(Québec et Ottawa) Ce sont les familles autochtones qui doivent dicter la marche à suivre des gouvernements pour investiguer les anciens sites des pensionnats, plaident Québec et Ottawa.

À la suite de la macabre découverte des restes de 215 enfants la semaine dernière à Kamloops, en Colombie-Britannique, le gouvernement Legault dit vouloir « sécuriser » les sites d’anciens pensionnats situés au Québec. Le premier ministre a offert sa collaboration à Ottawa pour participer à d’éventuelles fouilles sur le terrain pour donner « le maximum » de réponses aux familles.

Mais tant à Québec qu’à Ottawa, les gouvernements veulent consulter les familles et les communautés touchées pour agir selon leur volonté. « Imaginez une seconde que j’annonce aujourd’hui que nous allons creuser pour trouver des corps à Mashteuiatsh ? Comment les familles réagiraient ? », a lancé le ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière.

Une image forte, mais qui illustre toute la sensibilité de ce dossier.

« Les survivants, les familles et les communautés doivent être au cœur de tous les efforts visant à réparer les dommages causés par les pensionnats », a pour sa part déclaré le premier ministre Justin Trudeau durant un débat exploratoire tenu mardi soir dans la foulée de la découverte de cette fosse commune qui a choqué tout le pays.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Justin Trudeau dépose des fleurs devant un mémorial improvisé à Ottawa.

« À tous ceux qui souffrent : je suis vraiment désolé que ce pays vous ait laissé tomber. On doit faire en sorte que ce genre d’échec systémique ne se reproduise plus jamais », a ajouté M. Trudeau. Mais selon lui, « s’excuser n’est pas suffisant ».

Il s’est engagé à fournir les sommes nécessaires pour mener à bien les fouilles qui pourraient être réclamées par les Premières Nations.

Selon le ministre des Services aux Autochtones, Marc Miller, la découverte des restes d’enfants à Kamloops est sans aucun doute « la pointe de l’iceberg ». Il a indiqué avoir reçu des requêtes de certaines communautés autochtones pour mener des fouilles sur les sites d’autres pensionnats.

Des fouilles devraient commencer dans un pensionnat de la région de Regina, en Saskatchewan, la semaine prochaine. En tout, 139 pensionnats ont été mis sur pied au pays au dernier siècle. Selon le ministre Miller, il est crucial de respecter les souhaits des familles et les us et coutumes des Premières Nations durant cette difficile période qui ravive des plaies jamais pleinement guéries.

« Un chapitre sombre et douloureux »

« Les pensionnats autochtones sont un chapitre sombre et douloureux de notre histoire canadienne. Malheureusement, ces nouveaux chapitres augmentent cette triste histoire », a soutenu le chef du Parti conservateur, Erin O’Toole.

Ce dernier a de nouveau exhorté le gouvernement Trudeau à mettre en œuvre les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation touchant les pensionnats autochtones et les enfants disparus dans les plus brefs délais.

Chose certaine, les plaies sont encore vives dans les communautés autochtones. Le dernier pensionnat à avoir fermé ses portes au Québec est celui de Pointe-Bleue (Mashteuiatsh) en 1991.

YVES TREMBLAY, LES YEUX DU CIEL

L’ex-pensionnat de Mashteuiatsh, au Lac-Saint-Jean

Clifford Moar, chef innu de la communauté située au nord de Roberval, estime que la population « s’attend » à ce qu’on mène des fouilles radars sur le site de l’ancien pensionnat, qui a été transformé en école secondaire depuis. « On espère que ce n’est pas arrivé chez nous », lâche M. Moar, qui a lui-même été pensionnaire pendant cinq ans.

« Combien de choses va-t-on découvrir encore ? On essaye de passer à travers cette période-là, et ça demande beaucoup d’efforts aux personnes qui sont dans ce processus de guérison », déplore-t-il.

À Mani-Utenam, près de Sept-Îles, où il y a aussi eu un pensionnat jusqu’en 1971, le chef Mike McKenzie affirme qu’il est « essentiel que la lumière soit faite et que tous les efforts soient déployés » pour donner des réponses aux familles survivantes de cette époque noire, ce qui comprend la tenue de fouilles similaires sur le terrain.

« Laissez-nous un peu de temps »

Québec et Ottawa ont ouvert le dialogue sur la question. Le ministre Lafrenière multiplie les appels auprès des chefs autochtones et des familles survivantes pour sonder le pouls. « Il y a certaines familles qui m’ont dit : laissez-nous un peu de temps pour digérer tout ça. L’annonce [de Kamloops] a été dure émotivement », a-t-il ajouté.

Le ministre a assuré « qu’aucune piste n’est écartée » à ce stade-ci.

Je travaille avec la Sécurité publique, le Bureau du coroner et la Sûreté du Québec pour voir quelle sera l’approche et une de mes priorités sera de sécuriser les lieux. Comment peut-on s’assurer qu’il n’y aura pas d’autres travaux qui vont être faits sur un de ces lieux-là qui pourraient contenir des corps, malheureusement.

Ian Lafrenière, ministre responsable des Affaires autochtones

Une douzaine de pensionnats ont existé au Québec. Il y en avait également un à Amos, à La Tuque et à Fort George.

Par ailleurs, le ministre Lafrenière n’a pas l’intention d’élargir la portée de son projet de loi sur les enfants autochtones disparus à la « réalité des pensionnats », comme l’a proposé mardi le chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, Ghislain Picard. Le projet de loi pourrait être adopté dès cette semaine.

« Je pourrais faire une belle sortie publique, une belle annonce de communication en vous disant : on va l’amender. Mais, je le sais, dans mon for intérieur, que ça ne changerait absolument rien. Et moi, je ne ferai pas ça sur le dos des familles », a assuré M. Lafrenière. Il a affirmé qu’une loi provinciale « n’a pas d’emprise sur un dossier fédéral ».

Les partis de l’opposition ont appuyé la proposition du chef Picard et réclament la tenue d’une enquête publique sur la disparition d’enfants autochtones au Québec. Le projet de loi 79 doit permettre « la communication des renseignements personnels aux familles d’enfants autochtones disparus ou décédés à la suite d’une admission en établissement » de soins de santé québécois, mais pas en pensionnat.

Une minute de silence a été observée mardi au Salon bleu.