Quand Karine Gagnon a raccroché, elle était en pleurs : « Ben oui, me dit Mme Gagnon, les mères, ça pleure facilement pour ces affaires-là… »

Ces affaires-là : permettez que je vous raconte.

Élodie Pépin, professeure d’éducation physique de sa fille Juliette venait de mettre Karine Gagnon au parfum d’un projet fou qui se tramait à l’École internationale du Phare, à Sherbrooke. Élodie avait embrigadé toute la communauté de l’école du Phare pour faire vivre à cinq élèves à mobilité réduite un « Rêve sportif » transcendant leurs limitations…

> Lisez un reportage de Radio-Canada sur Élodie Pépin

Discrètement, les profs d’éduc avaient demandé à ces cinq élèves handicapés quels rêves sportifs ils aimeraient accomplir.

Mathis voulait vivre une compétition de Ninja Warrior.

Anthony, gagner une médaille d’haltérophilie.

Ruben, être champion de boxe.

Kayla, (refaire) du cheerleading.

Et Juliette, faire du patinage artistique.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Kayla, élève de l’École internationale du Phare

Chacun de ces adolescents a des limitations physiques. Aucun ne peut pratiquer ces sports de façon fonctionnelle. Certains sont en fauteuil roulant.

Mais c’est toute l’école du Phare qui s’est donné la main pour soulever Mathis, Anthony, Ruben, Kayla et Juliette pour leur faire vivre leur rêve sportif.

Avec de l’imagination, rien n’est impossible…

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

De gauche à droite : Juliette, Mathis, Anthony, Ruben et Élodie Pépin, professeure d’éducation physique à l’École internationale du Phare, à Sherbrooke

D’abord, en éducation physique, on a commencé discrètement à faire travailler certains mouvements à Mathis, Anthony, Ruben, Kayla et Juliette. Et plus de 1000 élèves ont mis la main à la pâte pour construire des décors, des accessoires, des effets spéciaux en vue des « compétitions ».

On parle de mois d’efforts en secret, de novembre à mars, pour faire une belle surprise à Ruben, Mathis, Anthony, Kayla et Juliette ; pour les faire entrer dans un monde où ces cinq ados n’ont pas de limites.

Puis chacun a eu son jour de gloire, au gymnase, de la fin mars à la mi-avril devant une foule massée dans les gradins pour les acclamer. Chacun a pu… triompher.

Ruben a livré un combat de championnat du monde des poids lourds (gagné par K.-O. contre un taupin qui n’a eu aucune chance).

Mathis a surmonté tous les obstacles du parcours de Ninja Warrior (même le feu).

Anthony a eu le dessus sur un haltérophile (clairement gonflé aux stéroïdes, si vous voulez mon avis).

Kayla a livré la performance de sa vie dans une chorégraphie de cheerleading à couper le souffle.

Et Juliette a gagné sa médaille olympique de patinage artistique sur du Patrick Watson, avec une grâce pas possible.

Pendant des mois, disais-je, toute la communauté de l’école du Phare a préparé ces jours de Rêves sportifs dans le plus grand secret, pour garder la surprise.

Les élèves du volet Art dramatique ont préparé des textes et fourni des figurants et des acteurs.

Les élèves du programme de Jeux vidéo ont modélisé des décors en 3D projetés dans le gym.

Ceux du Programme international ont imaginé les scénarios, conçu du matériel.

La gang du volet Vie active a adapté les scénarios selon les limitations physiques des cinq champions.

L’option Musique s’est occupée de la sono.

Les élèves en adaptation ont conçu les trophées.

La classe d’accueil des élèves immigrants a conçu des affiches.

Les filles de cheerleading ont conçu des chorégraphies et se sont assurées que les exploits soient dignement salués, dans le gym, sous les holà de la foule en délire…

Et ces exploits, ces moments forts ont été immortalisés en vidéo. Vous pouvez visionner ça ici.

Je souligne une évidence : ces cinq élèves ont des défis particuliers d’intégration. C’est pas évident de faire partie de la gang quand t’es « différent », surtout à 14, 15, 16 ans, quand les autres ont de la misère à te comprendre ou quand t’as de la difficulté à t’asseoir à la table des ados-pas-handicapés…

Diane Leblanc, mère de Mathis-le-Ninja : « Mathis vit difficilement le fait de ne pas avoir de lien significatif depuis le début de son secondaire avec des élèves du régulier… Alors ça m’a fait chaud au cœur quand j’ai vu tous ces élèves applaudir et encourager Mathis dans son rêve de Ninja Warrior. Ça a fait chaud à mon cœur de voir le sourire de Mathis à mesure qu’il franchissait les obstacles… »

Sabrina Roy et Eric Valériote ont su à la mi-mars que Kayla vivrait un Rêve sportif de cheerleading bien spécial. Ils étaient alors tourmentés par la perspective d’une deuxième opération au cerveau à venir pour leur fille de 17 ans (1). La voir entourée des filles de cheerleading, acclamée par les jeunes de son école fut un baume fabuleux : « Un peu de lumière avant d’affronter les ténèbres, ça nous a redonné du courage et de l’espoir. »

Karine Gagnon, mère de Juliette : « Ce genre de projet nous ramène à l’essentiel de la mission de notre système d’éducation, des enseignants et de tout le personnel de soutien qui choisissent de s’y investir parce qu’ils y croient vraiment. Il y a en a une maudite gang qui fait la différence. Élodie et ses complices en font certainement partie… »

Chaque Rêve sportif était un évènement dans l’école. Et chaque Rêve sportif était une surprise pour Mathis, Juliette, Anthony, Ruben et Kayla. Avec une autre surprise, à la clé, au moment du triomphe : leurs parents qui arrivent pour leur remettre un trophée…

Karine Gagnon : « Au moment du Rêve sportif, la maman que je suis a vu défiler tout le chemin parcouru par ma belle Juliette, de ses premiers pas laborieux à 23 mois à ses 19 ans, aujourd’hui. Ça m’a fait réaliser ce qu’elle sera capable d’accomplir, parce qu’elle est si bien entourée. Je ne vous dis pas mon état au moment de la remise du trophée ! »

Chaque parent avec qui j’ai échangé m’a dit le même mot, pour décrire leur joie face aux Rêves sportifs organisés par Élodie Pépin à l’école du Phare : « inclusion ». Ils ont senti que leur enfant était « inclus », dans cette aventure.

Sabrina Roy et Éric Valériote : « L’ampleur de l’évènement va bien au-delà de la bienveillance de la condition des élèves à mobilité réduite. En tant que parents, nous avons été touchés par la symbolique d’inclusion à sa communauté scolaire. »

Diane Leblanc : « Je crois que cette expérience l’aidera à se sentir inclus parmi les élèves du régulier et à être plus confiant d’aller vers eux. C’est beaucoup pour lui, surtout en ces temps de pandémie. »

Karine Gagnon : « Ce genre d’activité contribue à sensibiliser de façon très concrète plusieurs jeunes adultes de demain, ce qu’aucune présentation magistrale sur l’inclusion ne pourra jamais le faire. Ça aura clairement un effet très durable sur notre Juliette… »

Et c’est ainsi qu’en ce printemps pandémique pas toujours simple dans les écoles, l’école du Phare, à Sherbrooke, s’est mobilisée pour que cinq ados nés différents se sentent dans la gang. Pas pour des notes, pas pour des prix…

Juste pour la beauté du geste.

Je cite Mme Roy et M. Valériote : « L’initiative d’Élodie Pépin devrait être citée haut et fort pour inspirer la bonté, sans bénéfice, sans attente, juste parce que ça fait du bien… »

Voilà, c’est dit.

Mais la prof Élodie Pépin n’était pas seule au cœur de ces Rêves sportifs, ça prenait un village pour les concrétiser et je vais nommer tous les adultes qui ont mis la main à la pâte : Anne-Marie Beaulieu, Mélianne Roussel, Lyne Quirion, Hélène Johnson, Mélanie Miron, Sébastien Lebel, Judith Godin, Annie Gagnon-Ouellet, Pierre Girard, Simon Lambert, Antoine St-Onge, Zacharie Turgeon, Patrick Maratier-Plouffe, Alexandre Séguin-Désy, Jacob Barbeau-Brunelle et Guylaine Bergeron…

Quels étaient les mots de Karine Gagnon, déjà, la mère de Juliette, dans mon premier paragraphe, celui qui lançait cette chronique, attendez que je me relise… Ah, voilà : « Ben oui, les mères, ça pleure facilement pour ces affaires-là… »

Pas juste les mères, Mme Gagnon, pas juste les mères…

1. Kayla a été opérée début mai et elle va bien…