Ce n’est plus dans les églises que les sans-papiers devraient chercher refuge pour éviter l’application d’un ordre d’expulsion. C’est dans un amphithéâtre de la Ligue nationale. L’application du droit commun y est suspendue.

Même si on ne suit pas le hockey, difficile de ne pas avoir vu cette scène révoltante : Jake Evans, jeune joueur du Canadien, est en train de pousser une rondelle dans un filet désert ; un joueur des Jets de Winnipeg, Mark Scheifele, qui a accéléré sur presque toute la longueur de la patinoire, l’agresse.

Pendant de longs instants, Evans est étendu sur la glace, inconscient, avant d’être évacué sur une civière.

Jeudi toute la journée, experts et anciens joueurs de hockey tentaient de deviner quel serait le degré d’insignifiance de la suspension infligée à Scheifele par la Ligue nationale. Un match ? Deux ? Quoi, quatre ???

Mais comme l’a écrit jeudi Alexandre Pratt, il y a un article dans le Code criminel, là-dessus. Ça s’appelle des voies de fait. S’il y a une blessure plus que passagère, ça s’appelle même des voies de fait avec lésion.

Lisez la chronique « Mark Scheifele doit être exclu des séries »

La ligue, qui se fend de déclarations émouvantes contre la brutalité policière et pour la santé mentale, est complice de cette violence. Elle ne la punit pas. Et elle ne changera pas.

Il faudra que la loi s’en mêle tôt ou tard. Je veux dire la loi qui s’applique à vous et moi.

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Des voies de fait, c’est tout simplement l’utilisation de la force contre quelqu’un sans son consentement.

Il va de soi qu’en jouant au football, je consens à me faire frapper. Dans un combat de boxe, je consens à recevoir des coups de poing. Au hockey, je consens à recevoir des mises en échec.

Mais bien entendu, ce n’est pas un consentement illimité.

Depuis longtemps, les tribunaux ont dit que même dans un sport de contact, un joueur ne consentait pas à des gestes qui dépassent le cadre normal du jeu. Il n’y a eu néanmoins que de rares cas de poursuites criminelles, et uniquement dans des cas très évidents. Un coup de bâton sur la tête (McSorley). Une attaque par-derrière qui a presque paralysé un joueur (Bertuzzi).

Les agressions « ordinaires » ne donnent jamais lieu à une dénonciation criminelle, encore moins à une condamnation.

Pourquoi ? Avant d’autoriser une poursuite criminelle, un procureur serait obligé d’observer le degré implicite d’acceptation de la violence dans le hockey nord-américain. On tolère dans le hockey professionnel un degré de violence qu’aucune autre grande ligue professionnelle n’accepte. La faiblesse des sanctions, le peu de dénonciations verbales par les joueurs eux-mêmes, tout montre un degré de consentement très large. Jusqu’à quel point une agression s’écarte-t-elle de ce consentement implicite ? Le procureur devra ensuite faire une preuve hors de tout doute raisonnable. On lui opposera les mille preuves de l’acceptation de la violence dans ce milieu. Et la complicité tacite des joueurs eux-mêmes. Leur association conteste souvent les suspensions.

Et pourtant, se faire assommer sur une patinoire ne devrait pas faire partie des risques du métier.

Certains prétendent que Scheifele ne voulait pas blesser Evans. Il n’avait pas de mauvaises intentions.

Ah bon ? Que pouvait-il bien vouloir faire ?

« Terminer sa mise en échec » ?

Un des principes de base du droit criminel (et du simple bon sens) est qu’on est toujours censé vouloir la conséquence naturelle de ses gestes. Si je fonce à 35 km/h, épaule devant, sur un joueur vulnérable, je veux lui faire mal. Ça ne peut pas être un accident.

Toujours jeudi, les experts se demandaient s’il s’agissait d’un « assaut » ou d’un « coup à la tête ». C’est peut-être intéressant quand on tente de trouver l’article du règlement de la LNH. Mais ça change quoi ? C’est une agression dans tous les cas. Qui a causé une commotion cérébrale.

Longtemps, Don Cherry et ses disciples ont fait la promotion de la théorie de la tête basse. Selon eux, si un joueur ne regarde pas bien les menaces, tant pis pour lui, on peut lui foncer dessus, quelles que soient les circonstances. Ça n’a jamais été vrai, même dans le règlement. Mais certains pensent encore comme ça – comme certains pensent qu’une victime d’agression sexuelle en a été responsable à cause de sa tenue vestimentaire.

Il va de soi que tout geste mettant intentionnellement en danger un autre joueur est illégal et devrait être jugé comme tel. Il y a une responsabilité d’éviter de blesser l’adversaire, je dirais même de protéger l’adversaire contre les blessures, comme on n’a pas le droit de foncer volontairement sur quelqu’un même s’il n’a pas fait son stop. Toutes les mises en échec ne sont donc pas acceptables. Et ce qu’on a appelé depuis 36 heures un coup « salaud » est un authentique acte de voies de fait.

Mais n’allez pas demander aux gens de la ligue d’appeler « crime » un geste qui ne vaut même pas une suspension sérieuse.

Viendra donc un jour, comme je disais plus haut, où il faudra que les tribunaux s’en mêlent.

Ça viendra après des blessures graves à un joueur.

Il y aura des poursuites civiles pour de gros montants, d’un joueur courageux dont la carrière aura été ruinée par un « geste salaud ». Peut-être même des accusations criminelles.

Tout est en place, la table est mise, le danger bien connu, annoncé.

Il ne manque que la victime parfaite, il ne manque que la tragédie.