Des petits éleveurs se battent pour pouvoir produire des œufs de poules de race sans être soumis au plan conjoint des Producteurs d’œufs d’incubation du Québec. Ces éleveurs reviennent ce vendredi devant la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec, le tribunal administratif appelé à trancher ce litige.

« On demande d’être exclus du plan conjoint des Producteurs d’œufs d’incubation quand on ne vend pas nos œufs fécondés à des couvoirs. Tant qu’on ne vend pas à des couvoirs, on ne comprend pas dans quelle mesure on est en concurrence », fait valoir Dominic Lamontagne, qui a témoigné devant la Régie cette semaine.

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Dominic Lamontagne, éleveur de poules à Sainte-Lucie-des-Laurentides

Auteur de La ferme impossible, un essai dénonçant les règles de mise en marché qui limitent les petites fermes, M. Lamontagne élève des hybrides des races Chantecler blanche, Chantecler perdrix et Cochin blanche, soit quelques dizaines de poules et trois ou quatre coqs, à Sainte-Lucie-des-Laurentides.

Les Producteurs d’œufs d’incubation du Québec (POIQ), une fédération de l’Union des producteurs agricoles du Québec (UPA), gèrent la mise en marché des œufs dits d’incubation. Ces œufs fertilisés sont fournis à des couvoirs, qui les font éclore pour obtenir les poussins destinés à produire des poulets à chair et des poules pondeuses d’œufs de consommation.

L’audience devant la Régie a été convoquée à la suite du tollé suscité par un nouveau règlement des POIQ, entré en vigueur en août dernier.

Ce règlement ciblait, pour la première fois de façon explicite, les « races de fantaisie », expression peu appréciée des petits éleveurs, qui parlent plutôt de « poules de race » ou, tout simplement, de « poules ».

En vertu de ce règlement, les éleveurs auraient besoin d’un contingent des POIQ pour pouvoir posséder plus 15 femelles et 5 mâles reproducteurs, et produire annuellement plus de 500 œufs d’incubation de races de fantaisie.

« Ça nous met carrément en situation illégale parce qu’on a plus de sujets que ce qui est autorisé », dénonce Marlène Bonneville, propriétaire de la ferme Feathers & Pines, qui élève quelque 70 pondeuses et une trentaine de coqs à Saint-Roch-de-Mékinac, en Mauricie. La majorité de sa clientèle est composée de particuliers, et elle ne vend pas à des couvoirs. « On considère qu’on n’a jamais été visés par ça », dit-elle au sujet du plan conjoint de la fédération.

Les POIQ, qui ne veulent pas donner d’entrevue avant la fin des audiences, nous ont dirigée vers leurs documents déposés à la Régie.

S’il n’y a jamais eu d’intervention auprès des petits éleveurs depuis les débuts du plan conjoint, en 1981, c’est que « la perception des POIQ était que la production d’œufs d’incubation par des personnes ne détenant pas de quota était marginale », indiquent-ils dans leur mémoire.

La production d’œufs d’incubation dans de petits élevages « doit être possible », mais il est important qu’elle soit « menée en conformité avec des normes justifiées et un encadrement », plaident-ils.

Contre-propositions

Les POIQ proposent plusieurs modifications au règlement contesté. Par exemple, seuls les éleveurs produisant entre 6000 et 30 000 œufs d’incubation par an d’une « race reconnue » devraient obtenir un contingent. Ceux qui produisent entre 1000 et 6000 œufs d’incubation pourraient être exemptés du plan conjoint, à certaines conditions – ne pas vendre à des couvoirs ni à des détenteurs de quotas ou de contingent, suivre une formation sur la biosécurité, fournir un relevé annuel de leurs production et des ventes par races, notamment.

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Poules et coqs appartenant à l’éleveur Dominic Lamontagne, à Sainte-Lucie-des-Laurentides

Accepter les offres et le contrôle de la fédération, « c’est embarquer dans une relation abusive », objecte M. Lamontagne. « Qu’est-ce qui nous assure que dans l’avenir, un prochain conseil d’administration ne va pas choisir autre chose ? »

Un élevage de 99 pondeuses (le maximum permis sans quota) peut facilement donner 23 000 œufs par an, dit M. Lamontagne, qui estime en produire lui-même plus de 11 000 avec une cinquantaine de poules. Les demandeurs craignent que chaque œuf fécondé, donc ayant la possibilité d’être incubé, puisse être considéré comme un œuf d’incubation, y compris les œufs des poules appartenant à des particuliers.

Nombre imprécis

La requête faite à la Régie pour exclure les petits éleveurs du plan conjoint compte quelque 90 demandeurs, dont une trentaine tirent un revenu de leurs poules. Le nombre total de petits élevages québécois faisant le commerce d’œufs d’incubation au Québec n’est cependant pas connu. Il pourrait y en avoir une soixantaine, estime Mme Bonneville.

La Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique (CAPE) compte 200 fermes membres, dont une trentaine produisent, entre autres, des œufs d’incubation. Il faut qu’elles puissent offrir une diversité de produits agricoles sans avoir à « faire une gestion à la pièce » des exigences d’une multitude de plans conjoints, a plaidé la CAPE devant la Régie. La ferme de proximité diversifiée, « c’est un modèle qui correspond à des attentes des citoyens », a rappelé le secrétaire de la CAPE, Léon Bibeau-Mercier, en entrevue.

Les audiences reprennent avec les témoignages des fédérations des éleveurs de volaille et des producteurs d’œufs. Les experts des parties sur les risques de maladies auxquels les élevages dits commerciaux et de basse-cour s’exposent mutuellement seront entendus la semaine prochaine. Des séances sont prévues jusqu’au 7 mars.