Non, les locataires du 7535 et du 7545, boulevard de l’Acadie, à Montréal, n’ont pas à quitter les lieux dans un délai de six jours comme l’inspecteur de la Ville, au côté d’un représentant du propriétaire, le leur a affirmé la semaine dernière. C’était une erreur.

« Un inspecteur de la Ville a communiqué la mauvaise information à certains locataires quant à une date d’évacuation. Cette information a depuis été corrigée », a indiqué Benoit Dorais, responsable de l’habitation à la Ville de Montréal.

« Si une évacuation se révélait nécessaire, celle-ci serait planifiée selon les règles de l’art et un avis d’évacuation avec un délai raisonnable serait transmis aux locataires », ajoute-t-il.

À deux reprises, en 2006 et en 2014, cet immeuble de trois étages du quartier Parc-Extension a fait l’objet d’un reportage dans La Presse portant sur des taudis de Montréal.

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Immeuble du boulevard de l’Acadie

Est-il, oui ou non, sécuritaire en 2022 ? Dans son courriel, M. Dorais, qui a refusé notre demande d’entrevue, dit qu’étant donné qu’une inspection faite par la Ville a relevé certaines anomalies, « un rapport d’ingénieur a été demandé au propriétaire. Ce rapport confirmait certains enjeux de structure du bâtiment ».

Peut-on voir le rapport ? Pour cela, a répondu la Ville, il faut faire une demande d’accès à l’information (une démarche qui prend de quelques semaines à quelques mois).

Joint au téléphone, Abraham Leimzider, président de la société à numéro qui a acheté l’endroit en 2021, a dit qu’il ne pouvait « rien dire » au sujet de l’immeuble.

Une indemnité proposée aux locataires

Invités à quitter les lieux en échange d’une indemnité, bon nombre de locataires ont accepté l’offre. Comme Sujhwinder Singh, qui a accepté 2000 $. « À peu près tout le monde part, comment pourrais-je faire autrement ? demande-t-il. J’ai trouvé un peu plus loin un logement à 1200 $ sans électricité. Je ne sais pas comment je vais faire pour payer l’épicerie. Je vais essayer d’appeler ma fille pour voir si elle peut m’aider. »

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Sujhwinder Singh et Gurdev Singh ont tous les deux décidé de déménager.

Vendredi, des avis d’évacuation de la Ville de Montréal jonchaient toujours le sol.

Une autre locataire, Geeta Rani, raconte que cela fait « quatre ou cinq fois dans les dernières semaines » que des représentants du nouveau propriétaire viennent frapper à sa porte. « Parfois avec un inspecteur de la Ville, parfois seuls. J’ai deux enfants à l’école, un de 7 ans, l’autre de 5 ans, je ne peux pas partir comme ça », dit-elle.

Dans une lettre signée par l’avocate Gabrielle O’Reilly Patry datée du 20 décembre 2021, il est indiqué que les fondations du bâtiment « ne sont pas intactes ».

Selon le rapport des ingénieurs, il est recommandé que le bâtiment soit évacué pour la sécurité des locataires.

Extrait de la lettre de l’avocate Gabrielle O’Reilly Patry

« Suite à l’analyse du projet avec l’architecte, il a été convenu que c’était l’opportunité de subdiviser le bâtiment et ainsi d’augmenter le nombre de logements dans le bâtiment. […] Nous comprenons que ces circonstances malheureuses peuvent causer des bouleversements pour vous. Par conséquent, notre client est prêt à vous offrir une indemnisation plus élevée que ce qui est prévu par la loi pour quitter votre logement dès que possible », peut-on lire dans la lettre.

Me O’Reilly Patry a précisé à La Presse que son mandat s’était limité à cette lettre datant de décembre et qu’elle ne « représente pas actuellement le propriétaire du 7535 l’Acadie ».

« Gentrification par abandon »

Dans son courriel, le conseiller Benoit Dorais soutient que la Ville et l’arrondissement « travaillent de pair avec le comité logement afin que le propriétaire assume ses responsabilités envers ses locataires et que leurs droits soient respectés ».

Le Comité d’action de Parc-Extension, très impliqué dans le dossier, est pourtant furieux. « C’est de la gentrification par abandon », note la coordonnatrice Amy Darwish.

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Amy Darwish, coordonnatrice du Comité d’action de Parc-Extension devant l’immeuble du boulevard de l’Acadie

Les pressions faites par le propriétaire sur les gens pour qu’ils acceptent des sommes minimes en échange de leur résiliation de bail sont inacceptables.

Amy Darwish, coordonnatrice du Comité d’action de Parc-Extension

Mais n’est-ce pas un immeuble en décrépitude qu’on aurait tout intérêt à fuir ? Ça ne paye pas de mine, mais les choses doivent être bien faites pour éviter que des gens aux moyens très limités déménagent dans l’urgence dans un appartement beaucoup trop cher pour eux, répond Mme Darwish.

Si évacuation il y avait réellement, relève son collègue André Trépanier, les locataires auraient priorité sur la liste d’attente du HLM et ils auraient de l’aide de la Ville pour se reloger. Et quand des travaux sont nécessaires dans un immeuble, ajoute-t-il, le bail continue d’être en vigueur.

L’embourgeoisement de Parc-Extension

Ce qui arrive à ces locataires est typique de ce qui se passe actuellement dans Parc-Extension, dit M. Trépanier.

Des gens achètent des propriétés et demandent aux gens de partir.

André Trépanier, du Comité d’action de Parc-Extension

L’arrivée dans le quartier du Complexe des sciences de l’Université de Montréal est selon lui à l’origine de l’embourgeoisement de ce quartier qui est l’un des plus pauvres du Canada.

Dans le cas de ce bâtiment, cela fait des années que la Ville a été mise au courant de l’insalubrité de l’endroit, relève Mme Darwish. « La Ville a souvent tendance à collaborer avec les propriétaires alors qu’elle devrait utiliser tous les moyens possibles pour que de tels immeubles négligés soient remis en état, quitte à ce que la Ville fasse faire les travaux elle-même. […] La Ville devrait aussi chercher à retirer ce type d’immeubles du marché locatif pour en faire du logement social. »