(Trois-Rivières) Une préposée aux bénéficiaires qui se trouvait au chevet de Joyce Echaquan lorsque celle-ci a filmé en direct les derniers moments de sa vie assure qu’« il n’y avait pas de malveillance » dans ses propos. Une version que la coroner Géhane Kamel a déjà qualifiée de « pas crédible ». Il a été révélé que la mère de famille avait été laissée sans surveillance alors qu’elle se trouvait sous contention.

La journée de mercredi a été particulièrement éprouvante pour les proches de Joyce Echaquan alors que l’une des deux soignantes que l’on entend dans la troublante vidéo filmée par la défunte, le 28 septembre 2020, est venue s’expliquer. Cette employée de l’hôpital de Joliette a été congédiée dans la foulée des évènements, l’automne dernier.

Le nom des travailleurs de l’établissement de santé est frappé d’une ordonnance de non-publication. C’est celle que l’on entend clairement dans la vidéo demander à Joyce Echaquan : « Qu’est-ce qu’ils penseraient, tes enfants, de te voir comme ça ? » L’Atikamekw se tord alors de douleur et demande de l’aide.

L’ex-employée a expliqué avoir voulu « motiver » Joyce Echaquan. « Je voulais la garder en contact avec la réalité, lui amener des faits simples et concrets, la rattacher à quelque chose. Moi, mes enfants, c’est la chose la plus importante au monde […], ils sont une source de motivation », a-t-elle illustré.

Elle a assuré avoir tenu ces propos avec « bienveillance », ce qui a fait tiquer la coroner. « Ce n’est pas crédible. Quand on entend la vidéo […], c’est tout [sauf] de la bienveillance », a lancé MKamel, qui a ordonné la diffusion de la difficile vidéo dans son intégralité. « Je veux aller au bout de ce processus-là », a-t-elle ajouté.

Sur les téléviseurs, les premières images de Joyce Echaquan tournent. Les proches se raidissent. Ceux qui leur offrent du soutien se placent derrière eux. Une main sur l’épaule, une caresse dans les cheveux. Mme Echaquan appelle à l’aide. On l’entend appeler son mari, Carol, pour qu’il vienne à son secours.

Carol Dubé éclate en sanglots. La coroner demande l’arrêt de la vidéo. La famille tient à rester. On poursuit. Les chefs Paul-Émile Ottawa et Constant Awashish se placent debout derrière M. Dubé. La vidéo dure une dizaine de minutes.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Carol Dubé, mari de Joyce Echaquan

On comprend que Mme Echaquan est par terre lorsqu’elle amorce la diffusion sur sa page Facebook. Il est 10 h 27. Elle était tombée de sa civière après avoir été placée dans une salle isolée des urgences parce qu’elle était très agitée, autour de 10 h 15.

On lui avait aussi fait une injection d’Haldol, médicament utilisé pour calmer l’agitation ou l’agressivité. C’est assez puissant pour parler d’une contention chimique. Quand la préposée retrouve Mme Echaquan sur le sol, elle est assise par terre, les draps de la civière sont souillés et son soluté est désinstallé.

« Étiquette de toxicomane »

Dans la vidéo, l’ex-employée dit à Mme Echaquan : « T’as fait des mauvais choix, ma belle. » Elle ajoute : « Je pense que tu as de la misère à t’occuper de toi, là. Faque on va le faire à ta place, OK ? » Interrogée sur ces propos, elle a soutenu qu’elle faisait alors allusion aux habitudes de vie de la patiente.

On lui aurait rapporté, au début de son quart, que Mme Echaquan « était en sevrage » et que ses plaintes étaient « de la comédie ». C’est le gastroentérologue qui a relaté lundi que la patiente présentait des symptômes de sevrage. Il a rapporté avoir fait ce constat lors d’un premier épisode d’agitation, le 27 septembre en soirée.

Or, des témoins ont rapporté mercredi que la notion de « sevrage » avait été abordée plus tôt, mais cette séquence n’a pas encore été précisée. Des médecins traitants doivent notamment témoigner jeudi, tout comme d’autres membres du personnel soignant qui étaient au chevet de Mme Echaquan.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

MPatrick Martin-Ménard, suivi de Carol Dubé, mari de Joyce Echaquan, jeudi dernier

Il s’agit d’un enjeu important, selon l’avocat de la famille, MPatrick Martin-Ménard, qui croit en l’hypothèse que Mme Echaquan a reçu « l’étiquette de toxicomane ».

La préposée aux bénéficiaires a affirmé n’avoir pris connaissance de l’ensemble des propos tenus lors de l’enregistrement de la vidéo, notamment par une autre infirmière, que le soir à son arrivée à la maison.

Laissée sans surveillance

Après cet épisode mouvementé, Joyce Echaquan est réinstallée sur sa civière et est mise sous contention. Une infirmière et une préposée partent dîner. Il ne reste qu’une préposée aux bénéficiaires et personne ne lui demande de rester au chevet de Mme Echaquan, en garde préventive.

La préposée a 38 patients sous sa responsabilité. L’infirmière qui reste en poste est en fait une candidate à l'exercice de la profession infirmière (CEPI). Avec le départ de ses collègues, sa charge de travail vient de doubler. On apprend qu’aucune solution n’est alors trouvée pour surveiller Mme Echaquan.

Lorsqu’un patient est placé sous contention physique ou chimique, il doit être surveillé de façon étroite. La CEPI a expliqué avoir surveillé la défunte du mieux qu’elle pouvait. Parfois, seulement à travers les portes vitrées de la salle où elle était isolée.

Âgée de 21 ans, elle a livré son témoignage avec émotion. Entre 11 h 35 et 11 h 45, l’état de Mme Echaquan se détériore. Pendant une dizaine de minutes, la CEPI tente d’obtenir une place en réanimation pour la patiente.

C’est la première fois qu’elle a une patiente sous contention, et c’est aussi la première fois qu’elle admet quelqu’un en réanimation. Selon ce qui a été rapporté en preuve, une CEPI ne doit pas avoir à sa charge des patients instables. « La place d’une CEPI n’est pas à l’urgence », a-t-elle laissé tomber.

Des manœuvres de réanimation ont été pratiquées pendant 45 minutes. On ignore encore la cause exacte de la mort de Joyce Echaquan.

Ils ont dit

Je n’ai pas pu faire plus dans la situation. Mon intention était bonne ; maintenant, si j’ai été maladroite, j’en suis désolée.

La préposée aux bénéficiaires congédiée, à l’intention des membres de la famille Echaquan-Dubé

Eux, ils ont peur de nous, et nous, [c’est rendu qu’on] a peur d’eux, de mal faire. Le fossé est encore plus grand. […] Je pense qu’il y a moyen d’en arriver à quelque chose ensemble. Je suis désolée pour la famille, mais ç’a pris la mort de quelqu’un pour que quelqu’un bouge.

Une préposée aux bénéficiaires

Je pense qu’encore là, c’est un manque de formation, de connaissance et d’éducation face aux Premières Nations, mais on voit clairement aussi qu’il y a un problème de ressources dans le système.

Constant Awashish, Grand Chef de la Nation atikamekw

[La préposée] vient confirmer que Mme Echaquan a été étiquetée comme une patiente “toxico” […]. Ce faisant, on a complètement ignoré qu’il y avait parallèlement à cet épisode-là une dégradation sérieuse de son état clinique.

MPatrick Martin-Ménard, avocat de la famille Echaquan