L’enquête du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) sur les fuites à l’Unité permanente anticorruption (UPAC), qui dure depuis trois ans et demi, a coûté jusqu’à maintenant plus de 9 millions de dollars, selon des informations et des chiffres obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.

Le compteur continue de tourner alors que des milliers de documents saisis doivent encore être obtenus et analysés par les enquêteurs du BEI, et que les responsables disent espérer que le dossier sera soumis aux procureurs avant la fin de l’année.

Amorcée en octobre 2018, l’enquête du BEI baptisée Serment porte sur les fuites médiatiques survenues à l’UPAC depuis 2012 et sur la façon dont l’UPAC a mené son enquête sur les fuites de documents sensibles du projet Mâchurer – sur le financement du Parti libéral du Québec –, qui s’est soldé par l’arrestation du député Guy Ouellette en octobre 2017 sans mise en accusation.

Près de 7 millions de dollars en salaires

Selon des chiffres obtenus auprès du BEI en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, jusqu’à sept de ses enquêteurs ont été affectés au projet Serment, pour une masse salariale totale de 3,3 millions entre la fin de 2018 et le début de 2022.

Durant la même période, les enquêteurs ont aussi accumulé des centaines d’heures supplémentaires travaillées rémunérables – jusqu’à 1740 heures en 2020-2021 – totalisant 224 000 $.

Le BEI a en outre payé, en dépenses diverses (location et aménagement de locaux, services de bureautique, location de véhicules, frais de téléphonie cellulaire, frais de stationnement et frais de déplacement, etc.), au moins 680 000 $ en plus de trois ans.

Et il verse 1 million à la firme Ernst & Young pour son rôle dans le tri de dizaines de milliers de documents saisis auprès de l’UPAC, de la Sûreté du Québec, de l’Assemblée nationale et du député Guy Ouellette qui pourraient être couverts par le privilège et qui font l’objet de requêtes devant les tribunaux.

De son côté, le ministère de la Sécurité publique du Québec a fourni à La Presse des chiffres de dépenses totalisant plus de 3,5 millions seulement pour ses enquêteurs affectés au projet Serment, alors que le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) nous a répondu que trois ou quatre procureurs ont été affectés, à un moment ou à un autre, à l’enquête du BEI.

Ces procureurs n’ont pas nécessairement travaillé à temps plein sur l’enquête depuis 2018, sauf un qui y a travaillé de façon plus soutenue. Le salaire annuel d’un procureur du Bureau de la grande criminalité et des affaires spéciales est d’environ 150 000 $.

En additionnant tous les chiffres fournis à La Presse, on arrive donc, pour les dépenses engendrées par l’enquête Serment, à un chiffre qui dépasse les 9 millions, mais cette somme ne comprend pas d’autres dépenses, comme celles liées au travail de procureurs représentant le ministère de la Justice (Procureur général du Québec) durant certaines procédures ou les honoraires d’avocats du privé qui ont accompagné des témoins lors des rencontres avec les enquêteurs du BEI.

La facture pourrait donc être plus élevée encore que 9 millions.

136 témoins et 1,8 million de documents

Combien de temps encore le compteur roulera-t-il pour cette enquête qui aura quatre ans en octobre prochain ?

« Ce que l’on vise, c’est que le rapport final soit soumis au DPCP en décembre de cette année », souhaite MRobert Rouleau, numéro 2 du BEI.

Selon MRouleau, 136 témoins ont été rencontrés par les enquêteurs – le dernier en janvier –, dont certains à plus d’une reprise, pour un total de plus de 180 rencontres.

Les enquêteurs auront eu à analyser 1,8 million de documents, dont des dizaines de milliers font toujours l’objet de requêtes devant les tribunaux – « qui tirent toutefois à leur fin », assure MRouleau.

Celui-ci rappelle l’importance de cette enquête sur des fuites qui ont mené à l’arrestation d’un député, au départ du chef du plus important corps de police du Québec, Martin Prud’homme, et à un arrêt du processus judiciaire dans la cause de l’ancienne vice-première ministre du Québec Nathalie Normandeau et de ses coaccusés.

« Le temps nécessaire à l’enquête est à la hauteur de l’importance du mandat qui nous a été confié. C’est un mandat large et difficile. C’est une première, à ma connaissance, que l’on confie un tel mandat à un organisme d’enquête.

« La nature du mandat, l’importance de l’enquête, le nombre de témoins à rencontrer, le nombre d’autorisations judiciaires à obtenir, le nombre de documents à recueillir, filtrer et traiter, les démarches des médias visant à rendre une partie de la preuve publique en même temps qu’il y a une enquête à protéger… Si on additionne tout ça, il ne faut pas s’étonner que ça ait pris un certain temps », se défend MRouleau.

Quatre ans et pas d’accusé ?

Environ 280 000 documents saisis sur les serveurs de l’UPAC et de la Sûreté du Québec concernent deux anciens responsables de l’UPAC, l’inspecteur André Boulanger et la lieutenante Caroline Grenier-Lafontaine, qui avaient piloté l’enquête Projet A au cours de laquelle Guy Ouellette a été arrêté.

D’après nos renseignements, ni ces deux policiers, qui clament leur innocence, ni l’ancien commissaire de l’UPAC Robert Lafrenière n’ont encore été rencontrés par les enquêteurs du BEI, et on ignore s’ils le seront un jour.

Une fois que l’enquête Serment sera terminée et que ses conclusions seront sur le bureau du DPCP, ce dernier devrait prendre quelque temps pour analyser la preuve et décider – vraisemblablement en 2023 – si des accusations seront portées contre certains acteurs ou non.

Mais déjà, des observateurs et des sources croient que ce ne sera pas le cas.

« Je ne me mettrai pas à la place du DPCP, avec lequel la collaboration est excellente. Mon job, ce n’est pas de faire de la futurologie sur ce que je pense que le DPCP va faire. Nous, notre mandat, c’est de faire la lumière, d’aller au fond des choses, de retourner chaque roche, de prendre tout ça et d’en faire un tout digestible et intelligible. Chacun son métier et les vaches seront bien gardées », conclut MRouleau.

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.