Six adolescents ont récemment été impliqués dans un « plan de mutinerie » à l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel, a appris La Presse. Des armes et des courroies de fortune auraient été préparées en vue d’une prise d’otages et d’une tentative d’évasion, ce qui relance le débat sur le manque de ressources à l’interne.

« Ces jeunes-là avaient préparé un plan d’évasion complet, qui impliquait de blesser des agents pour se sauver. Ils avaient fait pression sur les autres résidants pour éviter que ça se sache », explique la présidente du Syndicat des employés de l’Institut Philippe-Pinel, Marie-Ève Désormeaux, qui est aussi intervenante.

Mais l’opération a finalement été « mise au grand jour » le 22 avril, à la suite de signalements. Le lendemain, une fouille générale a été menée dans l’établissement. « On a trouvé des pics de fortune, des bouts de bois aiguisés, des stylos cachés sous les laveuses. Ils avaient même déchiré des pantalons dans le but d’attacher leurs otages », affirme Mme Désormeaux.

Cet évènement n’est pas une première à l’Institut Philippe-Pinel. En 2018, une tentative d’attaque planifiée contre les membres du personnel de l’Institut avait nécessité une « intervention majeure » dans la même unité, soit la F2, destinée aux adolescents. Quatre intervenants avaient alors été blessés dans ce qui a plus tard été décrit comme un « complot » par un employé de l’époque qui avait été témoin de la scène.

Au début des années 2010, une violente prise d’otages avait aussi entraîné l’arrêt de travail de 13 personnes. « Depuis quelques années, la clientèle a beaucoup changé au F2. On compose aujourd’hui avec des usagers qui ont de lourds problèmes de santé mentale, et qui peuvent commettre des crimes très agressifs », dit la porte-parole syndicale.

La direction minimise le côté sécurité depuis un moment. Historiquement, des fouilles générales, ça se faisait tous les six mois, mais là, on en fait seulement après un évènement malheureux. La prévention est devenue une chose rare à Pinel.

Marie-Ève Désormeaux, présidente du Syndicat des employés de l’Institut Philippe-Pinel

Selon nos informations, des agents de la Sûreté du Québec ont également été appelés sur les lieux le 23 avril pour répondre à un « complot pour meurtre ». Les patrouilleurs auraient toutefois été libérés de l’enquête, sur ordre de la direction.

Intervenus « à temps »

La direction de l’Institut confirme également que l’évènement a eu lieu, mais soutient que ses agents sont « intervenus à temps auprès de ces patients ». « La priorité de la direction et du personnel d’encadrement dès la connaissance des faits a été de protéger la santé et l’intégrité de nos patients et de notre personnel », indique la directrice des ressources humaines et des communications, Martine Haines, par courriel.

« Différentes actions de prévention ont été mises en place afin de gérer la situation tant pour la sécurité des patients que du personnel », ajoute la porte-parole, qui cite notamment une rencontre de tous les patients de l’unité F2, avec le médecin responsable et la chef du département de psychiatrie.

Tel que le veut le protocole, une rencontre a aussi eu lieu avec l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur affaires sociales (ASSTSAS) le 28 avril dernier, soit quatre jours après l’évènement initial.

Or, pour le syndicat, ce délai entre l’évènement et la rencontre contrevient aux protocoles qui avaient été mis en place à la suite des évènements de 2011, puis de 2018, relatés ci-dessus.

« Ces protocoles prévoient notamment la tenue dans les 72 heures d’un débriefing complet dans un cadre paritaire entre employeur et employés. Or, le débriefing a été tenu lundi, donc après ces 72 heures, et a pris la forme d’une séance d’information à sens unique et non d’une véritable séance de travail paritaire », lit-on dans des documents officiels.

Sans revenir directement sur l’évènement, Mme Haines, elle, avance que des mécanismes de « soutien psychologique dédié » ont été mis sur pied pour venir en aide aux employés affectés. « Puisque ce dossier concerne des mineurs, vous comprendrez que nous ne pouvons commenter davantage » l’évènement, précise-t-elle aussi.

Conditions dénoncées

Début avril, de nombreux intervenants de l’Institut Philippe-Pinel avaient déploré l’état de leurs conditions de travail, en pleine pandémie de COVID-19, et alors que les négociations concernant le renouvellement de leur convention collective sont en cours. Gel des salaires depuis deux ans, manque d’équipements de protection, situations violentes : nombre d’enjeux causent selon beaucoup une saignée de l’expertise et font craindre le pire pour la suite.

« La situation est grave. On perd nos employés et on en forme de nouveaux toutes les trois semaines, à coups de six. Et il y en a toujours qui partent. On est toujours à recommencer et on perd notre expérience, qui est cruciale dans notre milieu », avait notamment soutenu un intervenant spécialisé en pacification et en sécurité (ISPS), sous le couvert de l’anonymat. « Les gens sont écœurés. Ils sont à bout de souffle. On est toujours oubliés, alors que ce qu’on fait n’est vraiment pas facile. On fait face à de la violence tous les jours, en étant complètement sous-payés », avait aussi martelé un second travailleur.

Mme Désormeaux abonde d’ailleurs dans le même sens. « Nos agents partent en masse pour aller travailler au fédéral, notamment, parce que c’est plus payant. On perd toute notre expertise. Chaque mois, on perd jusqu’à huit agents. Et pendant ce temps, quand une mutinerie se produit, les recommandations ne sont même pas réellement appliquées », soutient-elle.