« Les libéraux viennent de découvrir que la Terre est ronde », raillait Yves-François Blanchet mardi au sujet de leur reconnaissance du français comme langue officielle du Québec.

Il n’a pas tort, le gouvernement Trudeau ne fait que redire ce que Robert Bourassa avait inscrit dans sa loi 22 en 1974. Si on y voit une avancée, c’est parce que les libéraux reviennent de loin.

Reste que même les conversions tardives sont bienvenues. Et dans ce cas, le projet de loi présenté par Mélanie Joly permet aussi de réels gains.

Le commissaire de la Loi sur les langues officielles aurait enfin une dentition. Il pourrait notamment lancer des enquêtes et imposer des amendes.

L’immigration francophone serait encouragée dans les régions où la langue de Riel résiste encore.

Le bilinguisme serait exigé pour les juges de la Cour suprême.

Et le droit de travailler et d’être servi en français serait protégé au Québec dans les entreprises de compétence fédérale, comme les banques, les télécommunications et le secteur aérien et maritime.

C’est d’autant plus réjouissant que les attentes étaient faibles. Après tout, le gouvernement Trudeau n’a rien fait dans son premier mandat. Il s’est réveillé après être devenu minoritaire…

Le travail de Mme Joly l’explique en partie. Cette députée de Montréal est convaincue de la nécessité d’agir et elle a l’oreille de Justin Trudeau.

Mais si les libéraux avancent, c’est également parce qu’ils sont poussés dans le dos. À Québec, le gouvernement nationaliste de la CAQ a fait adopter des demandes à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Ces positions sont relayées à Ottawa par un Bloc québécois ragaillardi. Et les conservateurs se sont joints à la caravane en septembre à l’initiative de leur nouveau chef Erin O’Toole, principal adversaire de M. Trudeau.

N’empêche que, malgré ces pressions politiques et malgré les reculs du français, le combat n’était pas gagné.

Aux yeux de certaines élites anglophones, le français demeure un obstacle à la diversité. Pour s’en convaincre, relisez cet éditorial du Toronto Star contre le bilinguisme à la Cour suprême.

Lisez l’éditorial du Toronto Star (en anglais)

Tous les clichés s’y trouvent. On y banalise l’importance de pouvoir être compris dans sa langue en cour. Et on présume qu’une personne racisée ou allophone doit parler l’anglais. Vive la diversité, la leur, la seule version légitime…

Le noble objectif de la loi 101, celui d’intégrer les nouveaux arrivants dans la langue commune du Québec, est aussi confondu avec une attaque contre les droits de la minorité historique anglophone, qui sont pourtant bien protégés. La preuve, l’anglais redevient la langue de formation des élites – le financement et la fréquentation des cégeps et universités anglophones dépassent largement leur poids démographique, et l’Université McGill vient de se faire donner par Québec un terrain valant 1 milliard de dollars sur le mont Royal.

Comme persécution, il y a pire.

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Le projet de loi de Mme Joly arrive juste avant l’été et la probable campagne électorale. Tout indique qu’il ne sera pas adopté, ni même étudié.

Le Bloc met la ministre au défi d’agir maintenant en appliquant la loi 101 aux entreprises de compétence fédérale situées au Québec. Ce serait plus simple, mais les libéraux préfèrent appliquer leur version renforcée de la Loi sur les langues officielles en l’arrimant à la réforme que proposent les caquistes, laquelle cible les entreprises de 25 employés et plus.

Sur le fond, la différence ne serait pas énorme – la moitié des entreprises de compétence fédérale se conforment déjà volontairement à la loi 101.

Et de toute façon, les décisions névralgiques pour l’avenir du français au Québec relèvent de l’Assemblée nationale. Le plan de Mme Joly sera complémentaire. Son principal effet se fera plutôt sentir dans les institutions fédérales et ailleurs au pays.

PHOTO JUSTIN TANG, LA PRESSE CANADIENNE

Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois

M. Blanchet n’y voit qu’une ruse électorale. Selon lui, le gouvernement Trudeau diluerait la réforme après avoir gagné une majorité. Difficile toutefois d’affirmer que le projet de loi est à la fois trop faible pour être bénéfique, et trop costaud pour être adopté tel quel par Ottawa.

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Le Bloc célébrait son 30e anniversaire la journée du dépôt de cette réforme de la Loi sur les langues officielles.

Lucien Bouchard disait que le succès du parti se mesurerait à la brièveté de son existence. Mais le pays du Québec n’a pas été bâti, et les indépendantistes se demandent encore quoi faire à Ottawa.

Gilles Duceppe avait sa réponse : « la politique du pire, c’est la pire des politiques ». Avec ses députés, il travaillait donc à défendre les intérêts du Québec à Ottawa, au risque de se faire accuser de faire le jeu du fédéralisme.

M. Blanchet est son héritier. Son travail est toutefois ingrat. Car chaque gain vient avec son envers.

D’un côté, il a réussi, avec l’aide de ses alliés à l’Assemblée nationale, à faire du français une priorité politique. De l’autre, les libéraux se retournent vers lui pour dire : tout va bien, nous ferons le travail.

Le Bloc reviendra à la charge ce mercredi en forçant un vote pour que chaque député dise s’il reconnaît que le Québec forme une nation et que sa langue officielle est le français.

Ce sont deux simples faits. Mais à Ottawa, certains élus croient encore que la Terre est une surface plate et que le Québec y est à sa place lorsqu’on l’écrase.

Voilà justement pourquoi tout progrès, comme celui proposé par Mme Joly, ne pourrait que faire du bien.