Quelque 1370 manifestations. Des dizaines de milliers de grévistes étudiants. Il y a 10 ans, la hausse des droits de scolarité annoncée par le gouvernement libéral de Jean Charest a déclenché un mouvement de contestation sans précédent. Au prix de blessures et d’arrestations, les protestataires ont eu gain de cause au terme de cette époque désormais consacrée comme le printemps érable.

« À qui la rue ? À nous la rue ! »

Pour certains, le printemps érable s’est passé dans la rue, que ce soit dans la centaine de manifestations nocturnes, dans les rassemblements monstres du 22 de chaque mois ou dans les coups d’éclat qui ont parfois dérapé. En 2012, ils sont des milliers à avoir manifesté – parfois matin, midi et soir – pour bloquer la hausse des droits de scolarité et réclamer une société plus égalitaire.

Le 7 février 2012. L’amphithéâtre du collège de Salaberry-de-Valleyfield est rempli à craquer. L’ambiance est tendue. Les élèves se prononcent, à main levée, par une majorité de 12 voix en faveur d’une grève générale illimitée. Cette grève s’avérera la plus longue de l’histoire du Québec.

Tour à tour, les associations dans les cégeps et les universités s’expriment sur la hausse des droits de scolarité prévue par le gouvernement libéral de Jean Charest. Le 22 février, 62 000 étudiants sont en grève.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Manifestation étudiante du 23 février 2012 au centre-ville de Montréal

Le lendemain, des étudiants, mais aussi des parents, des grands-parents et des bambins en poussette marchent du square Phillips jusqu’à la place Émilie-Gamelin. Ils sont environ 15 000. La foule, vêtue de rouge, brandit des pancartes, chante des slogans et crie sa colère sous le viaduc Berri.

Louis-Olivier Desmarais, qui a participé à plus de 50 manifestations en 2012, repense souvent à « l’effervescence sociale » qui animait les rues de Montréal pendant la grève étudiante. L’ancien étudiant en musique parle d’une période qui a marqué sa vie.

  • Louis-Olivier Desmarais, aujourd'hui

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Louis-Olivier Desmarais, aujourd'hui

  • Louis-Olivier Desmarais lors d'une manifestation nocturne, en 2012

    PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

    Louis-Olivier Desmarais lors d'une manifestation nocturne, en 2012

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« Clairement, la grève étudiante a changé la personne que je suis aujourd’hui. Je suis convaincu que le citoyen que je suis a été façonné par mon implication d’il y a 10 ans », dit celui qui travaille désormais comme créateur sonore.

Guillaume Lépine, instigateur de l’École de la montagne rouge, un collectif d’étudiants en arts visuels et en design graphique qui a créé des dizaines d’affiches et de slogans en 2012, parle d’un moment marquant pour les jeunes de sa génération.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Guillaume Lépine, 3e à partir de la gauche, avec les membres de l’École de la montagne rouge, en 2012 : Cyrus Lognonné, Pierre-Oliver Hivon, Shayne Tupper, Olivier Charland, Eliot B. Lafrenière et Valérie Darveau

« C’était un mouvement hyper fort qui nous a montré la beauté de la collectivité, la beauté du vivre-ensemble […] C’est quelque chose qui me reste encore aujourd’hui, l’espérance d’un projet collectif », dit celui qui occupe un poste de professeur d’arts visuels à l’Université de Moncton.

Des manifestations et de la violence

À la fin de la manifestation du 23 février, un petit groupe prend la direction du pont Jacques-Cartier et bloque les voies dans les deux directions, en pleine heure de pointe. C’est un premier coup d’éclat parmi tant d’autres : le saccage du bureau de la ministre de l’Éducation, les fumigènes dans le métro, le blocage de la tour de Loto-Québec, la marche sur l’autoroute Métropolitaine, les sit-in des rues Sainte-Catherine, Saint-Denis ou encore Saint-Antoine.

Certains évènements virent en violents affrontements entre les protestataires et les policiers. C’est le cas de la manifestation près du Palais des congrès de Montréal, en avril, qui a lieu en marge du Salon Plan Nord. Lors de cette foire de l’emploi, le premier ministre prononce un discours dans lequel il fait référence aux manifestants. Il déclare : « On pourrait leur offrir un emploi… dans le Nord, autant que possible. »

  • Le 20 avril, la manifestation tenue à l'extérieur du Palais des congrès, où se trouve le premier ministre Charest, tourne à l'affrontement.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

    Le 20 avril, la manifestation tenue à l'extérieur du Palais des congrès, où se trouve le premier ministre Charest, tourne à l'affrontement.

  • Le 20 avril, la manifestation tenue à l'extérieur du Palais des congrès, où se trouve le premier ministre Charest, tourne à l'affrontement.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

    Le 20 avril, la manifestation tenue à l'extérieur du Palais des congrès, où se trouve le premier ministre Charest, tourne à l'affrontement.

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« [Cette déclaration] a mis le feu aux poudres », se rappelle Roch Deroy, qui coordonnait le groupe d’intervention du Service de police de la Ville de Montréal, en 2012.

Ç’a été parmi les moments les plus violents que j’ai vus dans ma carrière. Le nombre de policiers blessés, puis la violence exercée par les manifestants à gros coups de pic d’acier dans l’asphalte sur la rue Viger, à casser l’asphalte et à lancer ça.

Roch Deroy, coordonateur du groupe d’intervention du SPVM, aujourd’hui retraité

« Les jeunes étaient enragés, mais un peu avec raison », admet celui qui avait le devoir de rester neutre et de faire régner l’ordre, à l’époque.

Deux semaines plus tard, le Parti libéral du Québec tient son conseil général à Victoriaville. Des autobus jaunes convergent de partout vers l’hôtel Le Victorin. Les clôtures qui entourent les lieux sont renversées, en moins de deux minutes, par des protestataires révoltés. L’évènement tourne en émeute.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le 4 mai, de violents affrontements ont lieu à Victoriaville, où se tient le conseil général du Parti libéral.

Dix policiers et dix manifestants sont blessés, dont trois très gravement. Un étudiant perd un œil, un homme perd l’ouïe d’une oreille et une femme subit de multiples fractures à la mâchoire. Les gaz lacrymogènes, abondamment utilisés, incommodent 400 personnes lors de cet évènement.

« De manière quasiment inespérée, on n’a eu aucun mort à déplorer », souligne le rapport Ménard rédigé par la Commission spéciale d’examen des évènements du printemps 2012.

Un panda, des bananes et des casseroles

La loi 78 vient accentuer la grogne. Le 18 mai, le gouvernement adopte cette loi spéciale qui empêche la tenue de piquets de grève près des cégeps et des universités et qui oblige les manifestants à divulguer leur parcours. La Ville de Montréal adopte le même jour un règlement qui interdit le port du masque dans les manifestations.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

François-Olivier Chené

François-Olivier Chené, enseignant du cégep de Saint-Hyacinthe, invite les opposants à la loi 78 à taper sur une casserole, tous les soirs à 20 h, sur leur balcon. Sa publication, sur Facebook, devient virale.

« La tension a augmenté dans les jours qui ont précédé la loi spéciale. On commençait à voir des gens qui se décourageaient et d’autres qui allaient de plus en plus loin dans leurs moyens de pression », se rappelle M. Chené, qui s’est inspiré des concerts de casseroles organisés au Chili et ailleurs dans le monde.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Concert de casseroles dans les rues de Montréal en mai 2012

« Au départ, je le voyais comme une sorte d’obéissance civile ironique. Nous allions pouvoir continuer à manifester tout en respectant la loi spéciale », raconte celui qui faisait partie des Profs contre la hausse.

De son côté, Gabriel Marcoux-Chabot, étudiant à la maîtrise en littérature à l’Université Laval, a envie de faire plus que porter des carrés rouges. À la grande manifestation du 22 mai, il donne naissance à Banane rebelle, une mascotte inspirée d’Anarchopanda, un enseignant qui manifeste vêtu d’un costume de panda dans les rues de Montréal.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE BANANE REBELLE

Gabriel Marcoux-Chabot, alias Banane rebelle, en 2012

À l’époque, le gouvernement diabolisait les citoyens qui étaient impliqués dans le mouvement. Il donnait une impression de casseurs, de gens violents, de gens irresponsables. Je me suis dit que si la violence et l’intimidation des manifestants, c’était une grosse banane jaune, ça décrédibiliserait un peu le discours du gouvernement.

Gabriel Marcoux-Chabot, alias Banane rebelle

« On ne peut pas faire passer une banane jaune pour un dangereux criminel », ajoute celui qui s’est départi de son costume de banane le soir de la défaite de Jean Charest aux élections, le 4 septembre.

PHOTO ULYSSE LEMERISE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Anarchopanda lors d'une manifestation en avril

Gabriel Marcoux-Chabot affirme que pendant le printemps érable, il s’est permis de rêver à une société prônant de plus grandes valeurs sociales. Aujourd’hui, il est toutefois déçu de constater que son rêve est loin de s’être réalisé.

« Je n’ai pas l’impression qu’on a écouté la jeunesse à cette époque, se désole-t-il. J’ai l’impression que le mouvement a été comme un élan vers quelque chose, mais que la société a dit non et a mis le couvercle dessus. »

En chiffres

1370

Nombre de manifestations recensées au Québec en 2012, dont 532 à Montréal

3499

Nombre d'arrestations dans le cadre de ces manifestations

174

Nombre d'interventions d’Urgences-santé dans le cadre de manifestations à Montréal

Source : rapport de la Commission spéciale d’examen des évènements du printemps 2012

Une année fébrile et mouvementée

2011 

Le Parti libéral du Québec de Jean Charest annonce une hausse des droits de scolarité universitaires. Quelques grèves et manifestations ont lieu tout au long de l’année.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Prélude au mouvement qui s'enclenche : le 27 janvier, des étudiants manifestent en faveur d'une grève générale, rue Fullum à Montréal

7 février 2012 

Les élèves du collège de Salaberry-de-Valleyfield sont les premiers à se prononcer en faveur d’une grève générale illimitée.

22 février 

Environ 62 000 étudiants sont en grève au Québec, dont 10 000 pour la journée seulement. D’autres associations doivent tenir leur assemblée dans les jours suivants.

23 février 

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Le 23 février, des policiers tentent d'empêcher des étudiants en grève de se rendre sur le pont Jacques-Cartier.

Les manifestations quotidiennes prennent de l’ampleur. Quelques milliers de personnes marchent du square Phillips vers la place Émilie-Gamelin. À la fin de l’évènement, un petit groupe se rend sur le pont Jacques-Cartier pour bloquer les voies.

7 mars

  • Manifestation devant les bureaux de Loto-Québec, le 7 mars 2012

    PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

    Manifestation devant les bureaux de Loto-Québec, le 7 mars 2012

  • Manifestation devant les bureaux de Loto-Québec, le 7 mars 2012

    PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

    Manifestation devant les bureaux de Loto-Québec, le 7 mars 2012

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L’entrée des bureaux de Loto-Québec est bloquée par des centaines de protestataires. Le Groupe d’intervention tactique doit disperser les manifestants. Un étudiant, Francis Grenier, reçoit un éclat de grenade assourdissante au visage. Il perd l’usage d’un œil.

8 mars 

Un total de 130 444 étudiants sont en grève.

16 mars 

L’école Paul-Gérin-Lajoie d’Outremont est le premier établissement d’études secondaires à voter pour une journée de grève. D’autres vont suivre son exemple.

22 mars 

Selon les sources, de 100 000 à 200 000 personnes marchent de la place du Canada vers le Vieux-Montréal lors d’une journée chaude, ensoleillée et pacifique ; 300 000 élèves et étudiants sont en grève, certains le sont uniquement pour la journée.

28 mars 

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Fin mars : manifestation devant la maison du premier ministre Jean Charest, à Westmount

Une manifestation s’arrête devant la résidence de Jean Charest, dans Westmount. Ce lieu sera souvent visité dans les mois qui suivent.

30 mars 

Un juge donne raison à une élève du cégep d’Alma qui s’adresse à la cour pour obliger la levée des piquets de grève et la reprise des cours. Les demandes d’injonction se multiplient dans les semaines suivantes.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Prise de bec devant le cégep de Valleyfield entre des grévistes et un élève arborant un carré vert, symbole de ceux qui souhaitaient la levée des piquets pour retourner en classe.

5 avril 

La ministre de l’Éducation, Line Beauchamp, annonce une bonification de 21 millions de dollars au programme de prêts et bourses en plus de l’application du remboursement proportionnel au revenu. L’offre est rejetée en bloc par les associations étudiantes.

13 avril 

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Intervention policière après que des manifestants eurent investi le bureau de la ministre Line Beauchamp, le 13 avril, dans le nord de Montréal

Une cinquantaine de manifestants entrent de force dans le bureau de la ministre de l’Éducation et détruisent tout sur leur passage avec des pieds- de-biche. Un journaliste et un photographe de La Presse sont arrêtés pendant leur couverture des évènements, puis relâchés après plusieurs heures.

13 avril 

Les sites internet du Parti libéral du Québec et du ministère de l’Éducation sont victimes d’une attaque informatique. Plusieurs députés et employés du parti n’ont pas accès à leur boîte de courriel non plus. L’auteur de l’attaque demeure anonyme, mais quelques internautes font circuler une page ayant comme en-tête « Ripostons à la répression politique du gouvernement Charest » sur Facebook et sur Twitter.

20 avril 

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Affrontement à l'extérieur du Palais des congrès de Montréal, le 20 avril

Jean Charest prononce un discours au Salon Plan Nord, une foire de l’emploi qui se déroule au Palais des congrès de Montréal. En faisant référence aux manifestants, il déclare : « On pourrait leur offrir un emploi… dans le Nord, autant que possible. » Une manifestation qui se déroule à l’extérieur vire à l’émeute.

23 avril 

Line Beauchamp accepte de négocier avec les étudiants en échange d’une trêve des « actions de perturbation économique et sociale » de 48 heures.

24 avril 

Une « manif nocturne », la première d’une longue série, se met en branle, mais l’évènement tourne à la casse.

25 avril 

  • Le 25 avril en soirée, des étudiants se rassemblent place Émilie-Gamelin.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

    Le 25 avril en soirée, des étudiants se rassemblent place Émilie-Gamelin.

  • Ils se déplacent ensuite rue Sainte-Catherine.

    PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

    Ils se déplacent ensuite rue Sainte-Catherine.

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La ministre de l’Éducation exclut la CLASSE de la table des négociations, affirmant que la trêve n’a pas été respectée. La FECQ et la FEUQ rompent les pourparlers. Les étudiants expriment leur frustration dans une manifestation qui mène à 85 arrestations.

4 mai 

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le 4 mai, de violents affrontements ont lieu à Victoriaville, où se tient le congrès du Parti libéral.

De violents affrontements ont lieu près de l’hôtel le Victorin, à Victoriaville, où le Parti libéral s’est donné rendez-vous pour son conseil général. Des manifestants lancent des projectiles vers les policiers, qui répliquent avec des grenades assourdissantes et des fumigènes. Dix policiers et dix manifestants sont blessés dans l’émeute, dont trois gravement.

10 mai 

C’est la cinquième fois que le métro de Montréal est paralysé par des engins fumigènes en quatre semaines. Cette fois-ci, toutes les lignes sont touchées.

14 mai 

Line Beauchamp annonce qu’elle quitte la vie politique. Michelle Courchesne la remplace comme ministre de l’Éducation.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Jean Charest et Michelle Courchesne

18 mai 

Adoption de la loi 78 empêchant les grévistes de bloquer l’accès aux établissements d’enseignement. Aussi, les organisateurs de manifestations de plus de 50 personnes doivent désormais divulguer leur itinéraire aux policiers. En parallèle, la Ville de Montréal adopte le règlement P6 qui interdit aux manifestants de se couvrir le visage. En soirée, des citoyens font entendre leur opposition à la loi spéciale en frappant sur des casseroles. Celles-ci résonneront dans plusieurs manifestations dans les jours qui suivent.

22 mai 

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Manifestation du 22 mai marquant les 100 jours de la grève étudiante

Le 100e jour de grève est souligné lors d’une manifestation monstre qui réunit entre 100 000 (selon le SPVM) et 250 000 personnes (selon la CLASSE). La foule est composée de militants de tous azimuts : des étudiants, des familles, des aînés…

1er août 

Jean Charest déclenche des élections et invite « la majorité silencieuse » à dénouer la crise. Plusieurs associations étudiantes adoptent une trêve en attendant le résultat des élections du 4 septembre. La 100e « manif nocturne » se déroule en soirée.

4 septembre 

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Jean Charest quitte la scène, à Sherbrooke, après son discours le soir de sa défaite électorale, le 4 septembre.

La cheffe du Parti québécois, Pauline Marois, est élue première ministre. Dès la première réunion de son Conseil des ministres, elle annule la hausse des droits de scolarité. La loi 78 est également abrogée quelques jours plus tard. Jean Charest est quant à lui défait dans sa circonscription.

« Le mouvement a été durement réprimé »

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En 2012, Maxence Valade a perdu l’usage d’un œil lors d’une manifestation étudiante. Dix ans plus tard, il dénonce toujours aussi vivement la brutalité policière.

En 2012, Maxence Valade a perdu l’usage d’un œil lors d’une manifestation étudiante. Il est devenu le symbole de la brutalité policière dénoncée par de nombreux militants, brutalité qu’il condamne toujours aussi vivement, dix ans plus tard.

« Beaucoup de gens sont arrivés aux manifestations avec une certaine innocence et ont été frappés, au sens littéral, par la répression policière », laisse tomber Maxence Valade.

Élève engagé en sciences humaines au cégep de Saint-Laurent en 2012, il s’est investi spontanément dans le printemps érable pour s’opposer à la hausse des droits de scolarité. « C’est ce qui s’imposait à nous », dit-il.

Assemblées générales, manifestations, blocages : les premiers mois de la grève ne lui ont laissé aucun répit. « C’était complètement fou. On faisait des trucs de 5 h 30 le matin jusqu’à pas d’heure le soir, et le lendemain, ça recommençait », raconte-t-il. Un sourire timide se dessine sur ses lèvres, avant de s’évanouir aussi vite. « Assez rapidement, le mouvement a été durement réprimé. »

Les policiers utilisaient la peur pour disperser les manifestants, affirme-t-il. Ils les poussaient et les intimidaient par leur carrure impressionnante. Ils avaient recours aux grenades assourdissantes, balles de caoutchouc et matraques, décrit Maxence Valade.

Le 4 mai 2012, il s’est rendu à Victoriaville pour protester devant l’hôtel où se déroulait un congrès du Parti libéral. La manifestation a rapidement tourné à l’émeute. Dans la cohue, l’étudiant a reçu une balle de plastique à l’arcade sourcilière gauche. La manifestation a fait deux autres blessés.

  • Policiers de la SQ lors de l'émeute de Victoriaville, le 4 mai

    PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

    Policiers de la SQ lors de l'émeute de Victoriaville, le 4 mai

  • Manifestant blessé par un projectile de plastique tiré par la SQ

    PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

    Manifestant blessé par un projectile de plastique tiré par la SQ

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Dix ans plus tard, Maxence Valade garde des cicatrices de l’impact et porte une prothèse. En 2015, il a intenté une poursuite en dommages et intérêts contre la Sûreté du Québec. Une entente a été conclue en 2018.

L’histoire de Maxence Valade a marqué, dans l’ombre, l’histoire du printemps érable, en participant notamment à l’émergence des revendications contre la violence policière au sein du mouvement étudiant.

« Beaucoup ont parlé de 2012 comme d’une dérive policière, mais en même temps, il a plutôt montré l’ADN même de l’institution policière, qui est de réprimer. C’était toujours là », constate-t-il.

Toujours militant

Maxence Valade est retourné manifester dans les semaines qui ont suivi l’évènement. Dans la rue, des sympathisants de la grève étudiante l’accostaient pour lui exprimer leur soutien. Ses amis et sa famille l’ont aussi épaulé pendant son rétablissement.

PHOTO NINON PEDNAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Maxence Valade en septembre 2012 lors d'un point de presse tenu par des associations étudiantes de l'UQAM et des cégeps Saint-Laurent et du Vieux Montréal en faveur de la poursuite de la grève

« Je ne voulais pas être pris dans une chambre d’hôpital, à lire les journaux chaque jour et ne pas pouvoir participer », confie-t-il.

J’ai guéri beaucoup plus rapidement qu’anticipé. J’ai été très chanceux d’être soutenu par mes proches et tout un mouvement.

Maxence Valade

Aujourd’hui âgé de 29 ans, Maxence Valade est intervenant psychosocial auprès de personnes atteintes de troubles de santé mentale. Il s’investit dans différentes luttes, tant décoloniales qu’environnementales, et espère que le mouvement étudiant de 2012 reprendra là où s’il est arrêté, que les enjeux de brutalité policière seront enfin abordés de front.

« L’année 2012 a confirmé une intuition que j’avais qui était que si tu veux voir quelque chose arriver, il ne faut pas que tu t’adresses au pouvoir pour le faire. Il faut être capable de s’organiser. Personne ne va le faire à notre place. »