D’ici la fin de l’année, les producteurs laitiers canadiens devront appliquer un nouveau code de pratiques à la ferme. Élevage des veaux en groupe, séances d’exercice pour les vaches, agrandissement des stalles trop petites pour les gros bovins… Y aura-t-il révolution à l’étable ?

Avancer à tout petits pas

En ce matin de 2022, cette pinte qui traîne sur votre comptoir contient du lait fort probablement produit dans une étable où les vaches ruminent dans des stalles individuelles d’où elles ne sortent pas souvent, voire jamais. À part pour les producteurs biologiques, rien n’oblige en ce moment un producteur laitier à envoyer ses vaches se balader pour qu’elles se délient les pattes.

Pourtant, les bienfaits de l’exercice physique chez l’humain ne sont plus à démontrer, et ceux chez les vaches laitières non plus : de nombreuses études scientifiques confirment que les vaches qui marchent sont en meilleure santé. C’est pourquoi le tout nouveau code de pratiques qui entrera en vigueur d’ici la fin de l’année exigera dorénavant que les producteurs laitiers fassent faire de l’exercice à leurs vaches. Combien de temps d’exercice ? À quelle fréquence ? Faut-il les faire marcher tous les jours ? Une fois par semaine ? Une fois toutes les deux semaines ? À l’intérieur ou à l’extérieur ? Sur une litière de paille ou dans un pâturage ?

Ça, ce n’est pas précisé.

« Mais c’est une étape très importante qui a été franchie », insiste la chercheuse Elsa Vasseur, professeure au département des sciences animales de l’Université McGill et coprésidente du comité scientifique qui a participé à l’élaboration des nouvelles exigences canadiennes.

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

Elsa Vasseur, professeure au département des sciences animales de l’Université McGill

La révision du nouveau code de pratiques pour l’élevage des bovins laitiers canadien est entrée dans sa dernière phase qui mènera à son adoption, à la fin de 2022. Chapeauté par le Conseil national pour les soins aux animaux d’élevage, ce code, révisé tous les 10 ans, constitue la base du programme canadien de certification obligatoire « ProAction » auquel souscrivent tous les producteurs laitiers.

Qu’est-ce qui a changé entre 2009, date de publication du dernier code, et la nouvelle version préliminaire publiée à la fin de l’automne ? Dans une revue de littérature scientifique présentée aux membres du comité de révision, les experts ont fait le point sur les questions de bien-être des bovins laitiers. Le comité, formé de représentants des producteurs, des transformateurs, de vétérinaires et d’autres spécialistes de l’élevage bovin, a ensuite discuté de ces enjeux pour en arriver à un consensus sur les nouvelles normes.

Des normes qui, parfois, ne vont pas aussi loin que ce que la science du bien-être animal a permis d’apprendre jusqu’ici (voir onglet suivant).

Néanmoins, Elsa Vasseur y voit du progrès.

Je ne connais aucun autre pays dans le monde où on assoit ensemble tous les acteurs de la filière laitière jusqu’à ce qu’on soit d’accord sur une pratique. Ça n’existe nulle part ailleurs.

Elsa Vasseur, professeure au département des sciences animales de l’Université McGill

Le code intègre plusieurs nouveaux éléments de bien-être animal, comme l’élevage des veaux en paire, ou en groupe, au lieu de les isoler chacun dans une stalle. Ou encore l’obligation de sortir les vaches de leur stalle exiguë pour qu’elles puissent vêler à leur aise dans un plus grand espace.

Mais sur d’autres points, comme le bénéfice de plus en plus avéré de garder le veau près de sa mère au lieu de l’en séparer, il faudra vraisemblablement attendre la prochaine révision, à la fin de la décennie…

Le temps de changer

Même si le code entrera en vigueur à la fin de l’année, bon nombre des nouvelles normes ne deviendront obligatoires qu’en 2029, voire 2033.

« C’est trop long, surtout en considérant l’impact que ces pratiques ont sur le bien-être animal », dit l’avocate Sophie Gaillard, directrice de la défense des animaux et des affaires juridiques à la SPCA de Montréal.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Me Sophie Gaillard, directrice de la défense des animaux et des affaires juridiques à la SPCA de Montréal

En Europe et dans plusieurs États américains, le logement individuel des veaux est interdit depuis des années. Ce sont des changements qui auraient déjà dû commencer à être mis en place au Québec depuis longtemps.

Sophie Gaillard, directrice de la défense des animaux et des affaires juridiques à la SPCA de Montréal

Pour l’organisme voué à la protection des animaux, le fait que le nouveau code n’interdise pas de façon explicite la stabulation entravée et l’enchaînement des vaches à l’intérieur de leur stalle est inacceptable. « C’est une pratique encore très courante au Canada, mais encore plus commune au Québec », dit-elle.

Au Québec, où se trouvent près de la moitié de toutes les fermes laitières canadiennes, le logement des vaches en stabulation entravée est toujours la norme dans neuf étables sur dix. Un peu plus de 600 étables québécoises pratiquent la stabulation libre.

Mais changer les façons de faire prend du temps, plaide notamment l’agronome Steve Adam, de Lactanet, un organisme d’analyse pour l’industrie laitière.

PHOTO FOURNIE PAR LACTANET

Steve Adam, agronome chez Lactanet

Il donne l’exemple de l’obligation d’élever les veaux en groupe pour leur permettre de socialiser et diminuer leur niveau de stress. « On les gardait séparés parce que c’était plus simple pour gérer la transmission de maladies », dit-il. « Mais mettre les veaux en groupe, ça vient avec un savoir-faire pour que ça se passe bien », rappelle-t-il, insistant sur l’importance pour le producteur d’être accompagné dans cette transition par un spécialiste.

Certaines plus petites fermes devront également agrandir leurs installations pour répondre aux nouvelles normes – une démarche souvent complexe en raison des permis exigés, de la disponibilité de la main-d’œuvre de construction et, bien sûr, des coûts importants d’un tel investissement. « Il y en a qui ne pourront pas suivre, c’est sûr, dit M. Adam. Ça aura beaucoup d’impact. »

Mais beaucoup d’autres producteurs laitiers sont en avance sur les autres et mettent déjà en pratique les exigences du nouveau code. Leur exemple prouve que ces pratiques peuvent maintenant être étendues à l’ensemble des fermes laitières, note Elsa Vasseur.

« C’est important de donner un certain temps aux producteurs pour s’assurer qu’ils adoptent les pratiques », dit-elle. « La pire chose qui pourrait arriver serait de penser que les gens devraient être capables de modifier leurs pratiques en très peu de temps, et que ça se termine par un échec. C’est extrêmement difficile d’avoir une perception positive sur de nouvelles pratiques lorsqu’on a échoué. »

Consultez la version préliminaire du nouveau Code de pratiques pour l’élevage des bovins laitiers canadien

Où logent les vaches canadiennes ?

Stabulation entravée

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Étable où les vaches sont logées en stabulation entravée

Mode de production où chaque vache est confinée à sa stalle et retenue par une chaîne ou une barre. La majorité des fermes laitières de l’est du Canada (à l’exception de Terre-Neuve-et-Labrador) fonctionnent sur ce modèle.

Stabulation libre

PHOTO ANDRÉ PICHETTE ARCHIVES LA PRESSE

Étable où les vaches sont en stabulation libre

Mode de production où les vaches ne sont pas attachées à une stalle et circulent librement à l’intérieur des installations. C’est le modèle le plus répandu dans les fermes de l’Ouest canadien.

Le Québec, champion de la vache confinée

Nombre total de fermes laitières dans la province/pourcentage des étables en stabulation entravée

  • Québec : 4766/91 %
  • Ontario : 3367/67 %
  • Alberta : 503/7 %
  • Colombie-Britannique : 468/4 %
  • Canada : 10 095/73 %

Source : Statistique Canada, 2020

18 %

Proportion des fermes laitières québécoises où les vaches en lactation ont accès à un pâturage ou une cour d’exercice (mode stabulation entravée)

40 %

Proportion des fermes laitières québécoises qui élèvent déjà les veaux non sevrés en groupe

Source : Portrait des fermes laitières québécoises, Lactanet, 2021

Écouter la science… ou pas

PHOTO MATHIEU BELANGER, ARCHIVES LA PRESSE

Le nouveau code de pratiques de l’industrie s’inspire, en partie seulement, de l’état des connaissances scientifiques sur la santé des bovins.

Avant de rédiger le nouveau code de pratiques, les membres du comité ont consulté une revue de l’état des connaissances scientifiques préparée par des chercheurs et des vétérinaires. La comparaison entre les deux documents permet de voir quels sont les éléments qu’ont retenus – ou pas – les membres du comité de révision, principalement issus de l’industrie.

Faut-il séparer les veaux des mères ?

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

L’enjeu controversé de la séparation des veaux de leur mère brille par son absence dans le nouveau code de pratiques de l’industrie.

Ce que dit la science

Les veaux sont habituellement séparés rapidement de leur mère pour éviter qu’ils ne boivent le lait réservé à la production laitière. Pour le grand public, cette pratique est l’une des plus controversées de la production laitière, rappelle le comité scientifique dans son rapport. Sur ce large sujet, les conclusions scientifiques sont multiples. Un veau séparé de sa mère moins de 24 heures après sa naissance présentera moins de signes d’anxiété que s’il est séparé plus tardivement. Mais celui qui tétera sa mère plus longtemps prendra du poids plus rapidement et présentera moins de « comportements oraux anormaux ». Les vaches qui gardent leur petit plus longtemps à leurs côtés souffrent moins de mammites (inflammation des mamelles du pis). Mais surtout : il n’y a pas de preuve scientifique selon laquelle la séparation du veau et de sa mère modifie la production de lait à la ferme. Un veau qui tète au pis boira du lait qui aurait normalement été vendu par le producteur. Mais s’il en est séparé, le producteur devra donner au veau des aliments de substitution qui, eux aussi, ont un coût non négligeable…

Ce que dit le nouveau code

Cet enjeu brille par son absence dans le nouveau code, déplore la SPCA. Le code reprend essentiellement les exigences déjà en place depuis 2009 concernant l’alimentation des veaux, sans évoquer l’évolution des connaissances scientifiques à ce sujet.

De l’importance de se délier les pattes

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Les vaches qui sortent à l’extérieur souffrent moins de maladies et de blessures, et ont une meilleure santé reproductive.

Ce que dit la science

Les vaches ont besoin d’exercice pour garder la forme. Celles qui sortent à l’extérieur souffrent moins de boiterie, de blessures aux jarrets ou aux onglons, ont une meilleure santé reproductive et moins de problèmes de pis. Sans surprise, celles qui ont accès à un espace extérieur (comme un pâturage) marchent davantage que celles qui restent dans l’étable, même si elles sont libres de s’y promener.

Ce que dit le nouveau code

« Les bovins ont clairement intérêt à se mouvoir librement à intervalles réguliers », indique le code, sans toutefois définir ce que sont des « intervalles réguliers ». Le producteur est encouragé à adopter le mode de stabulation libre ou, du moins, donner un « accès régulier » à un pâturage ou une cour d’exercice « lorsque la météo et les conditions le permettent ». Une vache logée en stabulation entravée aurait donc dorénavant l’occasion de sortir dans un pâturage ou de fréquenter une « cour d’exercice »… mais à une fréquence et pour une durée encore indéterminées.

Combien de pas fait une vache ?

  • • Stabulation entravée : 748 pas/jour
  • • Stabulation libre à logettes : 2353 pas/jour
  • • Stabulation libre avec accès à un pâturage : 3390 pas/jour

Source : revue de littérature scientifique CNSAE

Des stalles trop petites pour les vaches moyennes

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Une vache coincée dans une stalle trop petite risque davantage de se blesser ou d’avoir du mal à se coucher confortablement.

Ce que dit la science

Est-ce parce que les stalles sont trop petites, ou que les vaches sont trop grosses ? Peu importe : plus de la moitié des vaches canadiennes en stabulation entravée logent dans des stalles dont les conditions ne répondent pas aux recommandations du code de 2009. En stabulation libre, seules 35 % des vaches tiennent dans une stalle conçue pour une vache de taille moyenne. « Plusieurs des problèmes constatés en stabulation libre et entravée s’expliquent probablement par le fait que la taille des stalles ne correspond pas aux dimensions corporelles des vaches », estime le comité d’experts. Une vache coincée dans une stalle trop petite risque davantage de se blesser ou simplement d’avoir du mal à se coucher confortablement.

Ce qu’exige le nouveau code

« Les stalles et leurs composants doivent être compatibles avec la taille des bovins, à savoir que l’animal doit pouvoir se reposer confortablement, se lever et se coucher facilement, et doivent réduire les risques de boiterie et de blessures », est-il précisé.

Consultez la revue de littérature préparée par le Comité scientifique du code de pratiques pour les bovins laitiers