« Nous déclarons cette manifestation illégale. » Cette phrase, Alain Simoneau l’a prononcée des dizaines (peut-être même une centaine) de fois en 2012, alors commandant du poste de quartier 21. Le printemps érable a sans hésiter été l’un des moments les plus marquants de sa carrière de policier.

Le poste de quartier 21, à Montréal, est l’un des plus occupés du Québec. Surtout, c’est sur son territoire que se trouve la place Émilie-Gamelin, point de départ de toutes les manifestations nocturnes pendant la grève étudiante.

« Même si notre équipe se retrouvait sur quatre territoires différents, vu que la manifestation partait de chez nous, l’imputabilité nous revenait », raconte M. Simoneau, dans un entretien téléphonique qu’il doit parfois interrompre afin de préparer la conférence de presse du nouveau directeur général du Canadien de Montréal. C’est que l’ex-policier s’occupe maintenant de la sécurité du Groupe CH.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Alain Simoneau, commandant du poste de quartier 21, communique avec ses troupes après avoir repris le contrôle d'une barricade érigée par des manifestants à l'angle des rues Ontario et Saint-Denis, le 20 mai. Il s'agissait de la première manifestation à se tenir après l'entrée en vigueur de la controversée loi 78.

Alain Simoneau se souvient de 2012 comme d’une période très exigeante, physiquement et mentalement.

Il faut se rappeler que les manifestations, c’était à répétition, c’était sans arrêt, c’était jour après jour. Parfois, on en avait trois par jour.

Alain Simoneau, commandant du poste de quartier 21 pendant le printemps érable

Les policiers devaient aussi assurer la sécurité de certaines actions comme l’occupation du cégep du Vieux Montréal et des locaux de l’UQAM, ajoute-t-il.

Pendant la grève étudiante, le commandant a suivi toutes les manifestations à bord d’un camion-flûte, prêt à souffler des directives aux protestataires dans un haut-parleur. « S’il y avait un incident, je le rapportais au centre de commandement et c’est eux qui décidaient s’ils faisaient intervenir les gens en rétablissement de l’ordre [le groupe d’intervention]. Si c’était le cas, je n’avais plus la charge de la manifestation », explique-t-il.

Le droit de manifester

C’est Roch Deroy et son équipe qui entrent en scène, avec leurs visière, bouclier et bâton, dès qu’un ordre de dispersion est donné, en 2012. C’est M. Deroy qui donne les commandes à ses troupes et qui décide quand des gaz irritants sont lancés au-dessus des foules.

C’était un dossier tellement complexe parce que la majorité des policiers avaient aussi des enfants ou des ados à l’époque et ceux-ci avaient leur propre position sur le conflit. Reste que, sur le terrain, il fallait faire la part des choses quand il y avait des débordements.

Roch Deroy, policier retraité du groupe d’intervention du SPVM

« Ce que je trouve dommage dans toute cette histoire-là, poursuit-il, c’est que les motifs des manifestations étaient tout à fait fondés. On vit dans une société démocratique où on a le droit de manifester. Mais pendant le printemps érable, il y a des éléments négatifs qui se sont infiltrés dans les manifestations pour les scraper. […] Ça a brimé le droit des jeunes de s’exprimer et de manifester », déplore-t-il.

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Vitrine du poste de quartier 21 brisée par des manifestants

Guillaume Fillion, qui faisait partie du groupe d’intervention en 2012 et qui est maintenant enquêteur au SPVM, affirme avoir vu des boules de billard, des écrous, des bouteilles de bière vides et des roches lancés dans sa direction ou celle de ses collègues. La fois où deux cocktails Molotov ont atterri près de son équipe l’a particulièrement marqué.

« À un moment donné, sur la rue Sanguinet, près du cégep du Vieux Montréal, des jeunes ont lancé des roches vers nos véhicules. On a rattrapé les trois gars d’Outremont et on a fait venir les parents qui n’en revenaient pas que leur enfant ait fait ça. Ce n’était pas toujours le genre de clientèle qu’on imagine entrer en confrontation avec les policiers », dit M. Fillion.

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Sébastien Roy, du groupe d’intervention du SPVM

Sébastien Roy, qui fait partie du groupe d’intervention depuis 2010, a toujours réussi à garder son calme même quand on l’insultait ou quand on lui crachait dessus. « Que je sois pour ou contre la cause, ça ne change rien au travail que je dois faire. Tant que les manifestations se passent bien, je n’interviens pas. Je suis là pour faire respecter les règlements et les lois. »

Alain Simoneau souligne d’ailleurs que la grande majorité des manifestations se sont déroulées sans heurts en 2012. « Il est faux de prétendre qu’il y a eu de la violence pendant ces six ou huit mois-là. Il y a eu des pics, mais la forte majorité des manifestations ne se terminaient pas en désordre total », soutient-il.

« Malheureusement, on se souvient souvent de celles qui ont été plus chaotiques, où il y a eu des gestes de violence et des arrestations de masse. »

Roch Deroy est quant à lui persuadé que le mouvement étudiant de 2012, même s’il a parfois été teinté de violence, a changé le regard que l’on porte sur la jeunesse. « Si jamais un gouvernement veut encore s’attaquer à des réalités fondamentales des étudiants, il est mieux de s’y prendre de bonne heure parce que les jeunes, ils sont capables de s’exprimer, de se mobiliser et ça peut durer longtemps. »