Des projets de porcheries dans des régions pourtant agricoles suscitent des levées de boucliers. Pourquoi en construire de nouvelles alors que le Québec produit déjà beaucoup plus de porcs qu’il n’en consomme et que le secteur nécessite un important soutien gouvernemental pour affronter les conditions du marché ?

Trois programmes gouvernementaux couvrent la gestion des risques des éleveurs. Le plus substantiel, le Programme d’assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA), financé aux deux tiers par Québec et au tiers par les éleveurs, verse une compensation à ces derniers lorsque le prix de vente obtenu est insuffisant.

En 10 ans, de 2011 à 2020, les éleveurs assurés ont touché 958 millions de dollars en compensations. Si l’on recule d’une année, soit de 2010 à 2019, ça grimpe à 985 millions. Pis, il n’y a que deux années pour lesquelles les éleveurs n’ont pas eu besoin de compensation.

« C’est sûr que si vous prenez les 10 dernières années, le montant peut être gros », convient Louis-Philippe Roy, deuxième vice-président pour Les Éleveurs de porcs du Québec. La dernière convention de mise en marché offrant un meilleur prix aux producteurs, la prochaine décennie ne devrait pas ressembler à la précédente, plaide-t-il. Pour l’année 2021, « aux derniers chiffres, il n’y aurait pas de compensation, ou ce serait minime ».

Les programmes fédéraux-provinciaux Agri-investissement et Agri-stabilité ont aussi versé 145 millions de dollars aux producteurs participants entre 2010 et 2019. En additionnant cette somme aux compensations de l’ASRA, la note grimpe à 1,13 milliard.

Cela n’inclut pas les autres soutiens gouvernementaux, dont le Programme de crédit de taxes foncières agricoles et le Fonds d’investissement agricole, qui ne sont pas propres aux élevages porcins.

Import-export de porc

Ces fonds publics servent à soutenir une production majoritairement destinée à l’étranger, puisqu’environ 61 % de la viande de porc du Québec est exportée. Cette part a « augmenté significativement » au fil des ans, puisqu’elle était de 52 % en 2007, signalait un rapport du Groupe AGÉCO au ministère québécois de l’Agriculture en 2020.

« Cette forte dépendance aux exportations entraîne une grande vulnérabilité de la filière face à des perturbations sur les marchés internationaux, que celles-ci résultent d’un conflit commercial comme celui avec la Chine ou de l’éclosion d’une maladie émergente », notait AGÉCO.

Seul le quart du porc produit au Québec est consommé ici (23 % en viande et 2 % à des usages industriels comme la gélatine alimentaire ou les cosmétiques), le reste allant au reste du Canada (14 %), indiquent Les Éleveurs de porcs.

Pourtant, moins des trois quarts (environ 70 %) de la viande de porc consommée au Québec en 2020 provenait d’élevages québécois, indiquent les estimations du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) préparées pour La Presse.

Ainsi, pour chaque dollar dépensé pour la consommation de viande de porc au Québec en 2020, seulement 0,61 $ a servi à payer des salaires et des bénéfices à des employés et entreprises de la province (fermes, entreprises de transformation, détaillants et restaurants), montrent les données du MAPAQ.

Pourquoi ne pas élever uniquement les porcs nécessaires à alimenter le marché québécois ?

Il est important « d’avoir des marchés à l’étranger pour être capable d’envoyer différentes coupes qui ne sont pas consommées au Québec parce que sinon, on aurait de la perte alimentaire », plaide M. Roy en citant les têtes, oreilles, pattes et abats. C’est plus large que cela, puisque la viande de porc est le plus important produit d’exportation bioalimentaire du Québec. Sept millions de porcs abattus par an, « ça a l’air d’être beaucoup de porcs », mais à l’échelle mondiale, le Québec est « un petit joueur », fait valoir l’élu des Éleveurs.

Ces 7 millions de têtes représentent une moyenne : depuis 2013, les abattages annuels ont toujours été inférieurs, montrent les données des Éleveurs.

Les conflits de travail et la pandémie ont fait ressortir les limites de la capacité d’abattage. Après les Fêtes, le nombre de porcs en attente a atteint un sommet de quelque 200 000 bêtes. Le retard commence à se résorber, mais l’enjeu demeure.

« C’est certain qu’avec le manque de main-d’œuvre, on ne peut pas non plus penser à de la croissance », dit M. Roy.

Pourquoi alors construire de nouvelles porcheries ?

« On est plus en stagnation qu’en croissance, mais il faut renouveler nos bâtiments. »

Les nouvelles constructions ne sont « pas nécessairement pour augmenter le cheptel », mais souvent « pour remplacer d’autres fermes qui sont moins adéquates » du point de vue du bien-être animal des truies, ou de l’engraissement. « Donc c’est souvent plus un renouvellement que des nouvelles constructions. »

Le deuxième vice-président des Éleveurs ne veut pas se prononcer sur la tendance des 5 à 10 prochaines années, mais mentionne les 1,5 million de porcs ontariens abattus au Québec l’an dernier, auxquels les éleveurs québécois aimeraient bien substituer leurs animaux. « Il y a là une possibilité d’augmentation, mais je vous dirais qu’à court et moyen terme, les investissements pour se mettre à niveau en bien-être animal sont majeurs », note M. Roy. « Il y a des projets qui se font, il y a des gens qui voient du développement, mais pour l’instant, on est plus à maintenir notre production qu’à assurer une croissance. »

Note : dans une version précédente de ce texte, le MAPAQ nous avait indiqué que la part de viande de porc consommée au Québec provenant d’élevages québécois était d’environ 55 % en 2020. La proportion est plutôt d’environ 70 %, a fait savoir le ministère après publication.

7 millions

Nombre de porcs québécois abattus annuellement, en moyenne : depuis 2013, les abattages ont toujours été inférieurs à 7 millions d’animaux par an.

75 %

Part de la viande de porc produite au Québec qui est vendue à l’étranger (61 %) et dans le reste du Canada (14 %).

Source : Les Éleveurs de porcs du Québec, 2020

21 %

Poids de la viande porcine dans les exportations bioalimentaires du Québec, ce qui en fait la première exportation bioalimentaire en importance.

Source : MAPAQ, 2020

2

Nombre d’années, en 10 ans, pour lesquelles les éleveurs porcins n’ont pas eu besoin de compensations du programme d’assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA) (2014 et 2017).

Source : La Financière agricole du Québec