Une délégation d’une centaine d’Autochtones canadiens arrive ce dimanche au Vatican. Des représentants des Premières Nations, des Métis et des Inuits rencontreront le pape François. Ils réclament la répudiation de bulles papales de la Renaissance qui appuyaient la colonisation.

« On a beaucoup d’attentes envers le pape », explique Mandy Gull-Masty, grande cheffe du Grand Conseil des Cris du Québec, qui est de Waswanipi. « Je crois que le pape va présenter des excuses et va vraiment travailler sur ce qui s’est passé dans les pensionnats. Je pense qu’il va présenter ses excuses lors de son voyage au Canada plus tard cette année pour que beaucoup de gens puissent les entendre. On va le préparer à ce qu’il va avoir comme réaction avec ses excuses. »

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Mandy Gull-Masty, grande cheffe du Grand Conseil des Cris du Québec

Les délégations de l’Assemblée des Premières Nations (APN), du Ralliement national des Métis (RNM) et de l’Inuit Tapiriit Kanatami (ITK), formées de représentants politiques et d’anciens élèves des pensionnats autochtones, vont rencontrer le pape séparément lundi et jeudi. Vendredi, le pape François rencontrera les trois délégations ensemble, avec environ 75 proches d’anciens pensionnaires qui font aussi le voyage.

« C’est une série de rencontres exceptionnelles », explique Raymond Poisson, évêque de Saint-Jérôme et président de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC).

Chaque délégation va avoir une heure avec [le pape] François. D’habitude, les rencontres avec les chefs d’État sont beaucoup plus courtes. [Le pape] François est très sensible aux plus pauvres, à ceux qui sont en difficulté.

Raymond Poisson, évêque de Saint-Jérôme et président de la Conférence des évêques catholiques du Canada

Mgr Poisson se trouvait cette semaine à Rome pour préparer les rencontres. « Ça fait trois ans qu’on prépare la visite, dit le prélat. On a commencé par écouter les survivants, puis on est remontés vers le leadership autochtone pour déterminer la meilleure manière. »

Bulles papales

L’APN a demandé publiquement la répudiation formelle de bulles papales, des documents juridiques qui, au début des colonies dans les Amériques, ont attribué aux divers puissances européennes le droit de prendre possession des terres des Autochtones, et de les convertir au christianisme. « On appelle cela la doctrine de la découverte », explique Philippe Vaillancourt, fondateur du site d’information religieuse Présence. « Elle a déjà été condamnée de diverses manières par le pape et la CECC, mais les bulles comme telles n’ont pas été mentionnées. »

Mme Gull-Masty a été frappée par la réaction du pape à la découverte des tombes anonymes près de trois anciens pensionnats l’été dernier. « Dans sa déclaration, on voyait qu’il était vraiment sous le choc. Je pense que c’est le moment où ça a changé pour tout le monde. Je vois l’évolution dans l’Église catholique depuis les années 1980. Elle est plus accueillante. Elle travaille sur son histoire. Le pape veut ouvrir l’Église au monde, c’est le premier qui aborde son rôle de cette manière-là. »

L’évolution a été lente. Mgr Poisson rappelle que Jean-Paul II, lors de son voyage au Canada en 1984, n’avait pas pu se rendre dans le Grand Nord comme prévu pour rencontrer des Autochtones, à cause de la météo. « En 1987, il a changé l’itinéraire d’une visite aux États-Unis pour s’arrêter dans le Grand Nord », dit l’évêque québécois.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA CECC

Jean-Paul II lors de son voyage dans les Territoires-du-Nord-Ouest en 1987

Mitchell Case, historien ontarien qui fait partie de la délégation politique métisse, estime lui aussi que la transition dans la position de l’Église a commencé avec Jean-Paul II. « Il appuyait beaucoup les droits des Métis, dit M. Case. C’était bien avant que l’on connaisse la vérité sur les horreurs des pensionnats. François est encore plus progressiste, il veut vraiment panser les plaies. Je comprends cependant qu’il a un grand bateau à manœuvrer, la curie romaine. C’est long de changer de cap. »

Expérience personnelle

Même s’ils n’ont pas fréquenté les pensionnats, M. Case et Mme Gull-Masty en ont eu une expérience personnelle. « Mon arrière-arrière-grand-mère y a été, dit M. Case. Je ne l’ai pas connue, mais on parlait beaucoup d’elle dans la famille.

Ce qui frappait, c’est qu’elle n’a jamais parlé des années qu’elle a passées au pensionnat, même quand on lui posait des questions. Pour moi, ça veut dire que c’était trop douloureux.

Mitchell Case, historien ontarien qui fait partie de la délégation politique métisse, à propos de son arrière-arrière-grand-mère

Mme Gull-Masty a été marquée par les expériences de sa mère et de sa grand-mère. « Ma grand-mère a été dans trois pensionnats, et ma mère à celui de La Tuque, dit-elle. Ma mère n’a jamais oublié. C’est dur pour une personne d’être élevée par une maîtresse d’école plutôt que par quelqu’un qui l’aime et le lui montre. Ça détruit une personne. Elle n’était même pas dans le même pensionnat que ses frères et sœurs. À Chisasibi, il y avait un pensionnat, mais les enfants ne pouvaient pas retourner chez eux, même s’ils voyaient la maison de leur chambre. Je ne comprendrai jamais la douleur d’une mère qui se couche le soir sans son enfant en sachant qu’il dort tout près. »

Le représentant des Inuits compte aborder des questions difficiles

Le chef de l’organisation nationale qui représente les Inuits au Canada affirme que la rencontre qu’il aura la semaine prochaine avec le pape François au Vatican ne sera pas une occasion de célébrer. Natan Obed, de l’organisation Inuit Tapiriit Kanatami (ITK), compte soulever un point précis au cours de cette rencontre : que justice soit faite pour les victimes présumées d’un prêtre catholique romain accusé de crimes contre des enfants. M. Obed veut que l’Église tienne responsable un prêtre oblat, Johannes Rivoire, qui continue de vivre en liberté malgré de multiples allégations d’agressions sexuelles liées à son séjour au Nunavut. Ce dernier a vécu au Canada du début des années 1960 jusqu’en 1993, année de son retour en France. Un mandat d’arrêt a été lancé contre le prêtre en 1998. Plus de deux décennies plus tard, les accusations ont toutefois été suspendues. Le Service des poursuites pénales du Canada affirmait alors que c’était en partie à cause de la réticence de la France à l’extrader. Les dirigeants inuits et des politiciens ont continué de réclamer que le prêtre, qui a maintenant 90 ans, soit traduit en justice.

La Presse Canadienne

Une version précédente de ce texte indiquait erronément que Mme Gull-Masty est la seule Québécoise de la délégation. Martha Craig de Kuujjuaq, qui est une ancienne élève des pensionnats, fait partie de la délégation de l'ITK.

En savoir plus
  • 150 000
    Nombre d’enfants ayant fréquenté les pensionnats pour Autochtones
    3200
    Nombre d’enfants officiellement morts dans un pensionnat pour Autochtones, un chiffre qui pourrait être de 5 à 10 fois plus élevé en réalité, selon des historiens
    Sources : Commission de vérité et réconciliation du Canada et L’Encyclopédie canadienne