(Halifax) C’est l’un des aspects les plus déroutants de la tuerie en Nouvelle-Écosse, qui a fait 22 morts il y a deux ans : après avoir tué 13 personnes à Portapique, le soir du 18 avril 2020, le tueur a décidé de se reposer pour la nuit.

Cette décision étonnante lui aura peut-être permis, au fond, d’éviter d’être capturé pendant une grande partie de la matinée du dimanche, car il existe des preuves suggérant que la police supposait alors que le tueur s’était suicidé la veille quelque part dans les bois à Portapique.

« Le problème avec ce genre d’hypothèse, c’est que ça peut avoir un impact réel sur la façon dont (les policiers) procèdent à partir de ce moment-là », estime Michael Scott, un avocat dont le cabinet représente les familles de 14 des 22 victimes de la tuerie.

La commission d’enquête sur la tuerie devrait publier mercredi un document décrivant ce qui s’est passé immédiatement après que le tueur, Gabriel Wortman, a quitté le village de Portapique, vers 22 h 45 samedi soir, au volant d’une réplique d’un véhicule de patrouille de la Gendarmerie royale du Canada et déguisé en policier.

Selon les demandes de mandat de perquisition déjà publiées, le tueur a conduit sans être repéré sur 24 kilomètres et a garé son véhicule tout juste après 23 h derrière un atelier de soudure à Debert, où il a passé la nuit dans la fausse voiture de patrouille.

Le lendemain, il a tué neuf autres personnes alors qu’il menait les policiers dans une poursuite sur 100 kilomètres, qui s’est terminée lorsqu’il a été abattu par un agent de la GRC qui l’a repéré en train de faire le plein, d’un véhicule volé cette fois, dans une station-service au nord de Halifax.

La commission a notamment comme mandat de déterminer pourquoi il a fallu 13 heures à la police pour arrêter le tueur. Or, selon une thèse évoquée, la police qui enquêtait sur la fusillade à Portapique aurait conclu à tort que la tuerie avait pris fin samedi soir avec le suicide du forcené.

Le premier policier de la GRC arrivé sur les lieux, le constable Stuart Beselt, a déclaré à un procureur de la commission qu’il croyait que le tueur s’était suicidé après que des agents du Groupe tactique d’intervention de la GRC l’ont interpellé par son nom dans un mégaphone.

L’agent Beselt a déclaré qu’il avait ensuite entendu des coups de feu alors que lui et d’autres policiers étaient renvoyés chez eux, dans la nuit du 19 avril. « Je me suis dit : il s’est tiré dans le bois. »

L’agent Beselt n’était pas le seul policier à s’être trompé sur le sort du tueur cette nuit-là. Son collègue Aaron Patton a déclaré lors d’une entrevue avec un policier de la GRC, le 23 avril 2020 : « nous étions sûrs à 100 % que c’était lui qui s’était suicidé dans les bois ».

Les véhicules de patrouille

Outre les spéculations des policiers sur le terrain, il existe des preuves suggérant que la GRC a conclu à tort que la fausse voiture de patrouille que les témoins avaient vue à Portapique était bien l’une des trois anciennes voitures de police retrouvées plus tard dans la nuit, dont deux incendiées.

Car la GRC avait appris que le tueur avait acheté trois anciennes voitures de patrouille au cours des dernières années, et les trois véhicules étaient donc comptabilisés dans la nuit de dimanche. Or, il semble que la GRC n’était pas au courant que le tueur avait acheté un quatrième ancien véhicule de police.

Selon les documents de la police, le tueur a quitté Debert dimanche à l’aube, à 5 h 43, et il a parcouru 60 km jusqu’à Wentworth, où il a tué deux hommes et une femme, à 6 h 29. À peu près au même moment, la conjointe de fait du tueur, Lisa Banfield, est sortie de sa cachette à Portapique et a alerté la police sur le fait que Wortman conduisait une réplique d’autopatrouille, dont elle a partagé une photo avec les enquêteurs.

La GRC a alors rapidement lancé un avis à tous les policiers de la Nouvelle-Écosse pour qu’ils soient à l’affût du tireur et de son véhicule. À 8 h 02, la GRC publie une brève déclaration sur Twitter confirmant publiquement pour la première fois qu’ils cherchaient « un tireur actif ». Cependant, un tweet sur le véhicule du suspect et l’uniforme de la GRC n’a été publié qu’à 10 h 17, près de 12 heures après que les agents de Portapique et les téléphonistes du 911 ont été informés de l’existence du véhicule aux couleurs de la GRC.

« En reliant les pointillés de toutes ces hypothèses, de toutes ces petites erreurs, même si elles sont compréhensibles, on commence à avoir une idée de la façon dont ce type a pu se promener, sans être embêté, dans toute la province pendant 13 heures », soutient Me Scott.