(Trois-Rivières) L’infirmière congédiée après avoir tenu des propos racistes au chevet de Joyce Echaquan a admis « avoir explosé » en raison d’une surcharge de travail. Elle a dit regretter ses propos et a demandé pardon à la famille. Le conjoint de la défunte a déploré que l’« honnêteté ne soit pas toujours au rendez-vous ».

La version de l’infirmière qui a lancé une pluie d’insultes à Joyce Echaquan alors que celle-ci vivait ses dernières heures était fort attendue. La veille, la deuxième employée congédiée dans la foulée des évènements – une préposée aux bénéficiaires – a plaidé qu’il « n’y avait pas de malveillance » dans ses propos désobligeants.

L’infirmière – dont l’identité ne peut être révélée en vertu d’une ordonnance de non-publication, comme c’est le cas pour tous les membres du personnel soignant appelés à témoigner – y est allée d’une longue explication sur la surcharge de travail des travailleurs de la santé, encore plus depuis le début de la pandémie, et sur la détérioration de leurs conditions.

« Ç’a fait, j’en peux plus, a-t-elle illustré. Je me suis choquée, je ne sais pas ce que j’ai dit à la patiente. Je pense juste que je n’en reviens pas de ce qui se passe. On nous traite comme des esclaves, des pions », a-t-elle expliqué, en sanglotant.

J’ai été super méchante et je regrette tellement.

L’infirmière congédiée, dans son témoignage

Après une semaine d’audiences consacrées aux témoignages des membres du personnel soignant, la famille de Joyce Echaquan a déclaré dans un communiqué qu’un « sentiment d’insatisfaction subsiste ».

« Nous croyons que les choses peuvent changer, mais il faut d’abord la vérité. C’est pourquoi nous avons parlé de choses difficiles avec ouverture, maintenant, nous remarquons, comme la coroner l’a mentionné plusieurs fois cette semaine, que l’honnêteté n’est pas toujours au rendez-vous », a écrit Carol Dubé, conjoint de Joyce Echaquan.

Il a ajouté que ce qui était le « plus difficile à voir et à entendre, c’est tout ce qui n’est pas dit » et que « l’absence de prise de conscience fait mal ».

Plusieurs contradictions

Les insultes ont été proférées à Joyce Echaquan alors qu’elle venait de tomber de sa civière. Elle a été transférée dans une salle isolée des urgences. Quelques minutes plus tôt, on lui avait administré une injection d’Haldol dans la fesse. C’est un médicament utilisé pour l’agitation. C’est assez puissant pour parler d’une contention chimique.

C’est lorsqu’elle se trouvait au sol que Mme Echaquan a amorcé une diffusion en direct sur sa page Facebook, à 10 h 27.

La coroner Me Géhane Kamel a noté plusieurs contradictions entre ce que rapporte l’infirmière et ce que d’autres ont relaté. L’ex-employée a nié ou dit ne pas avoir souvenir des propos désobligeants qu’elle aurait tenus avant ou après la vidéo, que d’autres témoins ont rapportés à différents moments de l’enquête.

« Je suis en train d’implorer tous les saints pour rester zen », a lancé Me Kamel. « Votre histoire, ça ne tient pas », a-t-elle ajouté.

La coroner a expliqué à la témoin que « c’est comme si vous essayiez de nous faire croire que c’est trois minutes de votre vie ». Sur la vidéo de Joyce Echaquan, on l’entend dire à la défunte qu’elle « est ben meilleure pour fourrer ». Elle lui dit qu’elle est « épaisse en calisse » et lui demande « qui tu penses qui paie pour toé ».

L’infirmière congédiée assure ne pas avoir tenu ces propos parce que la patiente était atikamekw. « J’aurais pu dire la même chose à quelqu’un de blanc, par exemple, une madame qui est sur le BS, qui a six, sept enfants, qui consomme […], qui est inadéquate. Ça n’a pas rapport avec ça », a-t-elle indiqué.

Elle a demandé pardon aux proches. « Je sais toute la peine que je vous ai faite. Je suis tellement désolée. » Carol Dubé est demeuré impassible.

L’infirmière congédiée a affirmé n’avoir pris connaissance du contenu de la vidéo que le soir du 28 septembre. Il a été révélé en preuve que c’était elle qui avait mis fin à la diffusion en récupérant le téléphone de Mme Echaquan. Elle a aussi supprimé la vidéo.

Des médecins témoignent

Trois médecins ont aussi apporté leur éclairage sur la séquence des évènements. Médecin de famille en médecine hospitalière, la Dre Jasmine Thanh a affirmé que la patiente lui avait confié le matin du 28 septembre avoir une narcodépendance.

Joyce Echaquan souffrait de douleurs chroniques au ventre et avait consulté à plusieurs reprises lors de la dernière année. Elle lui aurait dit être alors en « sevrage de morphine » prescrite par le docteur une semaine auparavant. Selon la médecin, la quantité était insuffisante pour justifier des « symptômes d’une telle ampleur ».

Le soir du 27 septembre, Mme Echaquan a dû être placée sous contention parce qu’elle était agitée. Ce n’est qu’autour de 10 h 15, le 28, qu’elle a subi un deuxième épisode de crise. Cette dernière l’amène à recevoir l’injection d’Haldol, prescrit par la Dre Thanh. Elle estime encore que c’était la chose à faire.

Après sa chute, Mme Echaquan est aussi placée sous contention physique. La Dre Thanh assure « que c’est acquis » qu’avec la contention vient « le protocole prescrit ».

Or, il a été révélé que Joyce Echaquan avait été laissée sans surveillance. Les formulaires de protocole n’ont pas été remplis. On doit assurer une surveillance étroite et prendre les signes vitaux toutes les 15 minutes.

À 11 h 45, la Dre Thanh a été appelée d’urgence parce que Mme Echaquan avait été transférée en réanimation. Elle assure qu’on avait retiré les contentions, ce qui ne correspond pas à la version de membres de la famille.

« C’est physiquement impossible » de faire une réanimation alors qu’un patient est sous contention, a affirmé la Dre Thanh. MPatrick Martin-Ménard dit avoir fourni des photos prises par des proches du corps de Mme Echaquan portant encore des sangles. Ces photos sont toujours sous analyse avant d’être déposées en preuve.

Cette discordance a chicoté la coroner et son assesseur, le DJacques Ramsey, qui n’était pas au courant que les contentions avaient été retirées.