(Ottawa) La lieutenante-colonelle Sarah Heer est horrifiée de voir, à distance, que des amis et des camarades qu’elle a contribué à former dans l’armée ukrainienne il y a un an sont maintenant obligés de se battre pour leur pays.

Mme Heer a terminé l’hiver dernier son mandat de commandante de la mission d’entraînement militaire du Canada en Ukraine, et elle est maintenant rentrée au pays. Mais malgré la distance, le conflit semble très proche pour elle et pour des centaines d’autres militaires canadiens qui ont été présents là-bas ces dernières années.

« C’est très difficile parce qu’une partie de notre rôle en Ukraine consistait à tisser des liens, c’est ainsi que nous établissons la confiance, explique Mme Heer dans une entrevue. On ne regarde pas seulement des gens avec qui on a travaillé : on regarde nos amis traverser tout cela. »

Elle rappelle que tous ceux qui travaillaient en Ukraine s’inquiètent du fait que leurs amis et alliés se battent actuellement, et ils font de leur mieux pour les encourager, tout en observant les évènements avec un mélange de peur et de fierté.

« C’est tellement inspirant, dit-elle. C’est difficile. C’est atroce et difficile de regarder ce qui se passe. Mais je pense que tous les soldats des Forces armées canadiennes peuvent aussi être motivés et inspirés par ce qu’ils voient en Ukraine. »

Le Canada avait établi une mission d’entraînement militaire en Ukraine en 2015. Il s’agissait alors d’une réponse directe à l’annexion par la Russie de la péninsule de Crimée et à la fourniture par Moscou d’armes, de munitions et même de troupes aux séparatistes prorusses dans l’est de l’Ukraine.

Le but de la mission canadienne, qui a évolué à plusieurs reprises avant d’être suspendue avant l’invasion de la Russie, était d’aider l’Ukraine à transformer son armée postsoviétique en une force de combat moderne capable de défendre le pays. Cette formation militaire est maintenant mise à l’épreuve, alors que les Ukrainiens se battent pour protéger leur pays, pendant que le reste du monde observe.

Mme Heer avait pris le commandement de cette mission de formation en septembre 2020. Pendant les six mois suivants, elle et 200 autres soldats canadiens ont travaillé avec les militaires ukrainiens, leur enseignant les subtilités du métier.

En contact avec les Ukrainiens

La lieutenante-colonelle Melanie Lake a pris le relais du commandement en mars 2021. Elle dit être en contact quotidien avec les Ukrainiens qu’elle a connus lors de son déploiement, ce qui a contribué à contrer une partie de l’impuissance qu’elle et d’autres ressentent.

« Nous avons tous traversé une gamme d’émotions en nous sentant comme si nous souhaitions pouvoir en faire plus », déclare Mme Lake. « Ainsi, la plupart des gens, comme le reste des Canadiens, cherchent simplement tout ce qu’on peut faire pour aider. Qu’il s’agisse simplement de prendre des nouvelles ou d’envoyer un petit message de soutien, ou d’essayer de collecter des fonds ou (de rassembler) du matériel pour l’envoyer là-bas », ajoute-t-elle.

Pourtant, mêlé à l’inquiétude pour leurs anciens camarades, les deux officières soulignent le sentiment de fierté à l’égard de la performance de leurs anciens élèves et du rôle que le Canada a joué pour les aider à se préparer pour ce moment dramatique.

« Je ne voudrais certainement pas m’attribuer le mérite de la détermination que vous voyez et de la volonté de combattre que vous voyez de la part du peuple ukrainien et des forces armées ukrainiennes, a déclaré Mme Heer. Mais je pense que lorsqu’on regarde notre mission canadienne […] et ce qui se passe en ce moment, on voit des avantages tangibles. »

Par exemple, les formateurs canadiens avaient prêché à leurs homologues ukrainiens l’importance de la décentralisation, notamment l’autonomisation et la confiance des subalternes en ce qui concerne l’information et la prise de décisions.

Non seulement une telle approche a aidé l’armée ukrainienne à se défendre sur plusieurs fronts, disent les officières canadiennes, mais elle a permis à la force de rester agile et d’opérer d’une manière inattendue pour les Russes.

« Regardez ces équipes de “chasseurs de chars”, de petites unités, de petites équipes qui sortent avec certaines des armes blindées légères données par l’OTAN, explique Mme Lake. On leur donne un pouvoir discrétionnaire et on leur donne un but. Et ils sortent et font beaucoup de choses. »

Ce qui ne veut pas dire que ces images sont faciles à regarder. Mme Lake a été dévastée de voir que le cœur culturel de la deuxième plus grande ville du pays, Kharkiv, avait été touché par un barrage meurtrier de missiles et de roquettes russes la semaine dernière.

« Il semblait tout simplement impossible que quelque chose puisse se produire dans cet endroit magique. C’était comme l’endroit le plus heureux d’Ukraine, dit-elle. C’est tellement difficile d’imaginer maintenant que cet endroit, qui était si heureux, est bombardé et touché par des missiles de croisière. »

Malgré leur intérêt manifeste pour cette guerre en Ukraine, les lieutenantes-colonelles Heer et Lake restent toutes les deux concentrées sur leurs rôles actuels. Mme Lake commande le 2e Régiment du génie, à Petawawa, en Ontario. Mme Heer, de son côté, prépare son unité d’artillerie pour un éventuel déploiement en Lettonie, où le gouvernement fédéral a récemment promis de renforcer un groupement tactique de l’OTAN dirigé par le Canada.