À l’heure où se multiplient les nouvelles émissions d’actions de titres d’entreprises technologiques — qui se réalisent à des niveaux de valorisation dignes de l’époque de spéculation débridée du début des années 2000 —, voilà qu’Exfo, une pure entreprise techno québécoise, inscrite à la Bourse depuis plus de 20 ans, entame un processus de privatisation. Une démarche inusitée, mais mûrement réfléchie par son instigateur et actionnaire majoritaire, Germain Lamonde, qui souhaite simplifier la vie de son entreprise.

Lightspeed a fait son entrée en Bourse il y a deux ans et affiche aujourd’hui une valorisation boursière de 11,3 milliards. Nuvei a fait de même en septembre dernier et sa valeur se chiffre maintenant à 11,5 milliards.

Dialogue a fait elle aussi une première émission d’actions en mars dernier qui a rapidement propulsé sa valeur en Bourse à plus de 1 milliard. La société, qui a enregistré l’an dernier des revenus de 45 millions et essuyé une perte nette de 20 millions, a perdu un peu de son lustre à la Bourse, mais sa valeur nette dépasse tout de même 800 millions.

Ces performances boursières ne sont pas sans rappeler celle d’Exfo à ses débuts comme société publique, en 2000, lorsque la bulle technologique arrivait à son apogée.

La révolution internet était en pleine ébullition et la fibre optique faisait son apparition dans l’arsenal des équipements qui pousseraient plus loin encore les avancées de la numérisation de l’économie. Tous les titres de sociétés technologiques explosaient, dont celui de la star canadienne Nortel, qui a atteint des sommets stratosphériques.

PHOTO ERICK LABBÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Germain Lamonde, PDG d’Exfo

Exfo, une société de Québec, active à l’époque depuis 15 ans dans le développement et la fabrication de tests pour les entreprises de télécommunications, proposait des solutions pour les réseaux de fibres optiques. L’entreprise affichait des revenus de 45 millions, faisait des profits, avait le vent dans les voiles.

De façon simultanée, Exfo a fait son inscription en juin 2000 à la Bourse de Toronto et à celle du NASDAQ, aux États-Unis, avec une émission d’actions à 30 $ l’unité. Rapidement, la valeur du titre a explosé pour atteindre, cinq mois plus tard, les 125 $, et son PDG, Germain Lamonde, a même brièvement figuré sur la liste des milliardaires de la revue Forbes jusqu’au moment où la bulle techno a explosé.

En mars 2002, l’action d’Exfo retombait à 9 $ et ne s’appréciera pas par la suite. L’entreprise a eu beau continuer de développer des solutions de tests et d’analyse des réseaux de fibres optiques toujours plus innovantes, se hisser au rang de leader mondial dans son secteur et multiplier par six ses revenus (qui sont aujourd’hui de 300 millions US), son action ne remonte pas.

Elle ne valait que 4,46 $, lundi matin, avant que Germain Lamonde annonce son plan de rachat.

Contenter les actionnaires mécontents

Le président exécutif du conseil d’Exfo a offert lundi à ses actionnaires minoritaires de racheter leurs actions à droit de vote subalterne en leur payant une prime de 62 % sur le cours du titre, ce qui valorise son offre à 7,24 $ par action.

Germain Lamonde détient 100 % des actions à droit de vote multiple et 14 % des actions à droit de vote subalterne, ce qui lui assure le contrôle de 61,4 % de toutes les actions du groupe et de 93,5 % des droits de vote.

« On est arrivés là dans notre cheminement. Après 21 ans comme société publique, on pense que dans l’intérêt général de l’entreprise, de ses actionnaires, de ses clients et de ses parties prenantes, la meilleure solution est de privatiser Exfo », m’a expliqué Germain Lamonde.

Ce n’est pas par opportunisme qu’il a décidé de lancer cette opération, mais pour simplifier la vie de l’entreprise en réduisant ses coûts de conformité et contenter beaucoup d’actionnaires impatients. Cela fait plusieurs années qu’il jongle avec l’idée.

« Comme j’ai le contrôle sur plus de 60 % des actions de l’entreprise, il n’y a pas un gros volume de transactions sur le marché. Les possibilités d’appréciation ne sont pas nombreuses parce qu’il n’y a pas d’achalandage », constate l’entrepreneur-propriétaire.

Avec l’appui financier de la Banque Nationale et d’Investissement Québec, qui vont participer au rachat des 23 millions d’actions à droit de vote subalterne, Exfo va pouvoir fermer sa structure de capital.

Il est quand même ironique qu’au moment même où les entreprises technos nagent en pleine bulle spéculative et profitent de valorisations insensées, Exfo ne participe pas à cet eldorado boursier.

Le problème, selon Germain Lamonde, c’est qu’Exfo doit continuellement fabriquer de nouvelles solutions technologiques de surveillance et de détection des réseaux, alors que 97 des 100 plus gros opérateurs de télécoms au monde utilisent ses produits.

« On n’arrive pas à implanter des solutions qui assureraient des revenus récurrents. Nos clients, les grands opérateurs comme Bell, Vidéotron, AT & T, ne veulent pas de ce modèle alors qu’ils en profitent largement auprès de leur clientèle », déplore Germain Lamonde.

Une fois privatisée, Exfo n’aura plus à vivre la pression de livrer des résultats trimestriels à l’avenant et de les diffuser publiquement à ses concurrents… « On n’aura plus à vivre la pression des marchés financiers, surtout qu’on avait deux inscriptions au Canada et aux États-Unis. On va gérer Exfo pour le long terme », soumet Germain Lamonde.

En somme, il préfère la vie à la Bourse.