne fonctionne pas bien, la batterie peut continuer d’accumuler des électrons, gonfler, gonfler et exploser », explique Simon-Pierre Rioux, porte-parole de l’Association des véhicules électriques du Québec.

Même en l’absence de rappels, bien entretenir sa voiture ou son camion est primordial. Environ 10 000 véhicules en tous genres flambent chaque année au pays, estime Transports Canada. Dans l’immense majorité des cas, ces incendies résultent d’un mauvais entretien, de réparations inadéquates ou de collisions, plutôt que d’un défaut.

Que faire quand un incendie survient ?

En cas de dégagement de fumée ou d’odeur bizarre, on doit appeler le 911 sans tenter d’éteindre soi-même le feu, puisqu’un petit extincteur ne permet pas d’y parvenir. « Plus vite on est avisés, moins grandes sont les pertes », souligne Dany Lalancette.

« Il faut vraiment évacuer rapidement, ajoute-t-il, et si possible ouvrir la porte du garage pour éviter les conditions d’explosion. »

Daniel Deslauriers conseille pour sa part de fermer le disjoncteur de la borne de recharge dans le panneau électrique.

Sentir une chaleur anormale dans son véhicule peut trahir un défaut et nécessite donc une inspection, ajoute M. Lalancette.

Sur la route, une soudaine perte de puissance a souvent été annonciatrice d’incendie, dit-il, de même que la fumée.

Il faut alors s’arrêter dès qu’on le peut sans risquer sa vie, fermer l’ignition, s’échapper sans tenter de récupérer ses effets personnels et s’éloigner. Puis appeler le 911.

Pour le bien commun, Transports Canada invite aussi les conducteurs concernés à remplir en ligne un formulaire de plainte de défauts ou à contacter ses enquêteurs au : 1 800 333 0510.

Consultez le formulaire de plainte de défaut de Transports Canada

Comment savoir si votre véhicule fait l’objet d’un rappel ?

Deux options :

1. Entrez ici le numéro d’identification du véhicule, qui apparaît sur votre certificat d'immatriculation.

Consultez le site de Mopar (en anglais)

2. Entrez ici sa marque, son modèle et son année de fabrication.

Consultez la Banque de données des rappels de sécurité automobile
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  • 5 %
    Part de marché des nouveaux véhicules électriques au Canada à la fin de 2021, contre 90 % en Norvège, 36 % en Allemagne, 28 % au Royaume-Uni, 24 % en France et 20 % en Chine
    Source : Mobilité électrique Canada