Le Curateur public du Québec (CPQ) continue de faire l’objet de vives critiques. Une avocate qui défend des bénéficiaires inaptes depuis près de 25 ans fustige l’organisme, qui « abdique ses devoirs et ses pouvoirs, alors qu’il a les moyens d’être un chef de file ». Et une autre avocate, professeure de droit, qui agit comme curatrice privée pour un proche, n’en peut plus des tracasseries administratives que lui fait subir l’organisme.

MDenise Boulet n’est pas tendre envers l’organisme qu’elle connaît très bien. « Le CPQ ne fait juste pas son travail. Voir une personne vulnérable une fois l’an, c’est une aberration. Et quand une personne a besoin de soins, c’est invraisemblable de ne pas aller la voir, aller voir dans quelles conditions elle vit, dit-elle. Quand il s’agit de prendre des décisions cruciales et qu’on va devant le tribunal pour s’en remettre à sa décision sans même avoir rencontré la personne, c’est aussi une aberration. Or, le Curateur s’en remet presque toujours au tribunal. »

Tout récemment, La Presse révélait qu’une cinquantaine de bénéficiaires qui sont sous la protection du Curateur public du Québec vivent dans la rue. Certains de ces pupilles vivent avec une déficience intellectuelle ou sont atteints de problèmes de santé mentale, bref, ils sont extrêmement vulnérables. La Presse avait documenté quatre cas de personnes sans-abri ou qui se trouvaient à un cheveu de l’itinérance.

Lisez « Inaptes et sans-abri », notre enquête sur le Curateur public du Québec

Or, selon MBoulet, les problèmes du CPQ dépassent largement cette situation. Pour l’avocate, c’est la passivité du Curateur public envers les personnes atteintes de troubles mentaux en général qui doit être dénoncée. « Les gens qui ont des problèmes de santé mentale sont les oubliés du réseau. Le CPQ devrait être un outil pour changer les choses. Or, son inaction soulève des questions », dit MBoulet.

En vue d’un colloque qui se déroulait vendredi, qui porte sur la protection des personnes vulnérables, l’avocate a d’ailleurs rédigé un texte dans lequel elle fait le point sur son expérience d’avocate auprès des gens inaptes, mais aussi de formatrice à l’Ordre des travailleurs sociaux.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Me Denise Boulet défend des gens inaptes depuis près de 25 ans.

Les travailleurs sociaux se plaignent tous qu’ils n’ont pas d’aide, que le Curateur public abdique sa job pour demander aux intervenants de la faire à sa place.

Me Denise Boulet

Dans certains cas, les tribunaux eux-mêmes ont fustigé l’inaction du Curateur, souligne MBoulet. Dans une cause de 2016 qui opposait l’hôpital Fleury à un bénéficiaire qui s’était retrouvé sous curatelle, le juge Daniel Payette se demande pourquoi le Curateur public n’est pas intervenu dans le plan de soins du bénéficiaire dès sa nomination. « Pourquoi le Curateur public ne s’est-il pas présenté dès la première audience pour assumer son rôle ? », se demande le juge.

La surcharge de travail est-elle la raison de cette inaction ? C’est possible, dit MBoulet. « On a la société qu’on choisit de se payer. Si l’organisme choisit de ne pas leur donner les moyens de leur mission… »

Des problèmes aussi du côté des curateurs privés

Des lecteurs qui œuvrent à titre de « curateurs privés » pour un proche inapte ont également contacté La Presse pour dénoncer le « traitement » que leur fait subir le Curateur public. C’est que le Curateur public a un rôle d’assistance et de surveillance à l’égard des régimes privés de protection, une fois l’ouverture du régime prononcée par le tribunal.

Même des curateurs privés avec une formation en droit trouvent la collaboration avec le Curateur public difficile. « J’ai réagi à la mention, dans votre article, disant que les intervenants du Curateur nous “aident” occasionnellement. Je dirais plutôt qu’ils nous nuisent », lance MMarie Annik Grégoire, professeure titulaire à la faculté de droit de l’Université de Montréal.

MGrégoire est curatrice privée pour un proche autiste non verbal et ayant une déficience intellectuelle profonde.

PHOTO FOURNIE PAR MARIE ANNIK GRÉGOIRE

Me Marie Annik Grégoire

Informations erronées transmises par l’agent d’aide censé l’accompagner dans ses démarches, travail en silo, documents désuets et mal adaptés : son expérience des derniers mois avec le Curateur public a été catastrophique.

« Je ne suis curatrice que depuis août dernier, je suis avocate et j’ai des connaissances sur les régimes de protection. Pourtant, je n’en peux déjà plus des intervenants du Curateur public », souligne-t-elle.

Le Curateur public fournit au curateur privé la documentation nécessaire à l’exercice de ses fonctions et il peut aussi le conseiller dans certaines décisions par l’intermédiaire de l’employé responsable du dossier.

Or, l’agent d’aide à la représentation privée au bureau du Curateur qui doit la conseiller confondait l’état des revenus et dépenses et l’inventaire des biens. « J’ai dû lui expliquer moi-même la différence, dit-elle. Comment font les personnes qui n’ont pas mes connaissances ? »

Des exemples d’échanges confus ou carrément contradictoires avec le Curateur public, MGrégoire en a beaucoup. Des ententes sont prises au téléphone, puis on reçoit des lettres qui disent le contraire. « Il faut tout recommencer, avec la perte de temps et d’énergie que cela comporte », dit-elle.

Le Curateur public a en effet le mandat de surveiller la gestion du tuteur ou du curateur privé. Ce dernier doit lui fournir un inventaire des biens de la personne sous protection au début de sa gestion, un rapport annuel d’administration et un compte rendu final, une réévaluation de la personne dont il a la charge, et cela, tous les trois ans dans le cas d’une tutelle ou d’un régime avec conseiller et tous les cinq ans dans le cas d’une curatelle.

La personne pour laquelle MGrégoire agit à titre de curatrice vit dans une famille d’accueil depuis plus de 15 ans. Elle est bénéficiaire de l’aide sociale. Elle n’a pas de patrimoine important. Or, le Curateur exige des reçus pour justifier la moindre dépense de la famille d’accueil. MGrégoire craint que ces exigences administratives soient « trop lourdes ou trop complexes » pour la famille d’accueil et que cette dernière décide de ne plus s’en occuper à temps plein.

Cette personne serait perdante si elle devait déménager alors qu’elle est actuellement dans un milieu où elle est protégée, aimée et bien traitée. Et l’État serait perdant aussi puisqu’elle « coûterait » beaucoup plus cher dans une ressource publique, croit l’avocate.

« Je comprends qu’un contrôle doive être exercé afin d’éviter les abus. Par contre, il m’apparaît que le principe de proportionnalité fait cruellement défaut, dit la professeure de droit. Le même contrôle pour le bénéficiaire de l’aide sociale que pour une personne ayant un patrimoine de plusieurs millions ? »

Se sentant ensevelie par la bureaucratie après quelques mois à peine comme curatrice privée, MGrégoire a prévenu ses parents : « Si vous voulez un jour que je devienne votre mandataire, choisissez quelqu’un d’autre pour la portion surveillance [où le Curateur peut intervenir]. Je ne veux plus avoir à faire avec le Curateur public. »

En savoir plus
  • 13 000
    Nombre de bénéficiaires inaptes sous curatelle publique au Québec
    source : Curateur public du Québec
    28 000
    Nombre de bénéficiaires faisant l’objet de tutelles privées
    source : curateur public du québec