(Ottawa) Même si les études préliminaires sur les programmes d’approvisionnement plus sécuritaire semblent prometteuses, ceux-ci ne répondent pas aux besoins d’une grande partie de ceux qui risquent l’empoisonnement aux drogues illicites, selon des experts.

Selon le gouvernement fédéral, ces études démontrent que les dix projets pilotes d’approvisionnement plus sécuritaire déjà en place en Colombie-Britannique, en Ontario et au Nouveau-Brunswick ont été bénéfiques.

On signale notamment un changement dans les habitudes de consommation, ce qui entraîne une diminution des risques d’une surdose et une baisse de la consommation de drogues de la rue.

Des participants au projet ont aussi indiqué qu’ils étaient moins stressés, avaient une plus grande stabilité et avaient plus de temps dans la journée pour trouver et garder un emploi.

Une chercheuse à l’Institut canadien de recherche sur l’usage de substances à l’Université de Victoria a expliqué que l’évaluation visait principalement l’effet sur la vie des participants. Gillian Kolla a aussi aimé que l’analyse aborde les défis qu’ils ont rencontrés.

« Ces défis peuvent en fait contribuer grandement à éclairer le développement de ces programmes, car ils sont considérés comme une réponse possible à la crise des surdoses au Canada », a fait valoir Mme Kolla, qui a coécrit l’étude pour le programme d’approvisionnement de London.

Mais Hugh Lampkin, superviseur d’une salle d’injection à Vancouver, a soutenu que son expérience d’accès à l’un des projets pilotes n’était pas aussi positive.

Le programme exigeait que les participants viennent une ou deux fois par jour pour se faire distribuer des médicaments, ce qui, selon lui, n’a aucun sens.

Il remet également en question l’absence de critique dans les premiers résultats ; le fait que tout semble parfait et que tout le monde semble apprécier l’initiative.

« C’est impossible que le gouvernement propose un programme et les gens dans le programme n’ont aucune critique. »

Corey Ranger, un infirmier qui dirige un autre programme de ce genre à Victoria, dit que les résultats sont similaires à ceux qu’il a observés de son côté.

Les programmes ont une capacité très limitée à prescrire un approvisionnement sécuritaire en médicaments, avec souvent un seul prescripteur ou une seule organisation pour toute une ville, fait valoir Mme Kolla.

« Cela est loin de répondre aux besoins ou à la capacité actuelle pour ce type d’intervention », dit-elle, notant que les programmes existants fonctionnent déjà presque au maximum de leur capacité.

M. Ranger réclame que le gouvernement finance d’autres modèles de programme comme les clubs de compassion qui fournissent des drogues sûres sans que le consommateur ait à présenter une prescription.

« Nous avons besoin d’une mise à l’échelle urgente, car si beaucoup bénéficient de travailler dans un modèle médicalisé, plusieurs autres n’ont pas besoin d’accéder à un médecin. Ils ont juste besoin d’avoir accès à des médicaments sûrs et réglementés. »

Il estime toutefois qu’il y a un manque de volonté politique pour explorer des modèles non médicaux comme les clubs de compassion.

Hugh Lampkin souhaite que les personnes qui consomment des drogues soient impliquées dans la création de ces programmes pour assurer leur succès.

Sinon, d’après lui, le processus n’est pas conçu pour encourager les gens à utiliser les programmes ou à distribuer des substances d’une manière qui fonctionne pour les utilisateurs.

« C’est là que notre expertise entre en jeu. »

Les bons programmes d’approvisionnement donnent la priorité aux objectifs des personnes qui y accèdent, plutôt que de se concentrer sur les expériences des praticiens ou des prescripteurs, a soutenu M. Ranger, qui a également co-développé une liste de contrôle d’approvisionnement plus sécuritaire basée sur les commentaires des personnes consommant des drogues.

Encore beaucoup à faire

Le gouvernement fédéral a récemment annoncé un financement de près de 3,5 millions pour prolonger quatre projets pilotes d’approvisionnement plus sûr à Toronto, à Vancouver et à Victoria.

La ministre de la Santé mentale et des Dépendances, Carolyn Bennett, a déclaré vendredi que l’amélioration des services de santé mentale et des dépendances était l’une des principales priorités du plan gouvernemental visant à renforcer les soins de santé au Canada.

Santé Canada collabore avec des organisations de la société civile, des fournisseurs de services de soins directs, des universitaires et des personnes ayant une expérience vécue afin d’éclairer les mesures gouvernementales visant à réduire les surdoses et les décès, ainsi qu’à améliorer le bien-être des personnes qui consomment des drogues, a-t-elle ajouté.

La ministre n’a pas répondu directement lorsqu’elle a été questionnée sur la possibilité d’étendre les projets pilotes. Mme Bennett a plutôt affirmé que le gouvernement avait investi plus de 60 millions de dollars dans le financement de projets d’approvisionnement, tout en reconnaissant qu’il reste encore beaucoup à faire pour mettre fin à cette crise nationale de santé publique.

La chercheuse Gillian Kolla croit aussi que beaucoup plus d’action est nécessaire pour répondre pleinement à la crise des opioïdes.

« Nous devons vraiment nous attaquer à la façon dont la stigmatisation envers la consommation de drogues et les personnes qui en consomment a rendu si difficile tout progrès afin d’avoir une réponse globale, a-t-elle déclaré. Des gens meurent à cause d’un approvisionnement en drogues incroyablement toxique provenant de la rue. Cela se produit depuis plus de six ans maintenant, et nous avons vu une réponse si lente. »

Cet article a été produit avec le soutien financier des Bourses Meta et La Presse Canadienne pour les nouvelles.