C’est le plus vieux cliché en politique. Promettre du changement.

D’habitude, cela consiste à repeindre la façade et changer de slogan. Des ajustements dictés par le marketing.

Mais dans le Parti libéral du Québec (PLQ), les travaux requis sont urgents et majeurs. Il faut reconstruire à partir des fondations. Voilà ce qui explique la « Nouvelle vision économique » présentée vendredi dernier par la cheffe Dominique Anglade.

Les libéraux ont passé les trois dernières décennies à se dire « le parti de l’économie ». Leur refrain : les péquistes promettent un référendum alors que nous, on parle de « vraies affaires ». C’était manichéen et tendancieux, mais cela leur a valu plusieurs victoires.

Or, leur nouvel adversaire, François Legault, est un fédéraliste. Et le titre de prétendu « parti de l’économie » est désormais partagé par les caquistes et les libéraux.

Pire pour Mme Anglade, les visions économiques de ces partis ne contrastent pas tant. Libéraux et caquistes se distinguent surtout par des sujets identitaires comme la langue et la laïcité. Et dans ces deux cas, le PLQ défend des positions impopulaires.

Ne pas changer, pour Mme Anglade, c’est périr.

Elle doit se démarquer de M. Legault. Et aussi de Philippe Couillard, dont le gouvernement a été congédié par les électeurs, sans regret, à en juger par les sondages.

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Mme Anglade veut être associée à un mot : progrès. Comme dans progrès pour la société et pour l’environnement. Comme dans progressisme. Le contraire du conservatisme.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Carlos Leitão, député libéral et ex-ministre des Finances

Lors de son annonce, la cheffe était accompagnée par son député Carlos Leitão, ex-ministre des Finances de M. Couillard. L’architecte des douloureux sacrifices pour équilibrer le budget.

Comment marquer une rupture avec cette époque ?

La cheffe libérale peut s’inspirer de Justin Trudeau.

Dans les années 1990, le tandem Chrétien-Martin avait sabré les transferts aux provinces pour éliminer le déficit fédéral. Il avait ensuite été sali par le scandale des commandites.

Peu importe ce qu’on pense du résultat, M. Trudeau a réussi à changer le visage de son parti, sans en travestir l’identité.

Comme lui, Mme Anglade doit faire oublier les controverses éthiques et les compressions de ses prédécesseurs du PLQ.

Or, il va lui manquer un ingrédient crucial du succès de M. Trudeau : le temps.

Le parti fédéral a passé près d’une décennie au purgatoire avant d’obtenir à nouveau la confiance des électeurs.

Avec la pandémie qui sert d’éclipse médiatique, Mme Anglade a peu d’occasions de publiciser son nouveau virage. C’est une course contre la montre qu’elle entame.

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Dans ses rêves, Mme Anglade aimerait que le nom de la CAQ devienne « Conservateurs pour l’avenir du Québec ». Cela lui permettrait, comme l’ont fait les libéraux fédéraux, de se positionner en solution de rechange progressiste. Une option de centre gauche modérée et prête à gouverner.

Au début des années 1970, l’économiste néolibéral Milton Friedman soutenait que l’entreprise n’a qu’une responsabilité : faire des profits, dans le respect de la loi. Mais on n’en finit plus d’en mesurer les dégâts sociaux et environnementaux, comme la crise des opioïdes, la destruction de milieux naturels et le dérèglement climatique.

Au centre, on s’est longtemps concentré à réparer ces dégâts après coup. Mais l’État ne peut pas tout faire.

Des gens comme Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre, prônent une nouvelle approche : exiger que la création de richesse se fasse dès le départ en respectant davantage la planète et la société.

Aux États-Unis, la Securities and Exchange Commission veut forcer les entreprises à dévoiler des indicateurs sociaux et environnementaux.

Au Québec, le G15+, qui regroupe le patronat, les syndicats et des écologistes, défend aussi ces idées. Sauf que dès qu’on entre dans les solutions précises, le consensus s’effrite.

Il faudra trancher. Alors concrètement, que propose Mme Anglade ?

Le plan détaillé viendra l’automne prochain. Pour l’instant, on sait qu’elle mettrait fin à la règle du plus bas soumissionnaire dans les appels d’offres. Un entrepreneur pourrait être choisi s’il embauche des fournisseurs locaux ou s’il réduit les gaz à effet de serre.

Le PLQ a aussi déposé mercredi un projet de loi pour créer un nouveau type d’entreprise « à mission », comme cela existe en Colombie-Britannique et aux États-Unis. Elles ont des obligations sociales additionnelles, comme de limiter l’écart entre les revenus des patrons et des employés. En contrepartie, elles pourraient avoir des avantages fiscaux ou contractuels.

Les libéraux veulent ainsi se démarquer de M. Legault, pour qui l’« obsession » demeure de hausser le PIB par habitant, un indicateur strictement économique.

Aux yeux de Mme Anglade, les caquistes se bornent à une vision comptable de la société. Et passéiste aussi. Avec la pénurie de main-d’œuvre, la priorité n’est plus de créer des emplois.

Mais Mme Anglade devra tout de même dire comment elle financerait les programmes sociaux. Miser sur la formation et la requalification des travailleurs, en y faisant contribuer davantage le privé, serait à explorer.

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En attendant, Mme Anglade doit déjà faire son mea-culpa. Car sa vision entre en collision avec deux dossiers de l’ère Couillard : les voitures du REM construites en Inde et le sauvetage de Bombardier.

La cheffe libérale croit que l’État ne peut aider des multinationales sans leur imposer des conditions strictes, comme d’empêcher les bonis aux dirigeants. Et que le critère de la rentabilité, qui a guidé les décisions de la Caisse de dépôt et placement, ne peut être le seul quand vient le temps de choisir les fournisseurs.

Même si le virage est majeur, le plus difficile reste à venir : convaincre les électeurs que cela va au-delà du marketing. Pour cela, il faudra des engagements très précis.