Une demande d’action collective vise quatre géants de la transformation

Payons-nous notre bœuf trop cher ? En pleine flambée d’inflation alimentaire, un « cartel » formé par les plus grands producteurs de bœuf fixerait depuis des années le prix de cette viande, au détriment des consommateurs québécois, soutient une demande d’action collective déposée en Cour supérieure du Québec.

« Dans le contexte de l’inflation, c’est quelque chose qui vient ajouter au prix du bœuf. On touche à quelque chose d’aussi fondamental que l’alimentation. Ça touche vraiment tout le monde, y compris des gens qui ont peu de moyens », explique en entrevue Sylvie de Bellefeuille, avocate chez Option consommateurs et demanderesse de l’action collective.

Ce recours pourrait potentiellement s’élever à plusieurs millions de dollars pour les Québécois, puisque toute personne qui a acheté du bœuf au Québec depuis le 1er janvier 2015 est visée par la demande d’autorisation. À l’instar d’autres viandes, le prix du bœuf ne cesse d’augmenter dans les épiceries et a bondi de 16,8 % depuis un an, selon Statistique Canada.

Quatre géants américains de la transformation de bœuf et leurs sociétés canadiennes sont montrés du doigt dans la requête, soit Cargill, JBS Food Company, Tyson Foods et National Beef Packing Company.

Ces concurrents comploteraient depuis 2015 pour fixer le prix du bœuf, alors qu’ils contrôlent environ 85 % du marché canadien et 80 % du marché américain, indique la requête.

« Au moins à partir du 1er janvier 2015, et encore à ce jour, les Défenderesses complotent entre elles et avec d’autres afin de fixer, maintenir, contrôler, empêcher, réduire ou éliminer la production ou la fourniture du bœuf et à fixer, maintenir, augmenter ou contrôler le prix de celui-ci au Québec, et ailleurs, et ainsi de réduire indûment la concurrence », avance la demande d’autorisation déposée par le cabinet Belleau Lapointe, le 24 mars dernier.

Ces géants du bœuf s’insèrent à la toute fin du processus de transformation de la viande, lorsque les bêtes sont arrivées à leur poids d’abattage. Il est alors question de « bouvillons d’abattage ». Ils achètent alors les bêtes auprès de producteurs laitiers ou de spécialistes de « l’engraissement » des animaux, et transforment les carcasses.

Ces entreprises vendent principalement leur viande sous forme de viande déjà coupée et emballée, appelée « bœuf en boîte de carton » (boxed beef), et de « bœuf prêt à l’emploi », notamment à des manufacturiers de nourriture congelée et différents grossistes. Finalement, leur bœuf se retrouve dans les épiceries, boucheries, supermarchés et restaurants.

Cette structure du marché du bœuf « favorise le complot allégué », soutiennent les demandeurs, en raison de la concentration du marché, des barrières « importantes à l’entrée » et des « opportunités de poser des gestes anticoncurrentiels » pour les entreprises visées.

Difficile à prouver

La somme réclamée pour les millions de membres potentiels du groupe n’est pas chiffrée par les demandeurs. Cela dit, ils réclament à la Cour supérieure de condamner les entreprises visées à payer l’équivalent de leurs revenus générés par la portion « artificiellement gonflée des prix de vente du bœuf acheté au Québec ». L’action collective devra d’abord être autorisée par un juge, puis tranchée sur le fond. Un processus de plusieurs années, à moins d’un règlement.

« Ces recours ne sont pas faciles. Ce n’est pas évident de démontrer que ces entreprises sont responsables d’avoir fixé des prix de façon artificielle. Par exemple, le Bureau de la concurrence travaille depuis 2015 sur le cartel du pain et ils n’ont rien eu, sauf avec des aveux », illustre Sylvain Charlebois, directeur principal du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie.

L’expert en agroalimentaire rappelle que les marges des détaillants sont importantes pour la vente de viande, soit de 40 à 60 %.

« Est-ce que ça m’étonne ? Non. Est-ce que cette concertation a eu des impacts majeurs ? Je n’en ai aucune idée. Mais ce n’est certainement pas une chose facile à prouver », commente Maurice Doyon, professeur titulaire au département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation de l’Université Laval.

L’administration Biden s’y met

Cette demande d’action collective semble s’inspirer de recours similaires aux États-Unis, déposés à la suite de la mobilisation de plusieurs procureurs généraux.

En février dernier, le géant JBS a d’ailleurs conclu une entente de règlement de 52 millions US dans le cadre d’une action collective sur la fixation des prix du bœuf.

L’industrie du bœuf est également dans le collimateur de l’administration Biden. En juillet dernier, le président américain a mis en place des mesures pour accroître la compétition dans l’industrie du bœuf, dominée par quatre grands producteurs.

« Quand des intermédiaires dominants contrôlent autant la chaîne d’approvisionnement, ils peuvent augmenter leurs propres profits au détriment des fermiers – qui font moins d’argent – et des consommateurs, qui vont payer plus », écrivait la Maison-Blanche en janvier dernier, en détaillant le plan du président.

Les sociétés visées par la demande d’action collective n’ont pas répondu à nos demandes d’entrevue.