Au Québec, 149 mineurs de moins de 16 ans ont été victimes d’accidents du travail en 2020, selon la commission chargée de faire respecter les lois du travail. Les plus jeunes étaient âgés d’à peine 13 ans, a appris La Presse.

C’est ce qui ressort d’une demande d’accès à l’information auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), qui précise que le nombre d’enfants de 13 ans à avoir été blessés est inférieur à cinq. La commission refuse cependant de révéler l’âge du plus jeune Québécois à avoir perdu la vie sur son lieu de travail en 2020. Invoquant la protection des renseignements personnels, elle se borne à dire qu’il avait « moins de 20 ans ».

« Ça soulève toutes sortes de questions : est-ce qu’ils ont été victimes d’exploitation de la part de leurs parents ou de leur employeur ? Est-ce que leur lieu de travail était sécuritaire ? Je trouve ça choquant, même si c’est légal », estime Suzanne Arpin, vice-présidente de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

Le Québec est la seule province canadienne à ne pas avoir fixé d’âge minimum pour le travail des enfants. Les moins de 14 ans doivent toutefois obtenir l’autorisation d’un parent.

La Loi sur les normes du travail précise qu’un employeur ne peut demander à des enfants de faire un travail susceptible de nuire à leur santé, mais cela ne les empêche pas de se faire mal. La première cause de lésions chez les moins de 16 ans ? La chute d’équipement, d’outils ou de machinerie.

Chez les adolescents, le nombre réel de victimes pourrait être nettement supérieur à 149. Une étude a déjà montré que le tiers de tous les accidents du travail assez graves pour entraîner une absence n’était jamais déclaré à la CNESST, rappelle Élise Ledoux, directrice du Centre de recherche interdisciplinaire sur le bien-être, la santé, la société et l’environnement de l’UQAM, et spécialiste de la question.

Beaucoup de jeunes n’ont jamais entendu parler de la CNESST. C’est le cas de Gabriel*, 15 ans, qui a commencé à travailler à 13 ans dans un supermarché de Mont-Laurier. En tant que commis à la boulangerie, il s’est déjà brûlé en sortant des plaques de cuisson du four. La première fois, il a montré sa blessure à des camarades de travail. « Ils m’ont dit que c’était normal, qu’à eux aussi c’était déjà arrivé », se souvient-il.

Il est difficile de savoir avec précision combien d’enfants de moins de 16 ans travaillent pendant l’année scolaire. En 2016-2017, avant même la pénurie de main-d’œuvre, une enquête sur la santé des jeunes du secondaire a déjà montré que plus de la moitié occupaient un emploi. En 2014, une étude avait constaté que c’était le cas de 48 % des 12-14 ans dans trois régions (Québec, Saguenay–Lac-Saint-Jean, Laurentides). Parmi ces derniers, un sur cinq faisait même plus de 20 heures par semaine.

Des emplois avec responsabilités

Les adolescents ne se contentent pas d’emplois dans les terrains de jeux. Leurs responsabilités sont parfois importantes. À 15 ans, Gabriel était responsable de toute la production du rayon boulangerie d’un supermarché. Il avait une « semaine » de 49 heures : 25 heures à l’école secondaire et 24 heures au supermarché.

Pas étonnant que les chaînes de restauration rapide, durement touchées par la pénurie de main-d’œuvre, se les arrachent. Dans le McDonald’s de l’aire de service de la Porte-du-Nord, sur l’autoroute 15 à la hauteur de Saint-Jérôme, un panneau interpelle les clients qui auraient des enfants : travailler dans la restauration rapide « aidera votre enfant à être embauché dans sa future carrière », peut-on lire. Certains établissements de la chaîne recrutent à partir de 13 ans. « Les franchisés de McDonald’s agissent conformément aux normes du travail et aux exigences relatives à l’âge minimum des travailleurs selon les lois établies par les gouvernements provinciaux, y compris celui du Québec », a expliqué McDonald’s Canada en réponse à nos questions.

Lorsqu’il est question de santé et de sécurité des mineurs au travail, les crimes sexuels sont rarement évoqués, car les corps policiers ne catégorisent pas les plaintes pour harcèlement et agressions sexuels par lieux d’infraction. En Estrie, le Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) a accompagné, depuis 2020, trois adolescentes, trois serveuses, qui avaient été agressées dans leurs restaurants respectifs.

« Personnellement, je n’enverrais pas mes enfants travailler avant 16 ans, l’âge du consentement sexuel, dit Kelly Laramée, une intervenante du CALACS à Sherbrooke. À partir de cet âge-là, au moins, les jeunes peuvent quitter leur emploi plus facilement s’ils font face à une situation inacceptable. »

* Le prénom de l’enfant a été changé pour protéger son identité.

Rectificatif
Une version initiale de ce texte indiquait que les plus jeunes travailleurs à avoir rapporté un accident de travail étaient âgés de 11 ans. Après la publication, la CNESST, qui nous avait fourni ces données, nous a informé qu’une « erreur matérielle s’est glissée dans (sa) réponse » à nos questions. Les plus jeunes blessés du travail connus ont plutôt 13 ans.

En savoir plus
  • 16 ans
    Âge minimal pour travailler en Colombie-Britannique, depuis 2021. Des exceptions sont prévues pour des travaux légers à partir de 14 ans ou les entreprises familiales à partir de 12 ans.
    source : GOUVERNEMENT DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE