Malgré les dizaines de millions d’investissements pour construire 113 kilomètres de voies cyclables depuis 2015, les Lavallois n’ont toujours pas pris l’habitude d’enfourcher leur vélo pour leurs déplacements. Selon des chiffres obtenus en primeur par La Presse, l’automobile demeure reine dans la troisième ville de la province.

Vendredi, 8 h. Alors que la circulation automobile s’intensifie sur le boulevard Saint-Martin, celle sur la piste cyclable est fluide. Un cycliste intercepté, Carlos Cardenas, revient du travail. « J’ai seulement rencontré un vélo ce matin, mais il n’était pas sur Saint-Martin. D’habitude, c’est un ou deux cyclistes que je croise sur le boulevard », lance-t-il.

Le tronçon longeant le boulevard Saint-Martin (entre Le Corbusier et de l’Avenir), construit en 2017, n’a attiré qu’un maximum de 258 usagers quotidiens en semaine, en 2020, selon un rapport de Vélo Québec en collaboration avec la Ville de Laval qui sera rendu public le 22 juin.

L’achalandage demeure timide pour d’autres nouvelles pistes cyclables dans cette ville de bientôt 500 000 habitants. Des tronçons situés sur le boulevard Bellerose et sur l’avenue Louis-Payette, tous deux construits en 2018, ont attiré respectivement un maximum de 238 et 146 usagers quotidiens en semaine l’année dernière.

« Je ne sais pas pourquoi il y a autant de résistance ! », se demande même le conseiller municipal de la Ville de Laval et responsable de la mobilité active, Vasilios Karidogiannis.

Si, globalement, on remarque « une augmentation du vélo tant utilitaire que récréatif dans tout le réseau », le conseiller municipal du Mouvement lavallois convient que cette hausse « n’est pas suffisante ». Le défi, admet-il, est de changer la culture du vélo.

À Laval, ce n’est pas facile. La ville est faite pour les automobilistes, ç’a été construit comme ça. La vision, c’était de prendre son auto pour aller magasiner à deux pas de chez nous. […] C’est vraiment un style de vie établi depuis longtemps qu’on essaie de changer.

Vasilios Karidogiannis, conseiller municipal de la Ville de Laval et responsable de la mobilité active

En 2020, le transport constituait 69 % des émissions de gaz à effet de serre à Laval, selon la Ville. En 2016, selon le dernier recensement de Statistique Canada, la part des navetteurs utilisant le vélo comme moyen de transport pour se rendre au travail à Laval se situait à 0,5 %. Dans l’agglomération de Longueuil, cette part était de 1,4 %, et à Montréal, à 3,6 %.

Laval a pourtant mis les bouchées doubles pour encourager la mobilité active. Un plan directeur du réseau cyclable adopté en 2019 par le conseil municipal prévoit d’atteindre 475 km de voies cyclables d’ici 2031. Depuis 2015, ce sont 113 km qui ont été construits. Les investissements au programme triennal d’immobilisations de 2017 à 2020 s’élèvent à plus de 15 millions par année pour des projets de mobilité active et des mesures d’apaisement de la circulation.

Un réseau « sous-utilisé »

La Lavalloise Catherine Pilotte pratique le vélo avec ses enfants depuis plusieurs années, mais ne remarque pas un achalandage accru. « Le seul changement que je vois, c’est que les anciennes pistes sont plus utilisées, mais je ne vois pas plus de gens sur les nouvelles. […] Habituellement, quand j’emprunte les nouveaux tronçons, je suis toute seule. »

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Le tronçon longeant le boulevard Saint-Martin (entre Le Corbusier et de l’Avenir), construit en 2017, n’a attiré qu’un maximum de 258 usagers quotidiens en semaine, en 2020, selon un rapport de Vélo Québec.

Idem pour François Lareau, qui utilise le vélo pour aller travailler. « En été, le réseau est clairement sous-utilisé », constate-t-il. Selon lui, la culture de la vitesse, une cohabitation difficile avec les automobilistes et certains aménagements peu convenables en sont la cause. Il ne croit toutefois pas que la Ville a manqué sa cible. « Dire qu’elles ne sont pas utilisées et que c’est un échec, je n’irais pas jusque-là. [Mais] j’accuse un peu la Ville de ne pas faire plus de sensibilisation. »

Malgré les « chiffres modestes » présentés dans le rapport lavallois, le président-directeur général de Vélo Québec, Jean-François Rheault, est certain qu’« avec le temps, ça va se bonifier ».

Ça prend du temps pour que les nouveaux comportements s’installent, qu’une nouvelle infrastructure réalise son plein potentiel.

Jean-François Rheault, président-directeur général de Vélo Québec

Il ajoute que le facteur télétravail relié à la pandémie est à considérer dans le comptage.

Sensibiliser les citoyens

Le Lavallois Georges Schneller, un des instigateurs du Groupe de réflexion sur le vélo à Laval, estime qu’il n’y a pas assez de sensibilisation. « Quand on pense à construire de nouvelles pistes, il faut aussi faire de la promotion, des campagnes de sensibilisation, des évènements rassemblant des cyclistes pour faire découvrir les nouvelles infrastructures. Ça va de soi », croit-il.

« Laval en fait plus [de promotion] que Montréal. Il y a aussi plus de travail à faire à Laval, puisqu’à Montréal, la culture vélo existe déjà », affirme le PDG de Vélo Québec, citant le programme de subventions mis en place par la Ville pour les vélos électriques, ainsi que l’implantation de six stations BIXI sur son territoire.

Mais la solution magique est loin d’être à portée de main, admet le conseiller municipal Vasilios Karidogiannis. « Même si on injecte des millions dans la promotion, ça ne suffira pas. […] On ne veut pas forcer les gens à utiliser le vélo. Je crois que ça commence avec les enfants en bas âge. Les installations sont là, c’est un bonus. On commence du bon pied avec ça, puis l’éducation et la promotion s’en viennent », conclut-il.