Cinq ans après l’adoption d’une loi qui encadre les reprises et les évictions des logements occupés par des aînés, Québec est pressé d’informer les locataires de leurs droits et d’imposer des amendes aux propriétaires qui font de fausses déclarations.

(Québec) Françoise David garde un souvenir indélébile de l’adoption, le 10 juin 2016, du projet de loi 492 afin de protéger les droits des locataires aînés. Une mesure législative qu’elle avait déposée et dont le gouvernement avait exceptionnellement permis de faire l’étude. Mais cinq ans après son adoption, les locataires connaissent toujours peu (ou pas) leurs nouveaux droits, déplore-t-elle.

Mme David raconte avoir été profondément émue par l’histoire « crève-cœur » que La Presse a publiée le mois dernier concernant un homme âgé qui habitait son logement depuis plus de 40 ans et qui a commis l’irréparable après avoir été la cible d’une reprise de logement.

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« Le monsieur avait des revenus modestes et aurait pu être protégé par la loi, mais il ne le savait pas et n’est jamais allé voir son comité logement. C’est dramatique », affirme-t-elle dans le cadre d’une entrevue bilan du cinquième anniversaire de l’adoption de la loi.

En fait, ajoute Mme David, aucun gouvernement « n’a fait la moindre campagne d’information pour informer les locataires aînés de leurs droits », ce qu’elle trouve profondément décevant.

Qu’est-il prévu ?

La loi découlant du projet de loi 492 a modifié en 2016 le Code civil. Il est désormais prévu qu’un locataire âgé de 70 ans et plus, qui vit dans son logement depuis au moins 10 ans et qui a un revenu lui permettant d’être admissible à un logement à loyer modique (31 000 $ en 2020 pour un couple ou une personne seule vivant à Montréal) ne peut être la cible d’une reprise de logement ou d’un processus d’éviction.

Il existe toutefois trois exceptions :

  • Si le propriétaire qui veut reprendre le logement pour lui-même a 70 ans ou plus ;
  • Si le bénéficiaire de la reprise est âgé de 70 ans ou plus ;
  • Si le propriétaire, âgé de 70 ans ou plus, reprend le logement pour y loger un membre de sa famille directe ou un proche aidant.

Martin Blanchard, du comité logement de la Petite-Patrie, à Montréal, explique que les aînés étaient surreprésentés dans les avis de reprise de logement avant l’adoption de la loi. Au comité, ils formaient le tiers des demandes de renseignement, alors qu’ils ne représentaient qu’entre 5 et 10 % de la population du quartier.

Cette année, sur 200 demandes d’information au comité logement pour des cas de reprise ou d’éviction, seulement 21 provenaient d’aînés. « La loi marche », dit-il… en ajoutant dans la foulée un « mais ».

Des brèches

Selon lui, les trois exceptions prévues par Québec se sont finalement avérées des brèches, dans leur application. Elles permettent à certains propriétaires de contourner l’esprit de la loi.

Dans certains cas, déplore M. Blanchard, ils utilisent des prétextes pour répondre à l’une des exceptions, sans que l’histoire mise de l’avant au moment de la reprise du logement se concrétise, une fois que le locataire est parti.

Des locataires se font même demander à l’occasion leur numéro d’assurance maladie au moment de signer un bail, afin de connaître leur âge. « [Certains propriétaires] vont faire une opération de reprise ou d’éviction avant que [leurs locataires] aient 70 ans et qu’ils soient protégés par la loi », illustre-t-il.

Nouvelle réforme réclamée

Martin Blanchard et Françoise David, qui ont travaillé ensemble à l’élaboration du projet de loi 492 à l’époque, réclament de nouveau un meilleur encadrement des droits des locataires aînés.

La plupart du temps, les locataires aînés sont des personnes qui habitent toutes sortes de quartiers, de villes, des deuxièmes étages, des troisièmes étages, des logements pas très grands. Ce sont des personnes qui habitent ces logements depuis longtemps et c’est pour ça que les proprios veulent les évincer, parce qu’ils ne paient pas le prix du loyer qui, avec un peu de rénovation, pourrait être doublé.

Françoise David, ancienne députée de Québec solidaire

L’ancienne députée solidaire souhaite que le gouvernement Legault abaisse l’âge d’admissibilité dans la loi de 70 à 65 ans, et qu’il rehausse le revenu admissible qui est prévu pour se prémunir des évictions et des reprises de logement.

Martin Blanchard souhaite pour sa part que les évictions ne soient plus permises en période de crise du logement. Le gouvernement conteste pour sa part que le marché locatif traverse une crise.

M. Blanchard demande également à Québec que le Tribunal administratif du logement (anciennement la Régie du logement) fasse un suivi auprès des propriétaires qui utilisent une exception prévue à la loi. Après un certain temps, si leurs prétentions ne se sont pas avérées, il faut leur imposer des amendes, dit-il.