Malgré les mois qui se sont écoulés, aucun Québécois n’a encore été dédommagé par le Fonds d’indemnisation des clients des agents de voyages. Pourquoi ?

C’est bien simple : 15 mois après le début de la pandémie, aucun Québécois dont le voyage est tombé à l’eau à cause de cette situation n’a encore été dédommagé par le Fonds d’indemnisation des clients des agents de voyages (FICAV). Son inaction est de plus en plus incompréhensible.

Au total, 35 800 demandes de remboursement ont été déposées. Ça fait beaucoup de monde en attente.

Pourtant, le FICAV sert précisément à protéger financièrement les voyageurs lorsqu’un service n’est pas rendu. Et l’administration du fonds relève de l’Office de la protection du consommateur (OPC), dont la raison d’être figure clairement dans le nom. Or, dans ce dossier, il donne plutôt l’impression de se traîner les pieds. S’il a de bonnes raisons de le faire, il devrait les communiquer.

Car dans l’industrie du voyage, personne ne comprend pourquoi l’envoi des premiers chèques tarde tant. On ricane de désespoir, même, dès qu’il est question du FICAV.

Il était certes judicieux d’attendre l’issue des négociations entre les transporteurs aériens et Ottawa pour ne pas vider les coffres du FICAV inutilement. Mais maintenant que le gouvernement a conclu des ententes avec Air Canada et Transat qui les force à rembourser leurs clients, qu’est-ce qui empêche encore le fonds de se mettre au travail ?

Le cabinet comptable PwC, nommé gestionnaire des réclamations en mars 2020, pourrait faire le tri et classer les demandes dans trois piles.

Dans la première : les réclamations des clients d’Air Canada, Transat et WestJet, qui deviendront normalement caduques puisque les voyageurs seront remboursés par ces transporteurs. Les cas particuliers pourront être évalués plus tard.

Dans la deuxième : les clients de Sunwing. Les négociations avec Ottawa n’étant pas terminées, on prévient les principaux intéressés qu’ils devront encore patienter.

Dans la troisième : les réclamations restantes. Celles qui peuvent être traitées.

Il s’agit pour l’essentiel de croisières, de forfaits et de vols intérieurs à l’étranger de plus petits transporteurs. Les agences de voyages ayant les preuves de non-remboursement de leurs clients, le FICAV dispose de toutes les informations nécessaires pour émettre des chèques.

Ce sont des dossiers jugés « faciles » par l’industrie.

L’engagement de Simon Jolin-Barrette

La paralysie est d’autant plus difficile à comprendre qu’en août 2020, Simon Jolin-Barrette, qui est responsable de l’OPC à titre de ministre de la Justice, s’était engagé en commission parlementaire à trouver une solution à court terme pour que les consommateurs récupèrent leur argent. Il avait même affirmé qu’il préparait une solution « globale » qui couvrirait « l’ensemble des contrats de consommation ».

Lisez l’article « Remboursement des voyages : Québec s’engage à trouver une solution »

« Je suis surpris que le processus n’ait pas été entamé étant donné que le ministre a déjà exprimé son désir de vouloir s’assurer du remboursement complet des consommateurs et que tout est en place dans le cadre législatif du Québec pour le faire », commente Moscou Côté, président de l’Association des agents de voyages du Québec.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Moscou Côté, président de l’Association des agents de voyages du Québec, en janvier 2021

D’autres acteurs de l’industrie du voyage trouvent aberrant le silence de M. Jolin-Barrette dans ce dossier. Il a d’ailleurs refusé de me parler.

La procrastination fragilise les voyagistes

Il n’y a pas que les consommateurs qui soient lésés par le statu quo. Les voyagistes (qu’on appelle tour-opérateurs) écopent, eux aussi.

Ces entreprises, spécialisées dans la confection et la vente de forfaits du genre « 18 jours de découvertes au Kenya », doivent mettre en fiducie l’argent de leurs clients jusqu’à ce que les services soient payés au fournisseur. Quand tous les voyages ont été annulés, les tour-opérateurs ont pu récupérer une partie seulement de l’argent versé aux transporteurs aériens, aux croisiéristes, aux restaurateurs, aux hôteliers, etc.

Le hic, c’est que les cartes de crédit qui remboursent les consommateurs viennent piger sans mettre de gants blancs dans les comptes en fiducie des tour-opérateurs. Ce n’est pas pour rien qu’ils rétrofacturent, ça ne leur coûte rien !

Évidemment, les émetteurs de cartes récupèrent le prix de vente intégral du forfait, disons 10 000 $. Mais si le tour-opérateur a seulement réussi à se faire rembourser 4000 $ par ses fournisseurs, ce sont 6000 $ « appartenant » à un autre client qui disparaissent du compte.

Légalement, les voyagistes doivent alors renflouer le coffre pour que ça balance. Ce qu’ils font en empruntant des sommes astronomiques… alors qu’ils n’ont à peu près pas de revenus.

« La majorité des tour-opérateurs indépendants n’ont pas bénéficié de prêts de la part du gouvernement canadien pour financer les remboursements. Cette menace est importante et réelle pour l’ensemble des voyagistes québécois et on pourrait facilement être face à des fermetures », déplore Joane Tétreault, présidente de l’Association des tour-opérateurs du Québec et de Skylink.

De son côté, lorsque le FICAV rembourse un client, il réclame au voyagiste uniquement les sommes encore en sa possession.

Plus le FICAV tarde à remplir ses obligations, plus les consommateurs insistent auprès de l’émetteur de leur carte de crédit et plus les voyagistes québécois se retrouvent fragilisés financièrement. Alors que le gouvernement souhaite une solide relance économique, voilà un effet domino qu’on aurait intérêt à stopper.

Le ministre Jolin-Barrette pourrait emprunter

On ne sait pas exactement quel est le montant total des réclamations faites au Fonds d’indemnisation des clients des agents de voyages (FICAV) par des Québécois qui n’ont pu voyager comme prévu.

Le montant de 100 millions a déjà été évoqué par l’Office de la protection du consommateur (OPC), en juillet 2020, mais c’était bien avant la vague de remboursements effectués par Air Canada et Transat. Et d’autres réclamations ont pu s’ajouter.

Ce qu’on sait, en revanche, c’est que le fonds dispose de 85 millions pour rembourser les voyageurs, car il peut utiliser jusqu’à 60 % de sa cagnotte (de 142 millions au 31 mars 2019) pour un même évènement.

Sont-ce des raisons financières qui empêchent le processus de remboursement de commencer ? Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, dispose pourtant d’un outil législatif pour atteindre son but de voir tous les Québécois récupérer leur argent.

Cet outil, c’est l’article 41.1 de la Loi sur les agences de voyages, dont il est justement responsable de l’application. Cet article stipule que le FICAV peut « emprunter auprès du ministre des Finances ». Deux sources bien au fait du dossier calculent qu’il manquerait aujourd’hui de 20 à 30 millions pour rembourser tout le monde.

Non seulement la somme n’est-elle pas astronomique pour une province, mais en plus elle pourrait rapidement être remboursée par les voyageurs.

Rappelez-vous. Initialement, la contribution des voyageurs au fonds était de 3,50 $ pour chaque tranche de 1000 $ de services touristiques achetés. Pour bénéficier d’une assurance, c’était un coût raisonnable.

Or, ce taux faisait grossir si vite la cagnotte qu’il a été réduit à 2 $, puis à 1 $. L’assurance est même devenue gratuite, en janvier 2019, quand le fonds a dépassé les 125 millions de dollars. On jugeait que les revenus d’intérêts suffisaient à sa bonne santé financière. L’argent est placé à la Caisse de dépôt.

Il suffirait donc de fixer de nouveau la contribution à 2 $ ou même à 3,50 $ pour renflouer entièrement les coffres en quelques années. Et aucun consommateur ne s’empêcherait de voyager parce que l’assurance serait hors de prix.

J’aurais bien aimé savoir pourquoi Simon Jolin-Barrette n’utilise pas cet outil qui est à sa disposition et sur quelle solution « à court terme » il travaille depuis août dernier, comme il l’avait annoncé en commission parlementaire.

C’est dommage qu’il ne communique pas davantage, car les acteurs de l’industrie touristique n’arrivent pas à le comprendre. Il n’a pas été davantage possible d’obtenir d’explications de la part de l’OPC. Toutes les entrevues sont refusées, officiellement en raison du processus judiciaire en cours.

De fait, une demande d’action collective contre l’OPC a été déposée en décembre dans le but que les tribunaux forcent l’organisme à rembourser des consommateurs. On réclame aussi le versement d’intérêts et 250 $ « à titre de troubles et inconvénients ».

Consultez la demande d’autorisation d’exercer une action collective

« On est choqués »

Surprise, la semaine dernière : l’Office de la protection du consommateur a demandé à un juge de suspendre le processus. L’organisme n’a pas voulu me répéter l’argumentaire soumis au tribunal.

Selon Perrier Avocats, qui pilote le dossier avec Donati Maisonneuve, l’OPC a fait valoir que cette action collective ressemblait trop à celle intentée contre les transporteurs aériens.

« On est choqués qu’ils utilisent de pareils arguments pour retarder le processus. Ce qu’on veut, c’est que le monde soit remboursé, dit MRéjean Paul Forget, de Perrier Avocats. On a déposé cette action dans l’esprit de faire ressortir cette aberration que le gouvernement ne prend pas ses responsabilités. Cette institution devrait être proactive pour aider les gens, mais on voit qu’il n’y a pas de volonté de le faire. »

« La loi qui a créé le FICAV donne plein d’outils au gouvernement pour aider les gens de manière urgente. Ils auraient pu le faire. Notamment en finançant les montants qui manquaient. Ils auraient pu réagir depuis longtemps », poursuit l’avocat.

De fait, cette démarche pour obtenir une suspension du processus judiciaire donne l’impression que l’OPC se bat contre les consommateurs qui veulent faire valoir leurs droits, alors qu’il devrait plutôt faire des pieds et des mains pour les rembourser au plus vite.