Ils habitent sur un autre continent, mais on leur reproche tout de même l’invasion de l’Ukraine : des membres de la diaspora russe au Québec sont la cible de messages discriminatoires depuis le début de la guerre.

« Honte à vous et à votre peuple ! Retournez en Russie ! »

C’est le message envoyé le 25 février dernier à la page Facebook de l’équipe de hockey « Les Russes de Montréal », d’Igor Tchiniaev. L’homme d’origine russe, aussi entraîneur de patinage artistique, raconte avoir trouvé « dérangeants » ces propos qui lui ont été envoyés par un pur inconnu. « Ce n’est pas à lui [l’inconnu] de décider qui a sa place ici », déplore M. Tchiniaev, qui vit au Canada depuis 23 ans. D’autant que l’équipe de hockey a été créée il y a une vingtaine d’années pour le plaisir « du sport, et non pour la politique ». Des gens de toutes nationalités se retrouvent sur la glace.

Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février dernier, des actes et des propos haineux envers la diaspora russe ont surgi partout au Canada.

À Vancouver, les portes d’un centre communautaire russe ont été recouvertes de peinture bleue et jaune, samedi dernier.

Ces gestes ne doivent pas être tolérés, d’autant qu’il est injuste de rejeter sur tous les membres d’une même nationalité la faute d’un conflit politique, plaide Igor Tchiniaev. Les propos reçus sur les réseaux sociaux contrastent avec le Canada qu’il « adore », en raison de la liberté et de la tolérance qui y règnent, fait-il valoir.

Igor Tchiniaev dit « avoir mal » pour les Ukrainiens qui subissent la guerre. Plusieurs de ses amis vivent là-bas. « Je suis triste, affirme le résidant de Longueuil. Je parle avec eux et je les soutiens pour qu’ils restent en sécurité. Le côté humain me touche énormément. »

PHOTO FOURNIE PAR ELENA PAVLYUCHENKO

Elena Pavlyuchenko

Elena Pavlyuchenko, résidante de Québec originaire de Russie, rapporte quant à elle avoir quitté plusieurs groupes sur les réseaux sociaux. La femme qui habite au Canada depuis 2004 recevait des messages lui disant que « les soldats russes sont méchants » , relate-t-elle. « Quel est le lien avec moi ? », déplore-t-elle.

« Je n’ai rien fait, sanglote Mme Pavlyuchenko, qui affirme être contre la guerre. J’ai un passeport canadien, je travaille ici. » Ces messages haineux doivent cesser puisque le conflit « est rendu jusqu’à Québec », souligne-t-elle.

Sentiment d’insécurité dans la communauté

Lorsque des conflits politiques surviennent entre deux nations, cela entraîne nécessairement des préjugés et de la discrimination des deux côtés, soutient Micheline Labelle, professeure émérite du département de sociologie de l’UQAM. « Les préjugés fonctionnent à la généralisation, ils ne font pas de distinction entre le gouvernement en place et le peuple russe », expose-t-elle.

Lorsqu’on parle de discrimination, il est nécessaire d’analyser le rôle joué par les institutions, notamment les organisations, soutient Micheline Labelle. Cette dernière prend l’exemple de l’annulation des prestations du pianiste russe Alexander Malofeev, qui devait jouer avec l’Orchestre symphonique de Montréal, annoncée mardi. Un geste qu’elle juge scandaleux.

On peut clairement parler de discrimination à l’égard d’un jeune pianiste qui n’a rien à voir avec le conflit en cours.

Micheline Labelle, professeure émérite du département de sociologie de l’UQAM

Le danger de la discrimination et des préjugés, lorsqu’ils sont confortés, est qu’ils peuvent se transformer en actes violents, explique Mme Labelle. « L’exemple du saccage du centre communautaire à Vancouver relève de la violence », souligne-t-elle.

Il suffit de quelques personnes qui perpétuent des actes haineux pour susciter un sentiment d’insécurité au sein de toute une communauté, renchérit Louis Audet Gosselin, directeur scientifique et stratégique du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV).

Il est nécessaire de dénoncer ces actes, mais aussi de sensibiliser la population aux messages haineux qui circulent sur les réseaux sociaux, souligne M. Audet Gosselin. « Il faut bien comprendre que les propos tenus en ligne ont le même effet que des actes en personne », avance-t-il.

Des communautés qui n’ont pas « à payer le prix de la guerre »

Selon Louis Audet Gosselin, les discours des politiciens, ainsi que ceux véhiculés dans les médias, doivent être clairs : « Les communautés d’origine russe ici n’ont absolument pas à payer le prix de cette guerre-là », affirme-t-il.

La majorité des Québécois font toutefois la distinction entre le gouvernement de Vladimir Poutine et les communautés russes dans la province, fait remarquer M. Audet Gosselin. C’est d’ailleurs ce que constate Igor Tchiniaev. « Dans mon entourage, tout le monde est très gentil et respectueux avec moi, souligne-t-il. Il n’y a vraiment aucun problème. »

En savoir plus
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    Nombre de personnes d’origine russe qui habitent au Canada, selon le recensement de 2016
    source : STATISTIQUE CANADA