Trois infirmières, dont deux gestionnaires, témoignant à l’enquête publique du coroner sur le décès de Joyce Echaquan ont fait du covoiturage pour se rendre aux auditions cette semaine. L’une d’elles, l’ex-infirmière-chef des urgences de l’hôpital de Joliette, Josée Roch, s’est fait étroitement questionner jeudi matin pour savoir si elles avaient échangé dans la voiture des informations sur leurs témoignages.

En ce neuvième jour d’audiences, le procureur de la Commission d’enquête, MDave Kimpton, a demandé à plusieurs reprises à Mme Roch si elle avait discuté des témoignages avec ses deux collègues, soit son assistante qui a témoigné mercredi et dont le nom est frappé d'une ordonnance de non-publication, ainsi que Nancy Pellerin, coordonnatrice du personnel infirmier. Mme Roch d’abord assuré que non. Elle a aussi dit ne pas avoir abordé ce sujet mardi soir, lors d’un entretien téléphonique avec son assistante qui s’apprêtait à témoigner.

Me Kimpton a rappelé à Mme Roch qu’elle s’exposait à un parjure si elle ne disait pas la vérité. Un peu plus tard, l’avocat a demandé à Mme Roch si elle avait parlé avec son assistante d’une candidate à l’exercice de la profession infirmière qui travaillait aux urgences au moment du décès de Joyce Echaquan. Après une longue hésitation, et après que la coroner Géhane Kamel lui eut rappelé que cette question se répondait par « oui ou non », Mme Roch a répondu : « Oui ». Elle a aussi dit avoir parlé d’une autre infirmière, aujourd’hui congédiée, ayant témoigné la semaine dernière.

Des préjugés banalisés

Joyce Echaquan est morte dans des circonstances troublantes, le 28 septembre. Peu avant son décès, cette mère atikamekw de sept enfants avait capté par vidéo les propos de deux soignantes, dont une infirmière aujourd’hui congédiée, qui lui disait qu’elle était « épaisse en câlice ».

Mme Roch a affirmé que les propos tenus dans la vidéo sont totalement inacceptables. Mais elle a expliqué que parfois, avec des patients en crise, les soignants doivent être « plus directifs » pour « les ramener à la réalité ». « Je ne suis pas d’accord avec les mots. Mais des fois, on prend des décisions sur le coup pour ramener des gens en crise », a-t-elle dit.

La coroner a demandé à Mme Roch s’il se pouvait qu’à l’hôpital de Joliette, il y ait des « préjugés qui sont normalisés et banalisés ». « Vous avez totalement raison. Des fois, on banalise beaucoup de choses. C’est vrai qu’on est vraiment occupé. […] Que travailler comme infirmière, c’est difficile. Mais malgré toute la surcharge de la terre, on ne peut pas parler de même à quelqu’un », a dit Mme Roch en faisant référence à la vidéo. Celle-ci a toutefois répété ne jamais avoir entendu de commentaires du genre aux urgences avant.

Questionnée à savoir si on n’avait pas banalisé ce que vivait Mme Echaquan, Mme Roch a reconnu qu’ils auraient dû prendre la patiente, qui se plaignait de maux de ventre, « plus au sérieux ».

Mme Roch a mentionné qu’une formation sur la sécurisation culturelle avait été offerte en avril 2019 à plus de 150 infirmières de l’hôpital de Joliette. Mais seulement une poignée s’y est présentée. Mme Roch a reconnu qu’elle aurait « dû peut-être aller plus loin en disant qu’on aurait dû avoir plus de formation. […] Ça ne se serait peut-être pas rendu jusque-là ».

Mardi, un infirmier des urgences avait laissé entendre que « les mots ne tuent pas ». « Les mots ne tuent pas, mais ça fait des dommages », a dit Mme Roch.

Des règles bafouées

L’avocat de la famille de Joyce Echaquan, MPatrick Martin-Ménard, est revenu sur le fait qu’une candidate à l’exercice de la profession infirmière (CEPI) de niveau collégial travaillait aux urgences et auprès de Joyce Echaquan au moment des évènements. Les CEPI de niveau collégial n’ont pourtant pas le droit de travailler aux urgences, selon une politique interne du CISSS de Lanaudière. Elles n’ont pas non plus le droit de prendre soin de patients instables.

Mme Roch a mentionné que six CEPI travaillaient aux urgences à l’époque. Elle plaide qu’elle n’a pas l’impression d’avoir bafoué de règle puisque la direction de l’établissement était au courant de la chose. « Ça a été accepté par la DSI (direction des soins infirmiers) », a dit Mme Roch, qui a depuis démissionné.

Celle-ci a rejeté la responsabilité de l’embauche des CEPI sur la direction des soins infirmiers. « Je n’ai aucun pouvoir là-dedans », a-t-elle dit. MKamel a demandé d’entendre la personne qui a autorisé la CEPI à se retrouver aux urgences, tout en invitant certains intervenants à « prendre leur imputabilité ».

Par ailleurs, les nombreux témoignages de soignants récoltés depuis le début des audiences publiques se contredisent sur plusieurs points. En interrogeant Mme Roch jeudi, Me Martin-Ménard a mentionné que la commission d’enquête « essaie de démêler tout ça et c’est très pénible parce qu’on a toutes sortes d’informations différentes ».