Lorsqu’elle a vu qu’un groupe de plus de 3000 hommes faisaient circuler en ligne, en toute impunité, des images intimes de jeunes femmes sans leur consentement, accompagnées de commentaires misogynes, Éloïse Marinier a senti l’indignation monter en elle.

Mais pourquoi personne n’en parle ? Pourquoi est-ce si banal ? Pourquoi la police ne prend-elle pas la chose au sérieux ? s’est demandé l’étudiante de 18 ans.

Après la série noire de 10 féminicides qui l’avaient déjà bouleversée, cette jeune militante féministe a décidé de faire entendre sa colère dans une vidéo.

Je n’avais pas entendu parler de cette histoire avant de voir passer sur Instagram le cri du cœur d’Éloïse. Et c’est précisément ce qui l’a incitée à faire cette vidéo : le fait que trop peu de gens étaient au courant.

Toute cette misogynie, c’était comme un coup de poing au visage. Je me suis dit : il faut que j’en parle ! Il faut qu’il se passe quelque chose !

Éloïse Marinier

La situation lui est apparue d’autant plus choquante que les jeunes femmes qui ont voulu dénoncer la chose à la police ont rapporté dans un premier temps avoir été mal accueillies par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

« Je trouvais ça inacceptable. Ça m’a vraiment choquée. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Éloïse Marinier, militante féministe

Éloïse en a donc parlé. Et depuis, il s’est passé deux ou trois choses encourageantes. La police a ouvert une enquête. Des médias en ont parlé. Une manifestation dénonçant la misogynie en ligne a eu lieu dimanche, à Montréal.

Le SPVM confirme qu’une enquête est en cours, mais refuse de donner plus de détails, « notamment pour ne pas nuire au processus », précise-t-on.

« Nous tenons toutefois à rappeler que la distribution non consensuelle d’images intimes impliquant des personnes mineures est un crime grave, passible d’accusations criminelles. À ce titre, nous invitons toute personne détenant de l’information à nous la faire parvenir en composant le 911, en se présentant dans un poste de quartier ou encore, en toute confidentialité via Info-Crime Montréal », m’a répondu par courriel un porte-parole du SPVM.

Si c’est considéré comme un crime grave, comment expliquer que le SPVM n’ait pas semblé prendre au sérieux la plainte dès le départ ? Cette question est demeurée sans réponse.

Mettre fin à de tels groupes misogynes sur l’application Telegram ou ailleurs et traduire en justice ceux qui publient des photos intimes de façon illégale, ce serait bien. Mais je suis d’accord avec Éloïse pour dire que ça ne règle pas vraiment le problème. Pour chaque groupe fermé, un autre sera créé. On ne vient pas à bout de l’hydre de la misogynie en ligne ni de celui de la haine en général en ne s’en prenant qu’à ses manifestations virtuelles. Ce n’est que le symptôme. Le mal est ailleurs.

Alors quoi ? Ça prend un changement de mentalité. Et contrairement à la croyance populaire, cela ne consiste pas à dire aux femmes qui envoient ou publient des photos d’elles-mêmes qu’elles l’ont cherché.

« Dire à une femme que si ses photos sont republiées, c’est de sa faute, c’est comme dire à une victime de violence conjugale : c’est de ta faute si tu te fais battre ! »

Plutôt que d’accuser encore et toujours la victime, il faudrait plutôt miser sur l’éducation à l’égalité et au consentement dès le plus jeune âge.

« Ça part de là ! À l’école, on n’avait pas vraiment de prévention. En secondaire 1, dans notre cours d’éducation à la sexualité, on nous a séparés en deux classes. Les filles, on a appris c’est quoi les règles. Les gars, c’est quoi mettre un condom. Mais pourquoi ne pas nous avoir mis ensemble lors d’un cours sur le consentement ? »

Alors que le gouvernement Legault vient de débloquer des sommes supplémentaires pour prévenir la violence conjugale chez les adolescents et les jeunes adultes, Éloïse voit d’un bon œil toute initiative d’éducation qui va en ce sens.

Après des décennies de féminisme, on aimerait bien croire que ce n’est plus nécessaire. Mais alors que l’on constate une augmentation des signalements de violence conjugale chez les jeunes, tout indique qu’il y a urgence d’agir tôt. « Je trouve que c’est encore plus nécessaire aujourd’hui. Parce qu’avec toute la culture de la pornographie en ligne, sur Pornhub par exemple, il y a une image très dégradante de la femme et tout le monde y a accès rapidement. »

En disant haut et fort et avec éloquence « ça suffit, la misogynie ! », la jeune féministe a atteint son objectif premier qui était de braquer les projecteurs sur un phénomène grave et inquiétant. Mais elle n’a pas dit son dernier mot.

« C’est la bataille d’une vie ! Non pas une bataille de femmes contre les hommes. Mais la bataille de toute une société contre des problèmes que l’on ne peut plus accepter. »