L’aide humanitaire et l’aide militaire du Canada à l’Ukraine dans le conflit actuel se rendent-elles à destination ? Voici un état des lieux.

Le gouvernement canadien entend participer plus directement à l’envoi de ressources matérielles sur le terrain en Ukraine et dans les pays limitrophes pour venir en aide aux victimes et réfugiés de l’invasion russe.

C’est ce qu’a indiqué le ministre du Développement international, Harjit J. Sajjan, en entrevue avec La Presse lundi matin.

« Nous cherchons, au sein de mon ministère, des options pour acheminer rapidement les biens qu’amassent des organisations au Canada, a dit le ministre. Les Canadiens sont généreux et nous voulons que les dons puissent arriver à destination. »

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Harjit Sajjan, ministre du Développement international

À ce jour, le Canada a annoncé une aide humanitaire de 145 millions à l’Ukraine, incluant les 30 millions remis à la Croix-Rouge en contrepartie des dons amassés dans la population. Essentiellement, cette aide se traduit par « un soutien financier aux organisations humanitaires établies qui interviennent dans le cadre d’un système international coordonné », nous avait-on signalé par courriel, le 18 mars.

Si le ministre Sajjan se dit déterminé à envoyer rapidement du matériel en Europe de l’Est, il ne veut rien précipiter.

« Le problème n’est pas tant la livraison que de nous assurer de ne pas embourber la chaîne d’approvisionnement organisée sur le terrain, dit-il. On ne veut pas juste décharger des boîtes sur les tarmacs des aéroports. On veut créer un flux de travail [Pull system] à la demande et selon les besoins. Cela permet de déplacer les biens appropriés aux bons endroits. »

Il cherche aussi à noliser du transport aérien pour de l’aide médicale sans toutefois passer par la flotte des Forces armées canadiennes. « Ils sont assez occupés comme ça ! On cherche d’autres avions, que ce soit au sein du gouvernement ou ailleurs. »

Cette initiative sera sans doute bienvenue quand on sait que les dons amassés tardent à être envoyés. Lundi, La Presse rapportait que quelque 40 tonnes de biens amassés par les églises ukrainiennes de Montréal étaient entassées dans un entrepôt dans l’attente de trouver des fonds – entre 70 000 $ et 100 000 $ – pour les envoyer en Europe.

Lisez « Des tonnes de dons coincées à Montréal »

M. Sajjan s’est rendu en Moldavie, en Roumanie et en Pologne du 7 au 11 mars pour constater ce qui se passe sur le terrain. Des représentants d’Affaires mondiales Canada y sont toujours pour jauger les besoins.

« Il faut faire confiance »

Depuis le début du conflit, le Canada, comme bien d’autres pays, offre une aide humanitaire à l’Ukraine. Le public est aussi invité à contribuer, par l’entremise de la Croix-Rouge canadienne et d’autres organismes comme le Congrès des Ukrainiens canadiens. L’aide financière se rend-elle ?

« Il faut faire confiance aux professionnels », répond François Audet, directeur général de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires, organisme associé à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal.

L’aide financière du gouvernement canadien, qui provient de nos taxes, passe par différents canaux : les Nations unies, les grandes organisations humanitaires, la Croix-Rouge et des gouvernements partenaires comme la Pologne qui reçoit des réfugiés.

François Audet, DG de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires

Quant aux dons privés, il faut faire preuve de discernement, ajoute ce dernier. Les organisations qui recueillent des dons sont multiples et les risques d’arnaques sont réels. Les organisations professionnelles sont régies par des règles de transparence et de bonne gouvernance sur l’utilisation des fonds amassés, dit M. Audet. À chacun de voir à qui il donne son argent.

Entrepôts « prépositionnés »

Le ministre Sajjan a indiqué à La Presse qu’une partie des dons matériels « pourrait venir de nos propres entrepôts de matériel humanitaire ». Par là, il parle des entrepôts « prépositionnés », de gigantesques réserves où sont conservés tentes, médicaments, nourriture sèche, couvertures et autres à distribuer en cas de catastrophe.

Cet ensemble d’entrepôts canadiens, soit un dépôt central dans la région d’Ottawa et quelques autres installés à travers le pays, porte le nom de Réserve nationale stratégique d’urgence. Sa création remonte à 1952.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’ONU

L’entrepôt « prépositionné » de l’ONU à Dubaï

L’ONU, par l’entremise du Programme alimentaire mondial, gère aussi six entrepôts (hubs) installés en Italie, au Ghana, en Malaisie, au Panamá, en Espagne et à Dubaï.

Il y en a plusieurs autres.

Négocier un accès humanitaire

L’aide humanitaire envoyée à l’Ukraine et aux réfugiés se complexifie du fait de la guerre. Pour l’acheminer, il faut négocier un accès humanitaire, dit François Audet. Ces corridors fonctionnent à double sens : des biens de première nécessité entrent dans le pays et des réfugiés en sortent.

Selon M. Audet, ces corridors sont négociés par la Croix-Rouge internationale. « L’organisation représente le Droit international humanitaire, rappelle-t-il. Elle rappelle aux belligérants leurs engagements. C’est elle qui négocie les corridors et qui va informer toute la chaîne de commandement des deux côtés par où va passer la population, où elle se rend, etc. »

Pour plusieurs observateurs sur le terrain, le respect de ces ententes semble très difficile à obtenir, particulièrement de la Russie, qui est pourtant signataire de la Convention de Genève.

En savoir plus
  • 82,6 millions
    Dans l’actuel conflit, le rôle de la Croix-Rouge canadienne est d’amasser des fonds qui sont dirigés vers le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui les redistribue, selon les besoins, sur le terrain. En date du jeudi 17 mars, la Croix-Rouge canadienne avait amassé 82,6 millions dans l’ensemble du pays. À cela s’ajoutent 30 millions en sommes jumelées par le gouvernement fédéral.
    source : Croix-Rouge canadienne