Le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, se défend de traiter les « postulants à titre de famille d’accueil de proximité » comme de la main-d’œuvre peu chère et promet de payer rétroactivement les sommes dues après la période d’évaluation de six mois.

« Ce n’est pas du cheap labor, a-t-il déclaré en entrevue avec La Presse. Je pense que c’est une situation ponctuelle dans un contexte exceptionnel. »

M. Carmant ajoute qu’il a demandé à la sous-ministre adjointe « de trouver une solution à cette situation pour régler le problème de rétroactivité ».

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

Lionel Carmant, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux

« On ne veut absolument pas que ce soit considéré comme du cheap labor, insiste-t-il. On veut valoriser l’implication de la famille. Il va falloir que ces délais-là arrêtent. »

C’est une chronique de Patrick Lagacé et un dossier de La Presse qui ont récemment sonné l’alarme au Ministère, en levant le voile sur l’enfer bureaucratique de ces postulants à titre de famille d’accueil de proximité, qui doivent attendre jusqu’à 20 mois pour être reconnus et rétribués, sans rétroactivité sur les frais encourus.

LISEZ la chronique de Patrick Lagacé « Le cheap labor de la DPJ » LISEZ « Protection de la jeunesse : des familles d’accueil se sentent lésées »

Deux familles sur trois

Désignés sous le sigle PFAP, ces postulants à titre de famille d’accueil de proximité sont appelés à prendre en charge un ou des enfants de la DPJ, du jour au lendemain, très souvent à la demande de l’établissement.

La Presse a décrit plusieurs cas de ces familles qui doivent se débrouiller sans soutien et affronter des entraves bureaucratiques.

À la différence des autres familles d’accueil, le PFAP n’est ni évalué, ni reconnu, ni rétribué financièrement dans un premier temps. Il est considéré comme un PFAP plutôt que comme une famille d’accueil parce qu’il a un « lien significatif » avec le ou les enfants sortis d’urgence de leur milieu familial.

Il faut savoir que les familles d’accueil de proximité représentent les deux tiers de toutes les familles d’accueil du Québec.

La Loi sur les services de santé et les services sociaux prévoit que l’évaluation d’un PFAP doit être faite « avec diligence », dans un délai maximal de six mois, à compter du premier jour où l’enfant lui est confié.

À la fin du processus d’évaluation, si la famille est accréditée, elle obtiendra le même montant par mois que toute autre famille d’accueil, pour prodiguer des soins aux enfants dont elle a la charge. Ce montant varie selon l’âge, les caractéristiques du jeune et la nature des soins qu’il requiert.

La rétroactivité

Le problème dénoncé par de nombreux PFAP et observateurs est que non seulement les délais d’évaluation sont longs, dépassant très souvent six mois, mais qu’en plus cette rétribution n’est pas rétroactive.

« Je suis au courant de la situation », admet le ministre Carmant.

Je pense que c’est quand même important de mentionner que, dans le contexte de la pandémie, les évaluations des familles d’accueil ont quand même dû être un peu délestées pour s’assurer que les services directs aux enfants, à la protection de la jeunesse, puissent demeurer.

Lionel Carmant, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux

Il affirme que son ministère « travaille vraiment de façon très active maintenant pour réduire ces délais » et promet de « régler le problème de rétroactivité » lorsque le délai dépasse les six mois prévus dans la loi.

« Il y a cette période de six mois d’évaluation qui est nécessaire pour s’assurer de la famille d’accueil de proximité. Tout ce qui dépasse les six mois, j’ai demandé au sous-ministre de trouver une solution pour s’assurer que ce soit remboursable », explique-t-il.

Harmoniser les pratiques

Par ailleurs, M. Carmant dit avoir demandé aux PDG des établissements de s’assurer que les dépenses faites par les PFAP, lors de l’accueil des enfants, pour l’achat de vêtements, par exemple, soient remboursées.

Pour ce qui serait d’une rétroactivité pour les six mois qui précèdent l’accréditation des PFAP, le ministre assure qu’il compte étudier la question. « Ça, c’est quelque chose qu’il faudrait peut-être regarder un peu plus tard pour voir si on peut modifier ça », indique-t-il.

Il reconnaît par ailleurs que le traitement des dossiers des PFAP doit être harmonisé entre les divers CISSS et CIUSSS, où l’on observe de grandes différences.

« Une des fonctions importantes de notre directrice nationale de la DPJ, qu’on vient de nommer, c’est vraiment d’harmoniser les pratiques, note M. Carmant. Ça ne peut pas varier d’un établissement à l’autre, comme ça. Il faut vraiment que les pratiques soient harmonisées, dans ce dossier-là comme dans plusieurs autres dossiers face à la protection de la jeunesse. »

Quant à la pénurie de personnel, souvent pointée pour expliquer les longs délais d’évaluation des PFAP, M. Carmant rappelle qu’une somme de 10 millions a été allouée dans le budget 2021-2022 pour le soutien aux familles d’accueil. La situation, croit-il, devrait s’améliorer rapidement : « Si on compare la situation, avant la pandémie, en février 2020, et aujourd’hui, c’est quand même l’équivalent de 1000 postes qui ont été ajoutés à la DPJ. »

« Le côté odieux de la chose »

André Lebon, ex-vice-président de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, mieux connue sous le nom de commission Laurent, estime que « c’est un pas dans la bonne direction ».

Il est toutefois d’avis que le montant accordé pour les services rendus à l’enfant doit être rétroactif à compter du premier jour du placement, et non six mois plus tard.

« C’est comme si on leur faisait une faveur, déplore-t-il. C’est ça, le côté odieux de la chose. Des enjeux de jumelage, il y en aura tout le temps. Sélectionner la bonne famille, faire le bon jumelage, je pense que ça ne sera jamais acquis. Mais ça ne justifie en rien de ne pas verser la rétribution rétroactivement, une fois la famille accréditée. »

En savoir plus
  • 2648
    Nombre de familles d’accueil de proximité, en date du 31 mars 2021, au Québec
    SOURCE : MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX