« Mais, dira-t-on, vous n’êtes qu’une poignée ! Vous êtes fatalement destinés à disparaître ! Pourquoi vous obstiner dans la lutte ? Nous ne sommes qu’une poignée, c’est vrai ; mais nous comptons pour ce que nous sommes, et nous avons le droit de vivre ! »

On ne trouverait guère de journaliste, aujourd’hui, capable de citer de mémoire des extraits conséquents du discours prononcé à l’église Notre-Dame par Henri Bourassa à l’automne 1910, une défense éloquente des droits des francophones en Amérique. Paul Terrien, lui, le pouvait.

Il ne se faisait pas prier pour évoquer, de mémoire toujours, de longs passages de l’intervention d’Henri Bourassa, au Champ-de-Mars, en 1885. Un discours historique évoquant « Riel, notre frère est mort, victime de son dévouement à la cause des Métis dont il était le chef. Victime du fanatisme et de la trahison ».

Paul Terrien est mort lundi, à l’hôpital de Hull. À 72 ans, il avait été frappé deux jours plus tôt par une rupture d’anévrisme au cerveau. Dans ces deux interventions historiques, on recoupe beaucoup de ce qu’était ce journaliste de carrière, devenu rédacteur de discours de deux premiers ministres.

Les tribuns le fascinaient, ce passionné d’histoire était aussi un ardent nationaliste, un avocat farouche de la minorité francophone ontarienne.

L’oralité d’abord ; sa principale contribution aura été un recueil exhaustif des Grands discours de l’histoire du Québec, un ouvrage de 450 pages, publié en 2010 aux Presses de l’Université Laval.

« Depuis qu’il coule du sang français en Amérique, à chaque génération, des hommes et des femmes se sont levés, se sont tenus debout, pour défendre non seulement leurs idées ou leur opinion du gouvernement de l’heure, mais aussi et surtout leur conception de l’avenir de la nation québécoise », avait dit Terrien, lors d’une brève allocution au lancement de cet ouvrage. Fait singulier, le premier ministre Jean Charest et son ancien patron Brian Mulroney avaient tenu à être présents à la cérémonie à l’Université Laval. M. Charest y avait rendu hommage à l’auteur, qui « avait su tirer le fil commun de ce qui nous rassemble depuis 400 ans, cette volonté que tous les Québécois puissent faire en sorte de trouver leur place sur cette planète ». Jean Charest nommera d’ailleurs Terrien comme délégué du Québec à Ottawa, poste qu’il occupa jusqu’en 2013.

Le français

Le goût et surtout le respect du passé aussi, assortis d’une connaissance encyclopédique de l’histoire canadienne. « Paul était doté d’un talent exceptionnel. Il avait une plume magnifique et un sens de l’histoire hors du commun. Sa grande culture m’a toujours impressionné », a dit Brian Mulroney dans une déclaration écrite au moment de la mort de son ancien collaborateur. Lundi, l’ancien premier ministre a aussi tenu à passer un coup de fil à la sœur de Paul, Marie.

Farouche défenseur des droits des francophones, il était prompt à évoquer le règlement ontarien 17 qui, de 1912 à 1927, interdisait l’usage du français dans les écoles ontariennes.

Brian Mulroney a souligné publiquement son apport à la préparation du premier Sommet de la francophonie et sa contribution, comme rédacteur de discours, au cheminement de l’accord du lac Meech.

De 1985 à 1993, M. Terrien avait été rédacteur de discours pour M. Mulroney. Il a fait le même travail par la suite pour Stephen Harper. Ce dernier, sur Twitter, a aussi rendu hommage au disparu, rappelant « ses remarquables compétences linguistiques, sa passion pour les bons mots et sa fierté pour l’histoire de notre pays ». « Même les moments les plus stressants n’étaient pas à l’abri de son sens de l’humour et de sa vive présence d’esprit, suivi d’un rire franc que je n’oublierai jamais », de poursuivre M. Harper. Il avait aussi été chef de cabinet de Lawrence Cannon, quand ce dernier occupait les portefeuilles des Transports, puis des Affaires étrangères. « Il avait un sens de l’humour très raffiné, un fin connaisseur de l’histoire du Canada et des Franco-Ontariens », a commenté M. Cannon, pour le journal Le Droit, qui a rapporté le décès mardi.

Toujours Franco-Ontarien

Un juste retour des choses. Car avant d’être employé politique, M. Terrien avait surtout été journaliste. Son grand-père, Esdras Terrien, avait été un des fondateurs du Droit, journal longtemps propriété des Oblats à Ottawa. Quand Henri Bourassa, directeur du Devoir, montait à Ottawa par affaires, il était accueilli chez M. Terrien. Incidemment, Esdras Terrien était une cheville ouvrière, « commandeur conseil » de l’Ordre de Jacques-Cartier. Surnommée « La Patente », cette société secrète était dévolue à la défense des francophones, laissés pour compte dans l’administration fédérale, et comptait plus de 11 000 membres à son apogée, en 1956.

Paul Terrien avait entrepris sa carrière au Droit, en 1969. Il sera brièvement au Soleil à Québec par la suite, puis est passé à Québec-Presse, un hebdomadaire plutôt à gauche dont il a été le représentant à la Tribune de la presse à l’Assemblée nationale jusqu’à la fermeture en 1974.

Intarissable côté anecdotes, M. Terrien évoquait volontiers l’époque où Gérald Godin, poète, futur ministre, mais alors timonier de la publication, leur demandait d’attendre un peu avant d’encaisser leur chèque de paye, tant les moyens étaient frugaux.

Par la suite, il deviendra adjoint au directeur de l’information au quotidien Le Droit, puis deviendra son chroniqueur parlementaire à la Chambre des communes à Ottawa.

L’oralité, l’histoire, les francophones, soit. Mais on ne saurait parler de Paul Terrien sans aussi évoquer sa fascination pour la mer, la navigation à voile. Peut-être parce que la mer faisait partie de l’imaginaire familial. Le capitaine Joseph-Elzéar Bernier était le beau-frère de son grand-père Esdras. Son frère, Pierre, sillonne encore le globe en voilier. Le premier ouvrage de Paul Terrien était d’ailleurs un rappel des mémoires de J. E. Bernier. Ce titan a été oublié par l’histoire même si, plus jeune capitaine de l’Empire britannique, il avait puissamment contribué à établir la souveraineté canadienne dans l’Arctique et effectué 250 traversées de l’Atlantique, à la voile. M. Terrien publiera plus tard Québec à l’âge de la voile, en 1984, puis L’âge d’or de la construction navale à Québec, en 2016.