Qu’est-ce que la « Thin Blue Line », ce symbole qui « divise » la population selon la mairesse Valérie Plante ? Aperçu sur l’uniforme de patrouilleurs montréalais, cet écusson fait l’objet d’une révision éthique au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), pendant que d’autres corps policiers l’autorisent… ou l’interdisent. Tour de la question en quelques points.

Du Royaume-Uni au Canada

Provenant à l’origine du Royaume-Uni, cet unifolié barré d’une mince ligne bleue, qu’on appelle la « Thin Blue Line », se veut un symbole de soutien aux forces de l’ordre, et plus particulièrement une façon de commémorer les policiers morts en service. Au sens large, l’écusson incarne le rôle central qu’ont les policiers dans le maintien de l’ordre social et de la sécurité des citoyens. Il est porté par des policiers aux États-Unis, en Belgique et en Suisse. À Montréal, des patrouilleurs du SPVM le portent aussi, comme ailleurs au Québec. Il y a deux semaines, des images captées par des internautes, à l’occasion d’une manifestation contre les mesures sanitaires, ont relancé le débat sur son utilisation.

Le fond de la controverse

Son utilisation est surtout controversée en raison de son association à des groupes d’extrême droite et de sa récupération contre le mouvement Black Lives Matter. La « Thin Blue Line » a en effet été aperçue à plusieurs reprises dans la foulée du contre-mouvement « Blue Lives Matter », qui, en français, est souvent traduit par « La vie des policiers compte ». Ce mouvement est né en 2014, aux États-Unis, à la suite du meurtre de deux policiers à Brooklyn. Il a depuis été placé en opposition au mouvement Black Lives Matter, notamment lors des émeutes de Ferguson et, plus récemment, après le meurtre de George Floyd.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Démystifier la « zone grise »

Selon Fo Niemi, cofondateur du Centre de recherche-action sur les relations raciales, la police doit « montrer une image de neutralité politique ». « On ne remet pas en question le symbolisme que ça a pour les patrouilleurs, mais quand il y a des perceptions différentes dans la population, c’est important qu’on l’entende. Sinon, on crée des zones grises dommageables à long terme », dit-il. Le directeur scientifique du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence, Louis Audet Gosselin, abonde en ce sens. « Les corps policiers ont besoin de maintenir des relations de confiance avec la population. Surtout auprès de certaines communautés où il y a une rupture de confiance, dont la communauté noire. Ce symbole est d’autant plus délicat qu’il y a beaucoup d’actes haineux visant cette communauté. Établir un lien fort avec ces populations, ça devient d’autant plus dur avec des symboles qui leur sont hostiles », indique-t-il.

Ce qu’en pense la police

À la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec, le président François Lemay rappelle que la « Thin Blue Line » est surtout un « devoir de mémoire ». « Ça touche des collègues au cœur. Pour eux, le policier mort, c’est un ami, un collègue. Cet écusson, on le distribue dans les funérailles de patrouilleurs. Ça a une forte symbolique », glisse-t-il. Avouant que le logo peut résonner autrement pour certains, il affirme que « l’interdire reviendrait à donner raison aux groupes qui se le sont réapproprié ». « L’écusson était porté bien avant George Floyd. Et ça ne remettait rien en question. Tout ce qu’on veut, c’est se souvenir de nos confrères », plaide-t-il.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

« Créer le dialogue »

Sara Tousignant, porte-parole de la police de Blainville, qui autorise ses policiers à porter ce symbole, rappelle que « ce logo existe depuis six ou sept ans ». « En aucun cas, nos policiers ont l’idée que ça définit la ségrégation entre des groupes. C’est strictement l’idée que la police est entre la population et les criminels. On trouve ça dommage qu’il ait été dénaturé », dit-elle. La Ville de Repentigny, de son côté, ne dispose pas de « directives » sur ce symbole, mais promet d’avoir des « réflexions » à ce sujet. « Nous sommes conscients que certains groupes racistes se sont approprié ce symbole. […] Il nous amène à revoir sa signification et nous le ferons dans le cadre des espaces de concertations », explique la porte-parole, Marie-Christine Garon, en disant vouloir « créer le dialogue » pour « éviter des incompréhensions ».

La GRC dit non, le SPVM réfléchit

Jusqu’ici, la « Thin Blue Line » est interdite par certains corps de police, dont la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et la Police provinciale de l’Ontario. La Ville de Bromont a aussi choisi de retirer le symbole il y a quelques jours. À Montréal, le SPVM se dit toujours en réflexion, ayant mandaté un comité éthique qui se penche sur la question depuis plusieurs mois. La police montréalaise dit vouloir « s’assurer de rendre une décision réfléchie, éthique et objective, qui profitera à l’ensemble de la communauté policière », mais indique qu’aucune « date précise pour la fin des travaux du comité » n’est encore prévue. À Québec, le cabinet de la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, refuse de se prononcer, indiquant qu’il « revient aux corps de police de déterminer et d’appliquer les règles concernant leurs uniformes ».

En savoir plus
  • Ce que dit la loi
    Selon l’article 263,1 de la Loi sur la police, tout policier doit « porter l’uniforme et l’équipement fournis par l’employeur dans leur intégralité, sans y substituer aucun élément ». Il ne peut donc « les altérer, les couvrir de façon importante ou de façon à en cacher un élément significatif, ni nuire à l’usage auquel ils sont destinés ». Mais une exception existe : cela peut être toléré « sous réserve d’une exemption législative » ou encore d’une autorisation « du directeur du corps de police » ou d’une autre autorité compétente.
    Source : gouvernement du Québec