(Québec) La réforme du gouvernement Legault manque de clarté pour réellement placer l’intérêt de l’enfant au centre de la future application de la Loi sur la protection de la jeunesse, déplore Régine Laurent. Québec doit en faire plus pour opérer « un changement de paradigme » qui fera passer l’intérêt des parents en deuxième, martèle-t-elle.

« Pourquoi ne pas avoir été plus affirmatif et régler ça une fois pour toutes ? », a lancé celle qui a présidé la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (commission Laurent) qui est à l’origine du projet de loi 15 visant à moderniser la Loi sur la protection de la jeunesse. Mme Laurent a ouvert mardi les consultations sur le texte législatif déposé par le ministre Lionel Carmant.

Bien qu’elle salue l’intention du gouvernement Legault de placer l’intérêt de l’enfant au cœur de sa réforme, celui-ci ne va pas assez loin dans le texte législatif pour éviter d’éventuelles interprétations qui auraient l’effet inverse. Le projet de loi 15 vient notamment éclaircir « une confusion » dans la loi de 1984 qui « tend à maintenir l’enfant dans son milieu familial ».

« Le libellé du considérant relatif à l’intérêt de l’enfant me questionne. Pour la commission, il était essentiel que l’enfant soit au-dessus des autres considérations et en ce sens, l’intérêt de l’enfant devrait être LA considération primordiale et non une considération parmi d’autres », a expliqué Régine Laurent, soutenant qu’il s’agissait d’un « changement absolument nécessaire ».

« Ce n’est pas du tout l’esprit dans lequel on a travaillé. Pour nous, l’intérêt de l’enfant doit être la considération. À la limite, je dirais même que ça doit être la seule considération. Ça ne s’écrit pas dans un projet de loi, mais ça doit être clair », a-t-elle ajouté.

L’intérêt de l’enfant, oui, ça veut dire que l’intérêt des parents risque de passer en second plan. […] Accepter ce nouveau paradigme, ça veut dire beaucoup de choses, ça bouscule. Mais à mon avis, c’est absolument nécessaire. On ne touche pas souvent à la Loi sur la protection de la jeunesse, c’est majeur que ce soit extrêmement clair.

Régine Laurent, présidente de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse

À son arrivée à la commission parlementaire, le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, s’est dit « très ouvert à améliorer » son texte législatif et à « aller encore plus loin, s’il le faut, pour s’assurer que l’intérêt de l’enfant passe en premier ».

« On va écouter tous ceux qui vont participer et on va voir ce qu’on peut faire. Je vais travailler avec les oppositions aussi et je suis ouvert à tout ce qui est suggéré, dans les limites du possible, évidemment », a-t-il expliqué lors d’une mêlée de presse, mardi.

Passage à la vie adulte : des modifications « bien faibles »

Selon Régine Laurent, les modifications prévues au projet de loi 15 sur le passage à la vie adulte lui apparaissent à ce stade « bien faibles ». Le texte législatif prévoit qu’en vue « de préparer l’enfant au passage à la vie adulte, le directeur ou la personne ainsi autorisée peut, dans les six derniers mois d’une telle ordonnance prenant fin à la majorité de l’enfant, autoriser des séjours prolongés de l’enfant dans un milieu visé au deuxième alinéa ou dans un autre milieu prévu par le plan d’intervention ».

Un ajout salué, mais « nettement insuffisant », dit-elle. « La commission a préparé tout un chapitre de son rapport à cette période cruciale de transition vers la vie adulte des jeunes qui ont eu un parcours en protection de la jeunesse. Il est impératif que ces jeunes aient un réel accompagnement, entre autres pour le logement, la scolarisation et la qualification professionnelle », a poursuivi Mme Laurent.

Elle regrette par ailleurs que Québec n’ait pas conservé la recommandation de permettre aux jeunes qui le souhaitent de demeurer dans une famille d’accueil jusqu’à l’âge de 21 ans.

Régine Laurent demande aussi à Québec d’aller plus loin pour les Premières Nations. « Je veux croire que les modifications à la Loi sur la protection de la jeunesse sont transitoires puisqu’une de nos recommandations est de supporter le droit à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale en matière de protection de la jeunesse pour les autochtones », a-t-il dit.

L’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL) doit notamment s’adresser aux parlementaires mardi. Selon l’APNQL, Québec « fait preuve de mépris » à l’égard des communautés en ne supportant pas leur pleine autodétermination dans leurs services de protection à l’enfance.

Le projet de loi 15 prévoit plusieurs ajouts à la Loi sur la protection de la jeunesse pour tenir compte « des facteurs historiques, sociaux et culturels qui sont propres » aux Premières Nations. La notion de « conseil des familles » sera notamment intégrée.