(Québec) Après des années de spéculation, le gouvernement de François Legault abat ses cartes : le tunnel entre Québec et Lévis prendra 10 ans à construire et doit coûter entre 7 et 9 milliards de dollars.

« C’est comme une gageure qu’on fait sur la grande région de Québec. […] C’est important dans un État d’avoir une métropole, mais d’avoir aussi une deuxième, une troisième, une quatrième grande ville qui se développe », a lancé le premier ministre du Québec, François Legault, lors d’une importante conférence de presse.

Le gouvernement présentait son Réseau express de la Capitale (REC). Cette large stratégie pour réduire la congestion prévoit un tunnel autoroutier entre les deux villes – le fameux « troisième lien » –, mais aussi l’élargissement de plusieurs autoroutes de la capitale pour ajouter 100 km de voies réservées, ainsi que la construction du tramway.

Déjà, plusieurs groupes écologistes ont tiré à boulets rouges sur le projet. Ils préparent d’ailleurs leur riposte et le lancement ce mardi d’une campagne nationale « Non au troisième lien ».

Mais à l’annonce au Centre des congrès de Québec, le gouvernement a répété que ce projet était incontournable. Le ministre des Transports, François Bonnardel, paraissait soulagé d’enfin faire cette annonce sur laquelle il travaille depuis des mois.

Le maire de Lévis, lui, était tout sourire. « Aujourd’hui, c’est la plus belle journée de ma carrière politique », a juré Gilles Lehouillier, qui parle d’un projet « porteur pour les 100 prochaines années ».

« Ce plan va propulser la capitale nationale du Québec au rang des grandes capitales du monde entier ! », de lancer le maire de la Rive-Sud.

Le tunnel a même reçu un appui, certes moins enthousiaste, du maire de Québec. « Nous sommes d’accord avec le nouveau tracé parce qu’il se raccroche à deux stations du tramway », a dit Régis Labeaume.

L’aide du fédéral ?

Le tunnel est le morceau le plus important du REC. L’ouvrage de 8,3 km serait le plus long tunnel autoroutier en Amérique du Nord. En guise de comparaison, le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine à Montréal fait 1,9 km.

Il doit relier l’autoroute 20, à la hauteur de la route Monseigneur-Bourget, à l’autoroute Laurentienne, à la hauteur du boulevard Wilfrid-Hamel, près du Centre Vidéotron. Les travaux préparatoires commenceront dès 2022. Mais l’entrée en fonction de l’ouvrage n’est pas prévue avant 2031.

Le gouvernement a annoncé un tunnel qui coûtera entre 6 et 7 milliards. Mais il prévient qu’il faudra ajouter des « frais connexes ». Il pourrait en bout de course coûter près de 9,5 milliards.

« À ce stade-ci du projet, la marge d’incertitude pour ces frais demeure élevée. Le ministère des Transports estime que le montant associé à ces réserves et frais se situera entre 10 % et 35 % du coût de construction », indique le gouvernement.

François Legault se dit conscient que « des gens vont dire : c’est beaucoup d’argent ». Mais c’est, selon lui, un projet « absolument nécessaire ».

« Nous avons un problème à l’heure actuelle, car on n’a que deux ponts construits côte à côte et l’un des deux est très vieux », a dit François Legault. Le pont de Québec a une espérance de vie de « quelques décennies », a ajouté M. Bonnardel.

Le gouvernement n’a toutefois pas fourni aux journalistes lundi les modélisations sur l’achalandage du tunnel, ni une étude d’opportunité. Québec indique simplement que de 50 000 à 55 000 voitures pourraient emprunter la nouvelle autoroute sous le fleuve chaque jour.

Selon des prévisions récentes de l’Institut de la statistique du Québec, la population active de Chaudière-Appalaches – âgée de 20 à 64 ans – va fondre d’environ 10 % d’ici 2041. Mais le maire de Lévis a rappelé que le pont Pierre-Laporte était à pleine capacité à l’heure de pointe.

Le gouvernement Legault entend demander une aide « importante » du gouvernement fédéral, tant pour le tunnel que les voies réservées en banlieue. Celui-ci n’a pas l’habitude de financer des autoroutes, mais Québec fait valoir que le tunnel compte deux voies réservées aux autobus.

Pas de péage

Le tunnel prévoit deux stations souterraines – Colline Parlementaire et Jean-Paul-L’Allier – où les autobus pourront déverser les navetteurs. Ceux-ci auront alors l’option de prendre le tramway.

À Québec, les automobilistes auront le choix de deux sorties, celle du boulevard Hamel, mais également une autre pour rejoindre l’autoroute Dufferin-Montmorency. Il n’y aura pas de péage, a précisé le premier ministre.

Le tunnel comptera trois voies par direction qui seront superposées. Une voie dans chaque direction sera réservée au transport collectif, soit des autobus électriques.

Le gouvernement a aussi annoncé la mise en place de 100 km de voies réservées sur les autoroutes de la capitale, notamment Félix-Leclerc, Henri-IV, Robert-Bourassa et Laurentienne. Les autoroutes seront élargies, et « aucune voie ne sera retirée aux automobilistes ».

Ces voies de circulation seront réservées aux autobus, mais également au covoiturage. Le gouvernement envisage aussi de permettre leur accès aux voitures électriques. Ces voies doivent coûter 844 millions à mettre en place.

Les réactions à l’annonce ont été sans surprise partagées. Les chambres de commerce de Québec et de Lévis l’ont saluée. Mais plusieurs experts et environnementalistes se disent inquiets.

« Ce projet-là me fait penser aux projets des années 1970 alors qu’on construisait des autoroutes à qui mieux mieux. Mais maintenant, on connaît les impacts sur l’étalement urbain et les coûts que la société doit payer pour ces choix », déplore Marie-Hélène Vandersmissen, directrice du département de géographie de l’Université Laval.

Alexandre Turgeon, directeur général du Conseil régional de l’environnement (CRE) de la Capitale-Nationale, estime « il n’y a aucun besoin d’investir autant de milliards pour aussi peu d’automobilistes ». « On demande une évaluation environnementale fédérale », ajoute M. Turgeon.

L’Union des producteurs agricoles (UPA) s’inquiète, quant à elle, de la pression de l’étalement urbain sur les terres agricoles de la Rive-Sud. « L’emplacement de l’extrémité sud du futur tunnel ne correspond pas au tracé de moindre impact et ouvre beaucoup trop grande la porte à l’urbanisation en zone actuellement réservée à l’agriculture », a déclaré dans un communiqué le président général de l’UPA, Marcel Groleau.

Une saga sous-fluviale

1968

L’idée d’un troisième lien ne date pas d’hier. Le premier rapport Vandry-Jobin préconisait dès 1968 la construction d’un nouveau pont ou d’un tunnel. Les auteurs s’appuyaient toutefois sur des prévisions démographiques trop généreuses, qui ne se sont jamais réalisées.

2000

Au tournant des années 2000, le Comité du lien sous-fluvial à l’est de Lévis-Québec commande une étude à la firme Tecsult. Celle-ci recommande un tracé à l’est, disant craindre qu’un lien direct ait « des conséquences trop graves sur les centres-villes ».

2016

Le gouvernement de Philipe Couillard mandate un expert de Polytechnique pour étudier la réalisation d’un tunnel. Le professeur Bruno Massicotte estime qu’il coûterait 4 milliards à construire. Il avait alors retenu un tracé plus à l’est.

2017

En mars 2017, en vue des élections provinciales qui se profilent, François Legault fait du troisième lien une promesse électorale. « Il faut que les études soient faites rapidement et que ça soit réalisé dans le prochain mandat », déclare le chef de la Coalition avenir Québec. De leur côté, les libéraux désirent attendre les études avant de se prononcer.

2019

Lors d’une annonce en juin, le ministre des Transports annonce que le tracé du troisième lien à l’est, près de l’île d’Orléans, est privilégié. Mais François Bonnardel indique que son ministère étudie toujours l’option « centre-ville à centre-ville ». Le projet n’est pas chiffré.

2020

Changement de cap au gouvernement. François Bonnardel parle désormais d’un tunnel entre les centres-villes. Il ne chiffre toujours pas le projet. Mais il assure qu’il s’arrimera au tramway qu’entend déployer la Ville de Québec.