La découverte des restes de 215 enfants autochtones sur le site d’un ancien pensionnat à Kamloops rouvre des plaies profondes dans la communauté de Mashteuiatsh, au Lac-Saint-Jean. Le Québec n’a pas échappé aux ravages laissés par les pensionnats, où des sévices sexuels et physiques ont été commis pendant des années. Comment survivre à un tel héritage ? Comment en guérir ?

(Mashteuiatsh) Julienne Siméon n’est jamais revenue du pensionnat.

Elle a été arrachée à sa famille à la fin des années 1950 pour être envoyée à l’établissement de Fort George, dans le Nord-du-Québec. À des centaines de kilomètres de Mashteuiatsh où elle vivait. Ses parents sont morts sans avoir aucune idée de ce qui était arrivé à leur fille. Sans savoir où était enterré son petit corps. Elle avait 9 ans.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Jeannette Siméon montrant une photographie de sa sœur, Julienne

« Je me suis dit : ‘‘Un jour, je vais la retrouver.’’ »

Un tas de papier est étalé sur la table de la cuisine de Jeannette Siméon. Elle a fait la promesse à sa mère de découvrir la vérité. Où était Julienne, sa sœur.

« Qui l’a amenée ? Qui en a pris soin ? On a posé beaucoup de questions. Parfois, j’étais révoltée. C’était tout un drame. Aujourd’hui, on regarde ailleurs ce qui s’est passé, mais ici aussi, il y a des choses qui se sont passées », raconte l’Innue de 68 ans, faisant allusion au drame de Kamloops où les restes de 215 enfants ont été découverts.

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Jeannette Siméon

Il faut que les gens sachent ce qui s’est passé ici aussi.

Jeannette Siméon

Elle a écrit à tous les hôpitaux du Québec. Des lettres rédigées à la main. Au Bureau du coroner, au Directeur de l’état civil… Sa fille l’a beaucoup aidée, quand il fallait écrire en anglais. Il lui a fallu neuf ans d’efforts – autant d’années de la courte vie de Julienne – pour trouver des réponses. Cinquante-trois ans plus tard, en 2012.

Marie Rose Ghislaine Siméon, dite Julienne Siméon, est morte à l’hôpital Maisonneuve, à Montréal, le 3 décembre 1959. Son cœur n’a pas tenu bon. Elle a été inhumée au cimetière de Kahnawake, près de Montréal. Jeannette Siméon a fait le trajet. Il y avait une rangée pour ceux morts en 1959.

« C’est où exactement ? », a-t-elle demandé.

« On m’a dit que c’était à moi de choisir. »

« Vu qu’elle était toute petite, je me suis dit que j’allais prendre la plus petite croix », poursuit l’aînée. Mme Siméon sait bien qu’elle ne pourra jamais savoir avec certitude si elle a déposé ses fleurs au bon endroit. Mais pour elle, c’est là que repose sa sœur. « On a beaucoup souffert. »

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Jeannette Siméon montrant une photographie de sa sœur, Julienne

Mes parents… Tu as beau avoir 13 enfants, quand il t’en manque une… […] Ma mère me disait : “Je ne sais pas elle est où, ta sœur.”

Jeannette Siméon

Mme Siméon retournera à Kahnawake, le 3 juillet, pour y tenir une cérémonie. « Je veux mettre une vraie croix, en fer. »

Les enfants de Mashteuiatsh, près de Roberval, étaient envoyés à Fort George dans les années 1950, avant l’ouverture d’un pensionnat dans la communauté, en 1960. Jeannette Siméon y a séjourné deux ans. « Ils nous coupaient les cheveux, regardaient si on avait des poux et ils nous donnaient un numéro », se souvient-elle. Et quand elle pleurait sa sœur, les religieuses l’enfermaient au sous-sol.

Des plaies rouvertes

Les évènements de Kamloops ravivent la douleur dans les communautés de partout au pays. « Depuis que c’est sorti, je me sens bizarre. […] C’est venu réveiller encore des choses », explique calmement Claude Boivin. Il a été admis au pensionnat de Mashteuiatsh en 1962. Il avait 6 ans. « Même rendu à 65 ans, tu regardes ça et tu te dis : ‘‘Voyons donc… Ça va-tu finir, ça, là ?’’ »

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Claude Boivin

L’établissement de Pointe-Bleue (Mashteuiatsh) est le dernier pensionnat à ouvrir au Québec. Il sera aussi le dernier à fermer, en 1991. On justifie à l’époque sa construction par le fait que l’établissement d’Amos déborde. Mashteuiatsh accueillera une importante proportion d’enfants atikamekw de la Haute-Mauricie qui étaient d’abord envoyés en Abitibi-Témiscamingue.

Ce sont les Oblats missionnaires de Marie-Immaculée qui gèrent l’école qui peut accueillir jusqu’à 200 pensionnaires. Comme ailleurs, des sévices physiques et sexuels seront rapportés par d’anciens élèves de Mashteuiatsh, notamment lors de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR), qui a déposé son rapport en 2015.

On dormait d’une oreille. Lequel va disparaître ? Tous les soirs, il en disparaissait un. Il partait avec le frère. Lui, il pensait qu’on dormait. On ne dormait pas. On l’entendait qui braillait. On l’entendait revenir.

Claude Boivin

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Des peluches ont été déposées devant l’ancien pensionnat de la réserve de Pointe-Bleue, à Mashteuiatsh, dont le bâtiment abrite désormais une école secondaire.

Des membres de sa fratrie ont subi des agressions, affirme-t-il. Pas lui. Parce qu’il a réussi une fois à s’enfuir, résume-t-il sans beaucoup de détails.

« Dans le pensionnat, on t’écrase, t’es rien, t’es sale. Aujourd’hui, j’ai les cheveux longs parce que c’est moi qui décide quand je les coupe. Là-bas, on nous rasait. Je voyais mes autres frères à la cafétéria ou dans la cour et je ne pouvais pas leur parler. »

Encore aujourd’hui, il admet ne « pas connaître vraiment » ses frères et sœurs. Sa famille a éclaté pendant l’époque des pensionnats.

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Claude Boivin

Les parents, ils se sont mis à boire. Ils n’allaient plus dans le bois, ils étaient tristes […] Un village sans enfants, c’est un village mort.

Claude Boivin

C’est d’ailleurs lorsqu’il pense à sa mère que son cœur se serre. Ses neuf enfants en pensionnat, loin d’elle, pendant des années. « Nous autres, on était petits, on ne comprenait pas trop. Eux autres, ils ont souffert. » Ses pensées se tournent vers les parents de Kamloops.

« Le pensionnat, ça a pris notre vie. »

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