Au début de la pandémie, des CPE ont reçu un triste conseil : ne payez pas vos éducatrices.

Le gouvernement caquiste venait d’annoncer que les garderies devaient payer leurs employées, y compris celles qui ne pouvaient pas travailler. Mais des conseillers ont trouvé une entourloupette pour ne pas appliquer la directive.

Voilà un exemple des dérives des négociations. Et ce n’est même pas le pire.

Dès sa fondation en 2011, la Coalition avenir Québec promettait d’augmenter le salaire des enseignants au primaire et au secondaire. Mais il a fallu plus d’une année de négociation pour que cet engagement soit concrétisé. Cela a empiré le climat de travail déjà difficile lors du retour en classe.

On l’a vu aussi avec les garderies en milieu familial l’automne dernier.

Des propriétaires en ferment chaque année au Québec. Si les éducatrices sont mal payées, cette tendance s’aggravera, ce qui réduit les places et empêche des parents de retourner au travail. Personne n’y gagne.

Cette vision d’ensemble aurait dû être présente à la table de négociation. Hélas, ce ne fut pas le cas.

La négociation relevait de contractants externes, et non du ministère de la Famille. Ces représentants n’ont aucune imputabilité politique, et ils ont une vision étroite de l’intérêt public.

Cela se voyait dans l’entente. La preuve, le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, semblait insatisfait. Quelques mois plus tard, il a obtenu de son gouvernement une enveloppe additionnelle de 200 millions de dollars. Soit plus du double de ce qui avait été offert par les négociateurs.

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Ce scénario ne doit pas se reproduire avec les éducatrices en CPE.

Comme je l’écrivais dimanche, le Québec doit trouver plus de 10 000 éducatrices d’ici 2024, et pour les attirer, il faudra leur offrir de meilleurs salaires. Mais ce sera difficile à faire dans la négociation actuelle.

Lisez la chronique « Payez-les et elles viendront »

Québec a un contrôle limité sur le salaire des éducatrices, à cause du développement bordélique du réseau sous les libéraux.

L’État négocie avec les CPE (la moitié des éducatrices y sont syndiquées) et avec les milieux familiaux. Ensemble, ces garderies comptent pour 62 % des places. Les autres se trouvent dans le privé (subventionné et non subventionné). Ces établissements sont incités à suivre les hausses salariales des CPE pour ne pas perdre leurs employées. Mais ils n’y sont pas obligés.

Même pour les CPE, le contrôle de Québec est imparfait. Les négociations avec eux sont complexes. Ils sont représentés par 14 associations patronales. Face à elles se trouvent trois syndicats qui tirent la couverture de leur côté. Le gouvernement complète cet étrange triangle.

Comme d’habitude, ces gens prennent tout leur temps pour débattre. Après tout, ils sont bien payés pour le faire…

Aux yeux des habitués, c’est normal. Voilà justement le problème.

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Dès son début de mandat, M. Lacombe avait reconnu ces blocages. Malheureusement, il a perdu deux ans avant de s’y attaquer.

Pour accélérer la création de places en CPE, il promet enfin d’alléger le fardeau réglementaire. Une consultation en vue d’un livre blanc a aussi été lancée. Elle doit culminer avec un projet de loi à l’automne.

C’est un bon début. N’empêche que le dossier ne paraît pas encore être une priorité des caquistes.

François Legault est sincèrement convaincu de l’importance d’agir tôt en petite enfance, mais il le fait d’abord avec les maternelles 4 ans. Elles vont requérir l’embauche d’une éducatrice, ce qui aggravera la pénurie dans les garderies.

L’un pourrait nuire à l’autre.

Pourtant, ce qui se passe avant la maternelle est crucial pour le développement des tout-petits.

Une rare chance s’offre au gouvernement de combiner ces deux projets dans une vision d’ensemble. En échange de leur arrimage aux maternelles 4 ans, il pourrait intégrer des places privées dans le réseau subventionné.

Plusieurs propriétaires le demandent d’ailleurs, et un projet pilote a déjà été lancé en ce sens pour 3500 places.

Aller plus loin ne serait toutefois pas simple. Il faudrait notamment récupérer l’argent perdu du fédéral en renonçant au crédit d’impôt accordé au réseau privé.

Mais à tout le moins, l’idée mérite d’être examinée lors des consultations en cours. Pas besoin de tout changer avec une complexe et coûteuse nationalisation. D’autres modèles existent. On pourrait s’inspirer de la conversion des CHSLD privés en modèles dits « conventionnés », pour que des normes additionnelles s’y appliquent.

Cela pourrait même devenir un chantier pour un deuxième mandat caquiste.

Le but : que l’État contrôle mieux la création et l’attribution des places, ainsi que la rémunération des éducatrices et la qualité de leur travail.

Mais d’ici là, à court terme, il y a urgence : mettre fin à l’habituel théâtre des négociations et prévenir les bris de services.