C’est un peu cocasse, à première vue. Vraiment, Québec solidaire accusé d’être un parti « colonialiste », parce qu’il est dirigé par des Blancs ? Un parti dans lequel sévit un « racisme systémique » ?

Vraiment, oui. Québec solidaire, deuxième parti d’opposition à l’Assemblée nationale, est accusé de tout cela par son propre Collectif antiraciste décolonial (CAD).

C’est un peu cocasse, mais ce n’est pas surprenant. La gauche se déchire, comme le reste de la société, sur des enjeux identitaires. Tout compte fait, c’est surtout un peu lassant.

Un peu décourageant.

Il y a une semaine, on a appris que QS, exaspéré par le militantisme « toxique » du CAD, proposerait à ses membres d’adopter une motion de blâme à l’égard de ce collectif lors du conseil national des 15 et 16 mai.

Depuis, on parle d’un schisme au sein du parti. À quel point la fracture est-elle profonde ? Qui sont les membres du CAD ? Représentent-ils un large mouvement ?

Mystère. Les porte-parole du collectif m’ont refusé une interview. Dans la plupart des reportages diffusés depuis une semaine, le CAD n’a pas de nom, pas de visage.

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En mars, le CAD a plongé Québec solidaire dans l’embarras à deux reprises, d’abord en appuyant les propos controversés du professeur Amir Attaran, puis en associant un journaliste parlementaire, un député péquiste et le chef du Parti québécois (PQ) à la « fachosphère ».

Tout ça s’est passé anonymement, sur Facebook.

Gabriel Nadeau-Dubois a été forcé de désavouer publiquement le collectif, qui a répliqué avec… une mise en demeure contre le parti. Une mise en demeure signée « le CAD ».

Encore une fois, pas de nom, pas de visage.

Pour un collectif qui accorde tant d’importance à la question de l’identité, c’est un peu paradoxal.

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J’ai fait mes recherches.

Il faut un minimum de 10 membres en règle pour former un collectif au sein de Québec solidaire. Créé au printemps 2019, le CAD en compte quelques dizaines.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DU COLLECTIF ANTIRACISTE DÉCOLONIAL DE QUÉBEC SOLIDAIRE

Eve Torres et Alisha Tukkiapik, portes-parole du Collectif antiraciste décolonial de Québec solidaire

Les porte-parole sont deux ex-candidates solidaires, Eve Torres et Alisha Tukkiapik. Une récente lettre d’appui au collectif compte 29 membres signataires, dont plusieurs Blancs. Je le précise, parce que ce n’est pas un détail, dans cette histoire.

C’est que le CAD voit tout à travers la lorgnette de la race.

Il a menacé de faire des esclandres parce que QS lui refusait des sièges dans des comités. Il a forcé l’annulation d’ateliers sur l’antiracisme parce que les conférenciers n’étaient pas assez « diversifiés » à son goût.

Dans un récent document de 32 pages, le CAD accuse les dirigeants de QS d’avoir fait preuve de « racisme systémique » parce qu’ils cherchaient à les rappeler à l’ordre.

« Si des Blancs sont accusés de violer les règles, on leur donne la chance de se défendre adéquatement. On les rencontre sur leur terrain, on les respecte. Pour nous, qui sommes des membres racisé. e. s, noir. e. s et autochtones, nous n’avons pas eu la même considération », lit-on dans le document.

La réalité, on s’en doute, est plus nuancée.

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La réalité, me dit-on, c’est que de nombreux militants antiracistes, chez QS… n’en peuvent plus du Collectif antiraciste décolonial !

Leur frustration a débordé dans une lettre diffusée sur les réseaux sociaux, en juin 2020.

« Nous voulons dénoncer la place prépondérante que certaines personnes blanches du CAD prennent », ont-ils écrit. Leur façon de « placer les personnes racisées ou marginalisées en victimes nous horripile et nous blesse au plus haut point ».

Il est « absolument faux » de prétendre que des Blancs occupent un rôle prépondérant au sein du collectif, a rétorqué le CAD.

Au contraire, c’est un collectif pris en charge par des personnes racisées. Nos porte-parole sont racisées aussi. Les allié. e. s blanc.he. s peuvent participer au Collectif, mais n’occupent pas un poste au sein de notre coordination.

Le CAD

Eve Torres, l’une des deux porte-parole du CAD, est la première femme voilée à s’être présentée à une élection québécoise, en 2018. Née en France, elle a des racines espagnoles et habite au Québec depuis 22 ans. Elle s’est convertie à l’islam dans la vingtaine.

N’est-elle pas blanche ? Mme Torres « est une femme de confession musulmane portant le foulard et c’est précisément cette distinction qui renvoie à la notion du terme racisé », m’a écrit le CAD.

Selon la Ligue des droits et libertés, le terme « met l’accent sur le fait que la race n’est ni objective ni biologique, mais qu’elle est une idée construite qui sert à représenter, catégoriser et exclure l’Autre ».

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Le problème, de toute façon, n’est pas là.

Le problème, c’est que beaucoup de Noirs, d’autochtones et de personnes appartenant à d’autres minorités visibles membres de QS ne se reconnaissent pas dans le militantisme intransigeant du CAD.

C’est un problème dans la mesure où ce collectif tente de parler en leur nom et de s’imposer comme la seule référence crédible en matière d’antiracisme.

Pour les militants de longue date, c’est d’autant plus frustrant que le racisme systémique et le profilage racial sont devenus, au Québec, des enjeux politiques incontournables.

Mais plutôt que de travailler à faire avancer ces causes, le CAD semble consacrer toutes ses énergies à lutter… contre son propre parti.

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Peut-on vraiment parler d’un schisme ?

Il faut relativiser, m’assure-t-on chez Québec solidaire. La question du blâme, le week-end prochain, sera réglée en moins d’une heure. Et ce n’est certainement pas la première fois que des factions s’opposent au sein du parti.

Tout de même. Le sociologue Pierre Mouterde, membre fondateur de QS, s’inquiète. « La maison commune est en train de s’effriter de l’intérieur, sans que l’on ose s’attaquer aux difficultés de fond qui la grugent », écrit-il dans le média alternatif Presse-toi à gauche.

Il espère un « réveil de QS », un parti « enfermé dans des cultures en silos, sans parvenir à définir un narratif politique commun » à une foule de causes justes mais diversifiées.

Il espère que son parti retrouvera bientôt sa « boussole politique ». Sans quoi la maison commune risque de s’écrouler.