Mars 2020, la guerre est déclarée ! Un virus mortel nous attaque. C’est la fin d’un monde. On ferme tout. Les commerces, les bureaux, les écoles. On reste chez nous. On se lave les mains et on reste loin de son prochain.

Notre seul espoir, la seule arme pour nous défendre, pour nous sauver : le vaccin. La science est en mission. On est dans le film Armageddon : les courageux Bruce Willis et Ben Affleck, ce sont les scientifiques, l’astéroïde pouvant détruire la planète, c’est le coronavirus. Une légion de femmes et d’hommes en blouse blanche foncent vers l’horizon, pendant qu’Aerosmith chante I Don’t Want to Miss a Thing. Vous êtes nos héros. Notre vie est entre vos mains.

Le compte à rebours est déclenché. Trouver un vaccin, ça prend, au mieux, deux ans. Sera-t-il trop tard ? La Terre sera-t-elle déjà décimée ? De gigantesques efforts sont déployés. Les laboratoires surchauffent. Les chercheurs cherchent jour et nuit. Et le miracle se produit.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

« Notre seul espoir, la seule arme pour nous défendre, pour nous sauver : le vaccin », écrit Stéphane Laporte.

Début novembre, seulement huit mois après la sonnette d’alarme, un vaccin développé par Pfizer et BioNTech est prêt, efficace à 90 %. C’est le jour J. Les troupes peuvent débarquer ! Que toutes les usines du monde entier se mettent à le produire. Que chaque bras humain le reçoive.

Ça ne se passe pas tout à fait comme ça. Les autres pharmaceutiques continuent à chercher de leur côté. Mais pourquoi, si la solution est trouvée ? La potion magique de Panoramix, on la donne à tout le monde. C’est la survie de l’humanité qui en dépend.

Pas si vite. Malgré l’ampleur de la crise, les lois du marché doivent être respectées. La découverte de Pfizer et BioNTech est brevetée. Elle leur appartient. C’est grâce à leurs investissements et à leur savoir-faire qu’ils y sont arrivés. Maintenant, ils vont la rentabiliser. Que les autres se forcent un peu. Notre formule, c’est notre formule.

Les semaines suivantes, d’autres compagnies relèvent le défi, Moderna, AstraZeneka, Johnson & Johnson. La production augmente, mais il y a tant de doses à donner.

Dans ma grande naïveté, j’avoue être un peu surpris. Devant l’ampleur de la catastrophe, je croyais que depuis le début, la course au vaccin contre la COVID-19 était une entreprise humanitaire. Que Big Pharma était devenue le big bazar. Une grande communauté de talents. Tous alliés pour trouver la solution.

Ce ne fut pas le cas. Encore une fois, c’est la concurrence qui a servi de moteur à cette recherche effrénée. OK, on peut comprendre, la machine est ainsi faite. Mais un coup que le plus vite franchit la ligne d’arrivée, un coup que l’élixir est trouvé, on le partage au plus sacrant pour enrayer la pandémie.

Pas pantoute. On peut fermer les écoles, les commerces. Mettre en danger des secteurs importants de l’économie. Mais on ne peut pas empêcher les pharmaceutiques de faire un maximum de profits. Profits comme dans profiter de la situation. Pas beaucoup de gens, ici, s’en sont scandalisés. Après tout, on leur doit la vie.

Sauf ceux qui meurent. La libre concurrence a ses limites. On manque de vaccins. Pas chez nous. Mais en Inde, en Afrique et dans de nombreux coins du monde moins fortunés. La levée des brevets permettrait de mobiliser plus de ressources, pour produire plus de doses.

Heureusement que Joe Biden est président des États-Unis. Un homme pour qui le reste de l’humanité importe. On est loin d’America First. Bien sûr, il veut que son Amérique soit forte, mais pas parce que les autres sont trop faibles.

Biden ose donc la demander, la levée des brevets. La représentante au commerce Katherine Tai déclare : « Les circonstances extraordinaires de la pandémie appellent des mesures extraordinaires. » C’est en plein ça. On est dans l’extraordinaire, dans l’anormalité. Il y a déjà assez de maladies pour stocker des milliards de dollars. Pour la COVID-19, que les pharmaceutiques acceptent d’en faire juste un petit peu moins qu’elles le pourraient. Pour permettre de ravitailler, au plus vite, ceux qui en ont besoin, de toute urgence.

Il reste à convaincre les 164 membres de l’Organisation mondiale du commerce. Une décision unanime de leur part obligerait les développeurs de vaccins à partager leur méthode de fabrication. Envoyez donc ! Incitez-les à être des héros jusqu’au bout.

Si, ici, la vaccination laisse présager le retour des beaux jours, ailleurs dans le monde, c’est l’enfer. Il faut agir. Par solidarité et par égoïsme, aussi. Parce que lorsque c’est l’enfer ailleurs dans le monde, ça finit toujours par nous rattraper. On devrait commencer à le comprendre. En être plus conscient qu’on l’était en février 2020. On sait maintenant ce qu’il nous en coûte d’ignorer ce qui se passe au loin.

C’est pour cela qu’on devrait marcher. Pour l’égalité à vivre et à survivre.

Vive le vaccin libre ! Accessible à tous. Multiplions les doses. Et pour notre bien et celui des autres, recevons la nôtre.