Des milliers de femmes qui ont accouché depuis le début de la pandémie sont victimes d’un cruel jeu de loterie bureaucratique. Selon la date de leur demande au Régime québécois d’assurance parentale (RQAP), leurs prestations peuvent passer du simple au double.

« Ça ne sera pas une belle fête des Mères », se désole Marie-Ève Gagné, qui réclame un ajustement pour tous les prestataires.

Le problème vient du fait que le gouvernement fédéral a apporté des modifications aux prestations de maternité, parentales et d’adoption du régime d’assurance-emploi, dans le sillage de la pandémie, pour une durée d’un an, à compter du 27 septembre 2020.

Le Québec, comme le prévoient les ententes, a dû ajuster temporairement ses prestations pour accorder une somme équivalente aux parents en congé de maternité, soit un minimum de 500 $ par semaine. La mesure, adoptée le 13 décembre, a été accordée de façon rétroactive jusqu’au 27 septembre.

Le hic, c’est la façon dont on applique la règle. Ce ne sont pas tous les parents qui sont en congé de maternité qui profitent de ce changement, mais seulement ceux qui ont fait leur demande à partir du 27 septembre.

C’est ainsi que deux femmes qui ont accouché le même jour pourront être traitées différemment, en fonction de la date à laquelle elles ont fait leur demande au RQAP.

Le gouvernement estime que la mesure profite à plus de 41 000 prestataires du régime. Mais des milliers d’autres n’ont pas droit à la bonification, même s’ils ont été affectés de la même façon par la pandémie.

Rendez-vous avec le ministre

Marie-Ève Gagné, 30 ans, fait partie de ces femmes qui ont tiré le mauvais numéro à « Loto-bébé ».

Éducatrice en garderie, elle a fait sa demande au RQAP à la fin de juin, et son bébé est né le 23 juillet. Le montant de ses prestations est de 280 $ par semaine.

Ça serait le plus beau cadeau de fête des Mères que le gouvernement pourrait me faire s’il changeait les critères pour m’inclure dans son programme d’aide.

Marie-Ève Gagné

Le 20 mai, cette jeune mère, qui a accouché de son premier enfant, doit rencontrer le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet, « afin de trouver des solutions ». Elle se bat depuis des mois pour faire corriger ce qu’elle estime être « une injustice ». Avec d’autres parents, elle a créé un groupe Facebook, RQAP Égalité pour tous, et lancé une pétition qui a recueilli plus de 4000 signatures.

« On est sorties quelques fois dans les rues, pour chialer un petit peu, mais c’est sûr qu’on nous entend moins qu’un regroupement de 500 personnes, dit-elle. On était une vingtaine avec des bébés. Sur le groupe Facebook, on est 1500. Et je pense que ce n’est même pas 5 % du pourcentage des femmes touchées par le problème. »

Retour au travail prématuré

Kristelle Leduc, elle, a dû se résoudre à retourner travailler quand son bébé avait 4 mois, faute d’un revenu suffisant.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Kristelle Leduc a été exclue de la bonification du Régime québécois d’assurance parentale parce qu’elle a fait sa demande trop tôt. On la voit ici avec son bébé, Ethan.

Elle a accouché en octobre, après l’entrée en vigueur de la modification, mais elle a fait sa demande avant le 27 septembre. Trop tôt, donc, pour être admissible au programme bonifié. En plus, c’était son deuxième enfant en un an.

« J’ai accouché en novembre 2019. À la fin janvier, j’apprends que je suis encore enceinte, raconte-t-elle. Je pensais aller travailler pendant quelques semaines, au printemps, pour accumuler des heures pour le RQAP. Mais là, avec la COVID, c’était impossible de retourner au travail. J’ai téléphoné au RQAP et ils m’ont dit que j’avais le droit de demander des prestations 16 semaines avant mon accouchement, ce qui m’amenait au mois d’août. Donc, j’ai fait ma demande en août étant donné que je n’avais plus de salaire, et j’ai accouché au mois d’octobre. »

Montant de ses prestations ? « À peine 200 $ par semaine. »

« Si j’avais pu, je serais restée en congé jusqu’au mois d’août », dit cette mère de 30 ans, qui travaille comme conseillère au soutien à la paie chez CGI.

193 $ au lieu de 500 $

Sophie Rebts, 32 ans, est aussi pénalisée pour une question de jours. Elle a accouché le 27 octobre, mais elle a fait sa demande une semaine avant l’entrée en vigueur du changement du régime. Elle doit donc se contenter de 193 $ par semaine pour toute la durée de son congé de maternité, au lieu de 500 $.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Sophie Rebts a fait sa demande au Régime québécois d’assurance parentale une semaine avant l’entrée en vigueur du programme bonifié et n’y a donc pas eu droit.

« Pourtant, je considère que je suis dans le même environnement que toutes les autres familles qui ont eu droit à la bonification, dit cette éducatrice à la petite enfance. Mon conjoint a vraiment travaillé moins à cause de la pandémie : ses heures ont été réduites. Et nos familles ne pouvaient pas nous aider avec la petite. Mes collègues ont dû arrêter de travailler à cause de la pandémie et ont eu la PCU [prestation canadienne d’urgence]. Moi, parce que j’étais enceinte, j’ai eu le revenu de la CNESST [Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail], ce qui m’a donné beaucoup moins d’argent. »

« Je comprends qu’il faut mettre une date, il n’y a pas de problème, ajoute Mme Rebts. Mais je pense que tous ceux qui avaient un régime auraient dû toucher la bonification à partir du 27 septembre. C’est parce que les gens, au gouvernement, n’ont pas réfléchi, dans le fond. »

Pourquoi le 27 septembre ?

En temps normal, c’est-à-dire quand il n’y a pas de pandémie, le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) est plus généreux que celui du Canada lié à l’assurance-emploi. La situation s’est inversée avec la pandémie où le fédéral s’est distingué par ses largesses, ce qui met le Québec à la remorque.

La sociologue Sophie Matthieu, spécialiste des politiques familiales, s’étonne toutefois du fait que le Québec ait calqué la date d’entrée en vigueur de la bonification des prestations. « Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement ne vient pas combler l’écart entre le début de la pandémie, à la mi-mars, et le 27 septembre, pourquoi il accepte que les paramètres de bonification du RQAP soient dictés par le gouvernement fédéral, alors qu’on gère notre politique familiale. Moi, j’en ai avec la date du 27 septembre qui est imposée par le gouvernement fédéral. »

Mme Mathieu fait aussi remarquer que les mères à qui on refuse d’accorder la bonification, en raison de la date de leur demande, sont des femmes à faible revenu. « À qui ne veut-on pas donner un minimum de 500 $ par semaine ? demande-t-elle. À des femmes super vulnérables et pauvres. Et on n’en parle pas beaucoup parce que ce sont des mamans qui n’ont pas une grosse voix ni la connaissance des ententes entre le Québec et le Canada. »

La sociologue convient que les 130 millions accordés par le fédéral au RQAP pour payer la bonification ne suffiraient pas à financer cette mesure. Mais elle note que les cotisations ont été diminuées en janvier 2020 parce que le RQAP générait des surplus.