(Montréal) De jeunes Inuits placés dans des centres jeunesse du sud de la province y voient leurs droits culturels et à l’éducation bafoués.

Ces enfants et adolescents en difficulté d’adaptation sont déracinés de leur communauté et hébergés dans la métropole, faute de services au Nunavik. Or, ces centres n’assurent pas adéquatement la préservation de leur langue et de leur culture, ni même leur scolarisation.

C’est la conclusion d’une enquête menée par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) sur des unités du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île de Montréal et d’autres sous l’égide du Centre de santé Tulattavik de l’Ungava, à Dorval.

La commission explique avoir décidé de faire enquête après qu’il eut été rapporté dans les médias que de jeunes autochtones ne pouvaient pas parler leur propre langue dans des unités de réadaptation.

En cours de route, on a décidé d’élargir l’enquête au-delà du droit de parler l’inuktitut lorsque la commission a découvert des manquements sur le plan de leur éducation.

Plusieurs cohortes de jeunes Inuits hébergés par les services de protection de la jeunesse n’ont pas été scolarisées sur une période d’au moins dix ans, a-t-on constaté.

Certains ont plutôt reçu des services de tutorat non qualifiants octroyés de manière sporadique par une agence privée, mais il n’y a pas de données sur le nombre de jeunes concernés, peut-on lire dans le rapport dévoilé mercredi.

Cette situation, que la CDPDJ qualifie de « chronique », serait liée à la lourdeur des démarches administratives pour que ces enfants puissent apprendre dans une langue qu’ils maîtrisent. En effet, les enfants inuits peuvent faire leurs études en anglais au Nunavik, mais ils doivent obtenir l’autorisation du ministère de l’Éducation pour les poursuivre dans la même langue à l’extérieur de leur communauté.

La CDPDJ souligne le manque d’initiative du ministère, des commissions scolaires et des directeurs de la protection de la jeunesse face aux problèmes entourant l’admissibilité de ces jeunes à l’enseignement en anglais.

La vice-présidente responsable du mandat jeunesse de la CDPDJ, Suzanne Arpin, a fait parvenir une lettre au ministre responsable de la Langue française, Simon Jolin-Barrette, pour l’inviter à revoir la loi 101 en conséquence.

Le cabinet du ministre n’a pas immédiatement donné suite à une demande de commentaire de La Presse Canadienne, mercredi.

Dans un communiqué transmis en après-midi, d’autres ministres concernés ont dit accueillir favorablement les recommandations de la commission en ce qui a trait à la scolarisation.

La situation est « intolérable » et sera réglée « rapidement et de manière permanente », peut-on lire dans la déclaration signée conjointement par le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, et le ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière.

Un exil forcé

Les recommandations de la CDPDJ ne s’arrêtent pas à l’accès à l’éducation. Elles portent aussi sur le droit de parler librement l’inuktitut, sur des services culturellement adaptés et sur la nécessité d’éviter en premier lieu le déracinement de ces jeunes.

« Montréal-Kuujjuaq, c’est 1443 kilomètres en avion », rappelle Suzanne Arpin.

Ces recommandations s’alignent par ailleurs avec des appels à l’action déjà lancés par la Commission Viens, dont le rapport sur les relations entre les Autochtones et certains services publics a été déposé il y a plus d’un an et demi.

Aux yeux de Mme Arpin, qui était elle-même procureur en chef dans le cadre de la Commission Viens, le problème le plus fondamental est l’offre insuffisante de services de réadaptation au Nunavik, qui force cet exil.

La Régie régionale des services de santé et services sociaux du Nunavik est en voie de mettre sur pied un système de réadaptation autonome, un processus qui devrait prendre de deux à dix ans.

« Mais avant que les jeunes puissent vraiment demeurer sur le territoire du Nunavik et ne pas être envoyés vers le sud, il faut que les établissements publics qui vont les recevoir dans la région de Montréal aient tout ce qu’il faut pour les scolariser, les sécuriser et faire en sorte qu’ils aient des contacts plus fréquents avec leur famille », fait valoir Mme Arpin.

Aucun seuil annuel de visites dans leur communauté n’est présentement respecté.

La CDPDJ a aussi observé des pratiques de surveillance dans les unités qui font sentir aux jeunes qu’ils ne peuvent pas parler librement l’inuktitut entre eux, même en l’absence de règles formelles à cet effet.

D’autres se retrouvent carrément sans qui que ce soit avec qui échanger en inuktitut.

Selon la commission, des services d’interprètes sont de mise pour les intervenants, et les jeunes devraient avoir voix au chapitre pour la programmation d’activités dans leur unité. Un plan d’action de sécurisation culturelle, développé en collaboration avec les communautés autochtones, s’impose également.

Il ne s’agit pas de la première fois que ces enjeux sont soulevés, note Suzanne Arpin, en faisant notamment référence à des témoignages de parents innus devant la Commission Viens.

Elle salue néanmoins les engagements pris par le gouvernement et assure que la CPDDJ en effectuera un « suivi extrêmement serré ».