Les policiers ont commencé à procéder à des arrestations ciblées en fin de journée, jeudi, au 21e jour de la manifestation qui paralyse le centre-ville d’Ottawa. Les interventions n’ont pas freiné l’enthousiasme des manifestants, qui demeurent convaincus que les policiers « sont de leur bord » et qu’ils « ne vont jamais mettre fin » au convoi.

Florentina Deaconu, assise dans son auto stationnée devant le parlement, est inébranlable. « Les policiers, ce sont nos frères et nos sœurs. Ils assurent notre sécurité. Ils ne vont jamais mettre fin [au convoi]. C’est la nouvelle réalité maintenant », affirme la Montréalaise arrivée dans la capitale il y a 22 jours. Elle n’a pas bougé depuis.

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Florentina Deaconu

Quelques mètres plus loin, Dave Subranni, responsable d’une tente qui distribue du café et des chocolats chauds aux manifestants, abonde dans le même sens. « Les policiers sont de notre côté. Ils n’ont rien contre nous autres. On fait juste se donner des câlins », dit-il.

Des agents de la Sûreté du Québec, de la police provinciale de l’Ontario et d’autres corps policiers sont venus prêter main-forte jeudi à la police locale. Deux organisateurs clés du « convoi de la liberté » ont été arrêtés en fin de journée. Les policiers ont d’abord appréhendé Chris Barber. Par la suite, ils ont interpellé Tamara Lich. Le Service de police d’Ottawa n’avait pas confirmé leur arrestation, jeudi soir, mais des images et des vidéos des deux scènes ont été relayées sur les réseaux sociaux.

D’autres manifestants ont été arrêtés. Les forces de l’ordre semblaient ainsi procéder de façon chirurgicale à travers la foule, se déplaçant en groupe. Mais ils étaient beaucoup moins visibles à la tombée de la nuit, alors que les flocons commençaient valser dans le ciel d’Ottawa et que le vent se levait sur la capitale.

En fin de soirée, les occupants d’un camion ont quitté de son plein gré la rue Wellington, escortés par la police. Une foule de manifestants a suivi le poids lourd en criant « Liberté ! ». L’un d’entre eux a tendu le bras vers la fenêtre du véhicule pour offrir un billet de 20 $ au conducteur.

Mettre le plan à exécution

Peu de temps avant le début de l’opération, le chef intérimaire de la police d’Ottawa (SPO), Steve Bell, annonçait que les forces de l’ordre s’apprêtaient à mettre leur plan à exécution pour mettre fin à la « manifestation illégale » dans les rues du centre-ville. « Nous avons gonflé nos ressources, nous avons développé des plans clairs, et nous nous préparons à agir, a-t-il affirmé en conférence de presse. L’intervention est imminente. »

Dans les rues de la capitale, on a érigé des barrières en métal pour protéger des édifices parlementaires. Un périmètre a également été érigé autour du centre-ville et la police a créé une zone sécurisée qui s’étend sur plusieurs kilomètres, avec plus d’une centaine de points de contrôle pour empêcher d’autres manifestants de grossir les rangs de ceux qui s’y trouvent déjà.

Le chef par intérim Steve Bell s’est adressé directement aux manifestants. « Ne venez pas dans notre centre-ville, a-t-il dit. Nous en avons assez de ce qui se passe là-bas, nous en avons assez de ce qui se passe dans nos rues, alors allez-vous-en. »

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Steve Bell, chef intérimaire de la police d’Ottawa

Ce week-end va être très différent des trois derniers.

Steve Bell, chef intérimaire de la police d’Ottawa

Les résidants du quartier et les personnes qui y travaillent pourront accéder au périmètre et circuler librement, a assuré le chef Bell. « Nous sommes engagés à vous redonner vos rues et à ce que les choses reprennent leur cours normal », a-t-il déclaré. Ceux qui voudront quitter la zone sécurisée pourront le faire à tout moment. « Nous voulons mettre un terme à cette manifestation illégale de façon pacifique et en toute sécurité », a-t-il continué.

Il n’a pas voulu préciser combien de camions la police espérait pouvoir enlever durant cette opération, mais a indiqué qu’il ne voyait « aucun problème avec la capacité d’enlever les véhicules ».

Avertissements

La police a remis plusieurs avertissements depuis mercredi pour demander aux manifestants de quitter les lieux. Les contrevenants s’exposent à des amendes pouvant atteindre 5000 $ et à une peine de prison maximale de cinq ans, selon la gravité de l’infraction.

« Ils sont venus me donner le papier, mais je ne fais rien d’illégal. Je ne pense pas que c’est illégal de donner du chocolat chaud aux petits enfants », lance Dave Subranni.

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Claude Guay (à gauche) et Dave Subranni

« En plus, la lettre n’était même pas signée. Ça veut dire que ça n’est pas officiel », renchérit son ami Claude Guay, d’Oka, à son côté. Les deux hommes ne comptent pas partir de sitôt. « J’ai pas le goût de retourner m’asseoir dans mon salon », dit M. Subranni.

Les organisateurs du « convoi de la liberté » ont publié une lettre ouverte sur les réseaux sociaux jeudi adressée aux élus. Ils exigent la fin de la vaccination obligatoire et du passeport vaccinal. « Plusieurs d’entre nous n’ont rien à perdre, ont-ils écrit. C’est notre lignée tracée dans le sable. »

La SQ arrive en renfort

Des agents de la Sûreté du Québec (SQ) sont venus gonfler les rangs policiers à Ottawa. Des sources au sein de la SQ ont confirmé à La Presse que la Police provinciale de l’Ontario (OPP) avait demandé l’aide de la SQ et d’autres corps de police afin d’appuyer la police d’Ottawa chargée de libérer la capitale nationale soumise à un blocus de manifestants opposés aux mesures sanitaires depuis maintenant trois semaines.

Des spécialistes en manifestation et en contrôle de foule, et des équipes d’urgence de la Sûreté du Québec ont été dépêchés à Ottawa jeudi et ont prêté serment afin d’être habilités à agir en Ontario.

« Il y aura des interventions très structurées et cadrées à court terme. Les policiers de la Sûreté du Québec sont habitués à faire face à des manifestations et nos policiers ont souvent démontré leur expertise », a confié à La Presse une source policière qui a requis l’anonymat, car elle n’est pas autorisée à parler aux médias dans ce dossier précis.

On ne sait pas combien de policiers de la SQ seront dépêchés à Ottawa. En revanche, la SQ assure qu’elle a suffisamment d’effectifs pour également être présente à Québec, où une autre manifestation est prévue samedi.

Participation de membres des Forces armées

Neuf membres des Forces armées canadiennes sont apparus sur l’écran radar des autorités pour leur participation aux manifestations du « convoi de la liberté ». L’un d’eux a été reconnu coupable d’une infraction qui lui a valu une amende de 500 $, et les huit autres enquêtes sont toujours en cours, a indiqué jeudi un porte-parole de la Défense nationale, Daniel Le Bouthillier. À ces enquêtes s’en ajoutent deux autres concernant des membres de la police militaire, a-t-il ajouté. En conférence de presse à Bruxelles, jeudi, la ministre de la Défense nationale, Anita Anand, s’est bornée à dire que les membres des Forces armées étaient soumis à un code de conduite, notamment en ce qui touche « l’expression publique des expressions politiques ». La ministre a par ailleurs rappelé que « plus de 98 % » des membres des Forces armées ont attesté qu’ils étaient entièrement vaccinés – ils étaient tenus de le faire en raison de l’obligation décrétée par le gouvernement fédéral.

Poursuite de 306 millions contre les organisateurs

L’avocat Paul Champ, derrière la demande d’injonction d’une jeune résidante d’Ottawa, récidive. Il intente une action collective contre les organisateurs du « convoi de la liberté », les camionneurs stationnés au centre-ville et les donateurs au nom des résidants, des propriétaires d’entreprises et des travailleurs. « Chaque jour additionnel constitue un autre 15 millions qui s’ajoute en dommages, pertes de revenus et pertes de salaire », a-t-il écrit sur Twitter. Il demande aux personnes à l’intérieur de la zone d’occupation de documenter leurs pertes et de lui en faire part pour étayer son action judiciaire.