Camions à peu près tous loués, mesures sanitaires contraignantes, logements trop rares : à deux mois du grand jour, la saison des déménagements s’annonce déjà comme un « beau casse-tête ».

« Les gens déménagent comme ça fait longtemps qu’on n’a pas vu », explique Pierre-Olivier Cyr, copropriétaire de l’entreprise de déménagement Le Clan Panneton. L’entreprise affiche complet pour les déménagements dans l’ensemble de ses succursales du Québec, à l’exception de celle de Montréal, où il reste encore quelques places, jusqu’au 5 juillet.

Chez Déménagio, les premières réservations pour les déménagements se sont faites dès le mois de décembre dernier, a dit une employée à La Presse, avant de raccrocher la ligne en raison des nombreux appels.

La pandémie complique la vie des déménageurs, qui doivent porter le masque, travailler au sein d’« équipes bulles » et désinfecter les camions quotidiennement, signale-t-on chez Le Clan Panneton. « C’est un beau casse-tête ! », affirme M. Cyr.

Selon le propriétaire de Déménagement Transat, Sébastien Côté, le port du masque peut d’ailleurs être plus difficile pour les déménageurs quand il fait très chaud. Ce dernier aimerait donc qu’il puisse être retiré si les déménageurs travaillent au sein d’équipes fermées et se tiennent à deux mètres des clients.

Aucun assouplissement des mesures sanitaires en vue

Pour beaucoup de gens, un déménagement est impossible sans l’aide de parents ou d’amis. Or, la Santé publique n’envisage pour l’instant aucun assouplissement aux mesures sanitaires en vue du 1er juillet. Le port du masque reste donc obligatoire lorsque la distanciation physique de deux mètres ne peut être respectée, et le lavage des mains fréquent est recommandé.

Une personne a toutefois le droit de demander de l’aide à son entourage pour déplacer ses biens ou pour faire des rénovations, même si elle fait aussi appel à des professionnels.

Les autorités précisent néanmoins qu’il faut limiter le nombre de personnes sur place, ainsi que la durée de leur présence. De plus, quiconque présente des symptômes de la COVID-19 ou a été en contact avec une personne atteinte du virus ne peut aider quelqu’un d’autre à déménager.

Bien sûr, l’évolution de la situation sanitaire pourrait entraîner des changements aux consignes d’ici le début de l’été.

« Ne laisser personne derrière »

Plus de 260 ménages locataires ont fait appel à une aide de logement d’urgence dans la région métropolitaine de Montréal, dans la foulée des déménagements du 1er juillet 2020, rappelle le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), organisme de défense des droits des locataires.

« On se prépare à une augmentation assez considérable des demandes cette année », reconnaît le responsable de l’habitation au comité exécutif de la Ville de Montréal, Robert Beaudry. Un comité est déjà en place afin de « ne laisser personne derrière » le 1er juillet, affirme-t-il.

Différentes ressources en hébergement et en entreposage seront ainsi déployées par la Ville de Montréal pour venir en aide aux ménages qui n’ont pu accéder à un logement.

Et malgré ce qu’a déclaré le premier ministre François Legault la semaine dernière, Robert Beaudry juge improbable qu’une famille puisse trouver un logement pour 500 $ ou 600 $ par mois. M. Legault a ensuite précisé qu’il parlait du loyer individuel d’un étudiant. Le loyer moyen se situe plutôt autour de 1300 $, estime l’élu montréalais. Et « ça peut monter très vite quand on tombe dans de grands logements, et encore plus dans des logements neufs », précise-t-il.

M. Beaudry considère que Québec devrait reconnaître la crise du logement abordable et mettre en place des mesures pour y remédier.

Le FRAPRU inquiet

« Une chose est certaine : on anticipe une période des déménagements difficile. On le voit déjà, la période de recherche de logement est extrêmement dure », lance d’emblée la porte-parole du FRAPRU, Véronique Laflamme.

Selon elle, même si le taux d’inoccupation général des logements a augmenté en raison de la pandémie, la disponibilité des appartements peu coûteux demeure faible. C’est à peine 1,4 % des logements qui s’adressent aux ménages gagnant moins de 36 000 $ par an qui sont inoccupés, selon un rapport de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). Dans le Grand Montréal, l’organisme estime que le loyer mensuel moyen d’un logis de deux chambres est de 903 $, et de 1112 $ pour un appartement de trois chambres ou plus, en hausse de 4,2 %, la plus forte augmentation depuis 2003.

Une recherche rapide permet d’ailleurs de constater que le loyer de la très grande majorité des appartements à louer sur le site de petites annonces Kijiji se situe dans une fourchette qui va de 660 $ à 1760 $ par mois.

Plus de déménagements, prévoient les propriétaires

En 2020, un peu plus de 11,4 % des locataires ont changé de logement, calcule la SCHL, en baisse par rapport à 2019 (15,7 %). À la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), le directeur des affaires publiques Hans Brouillette s’attend toutefois à ce que ce taux grimpe cette année.

En ce qui concerne la hausse des loyers, M. Brouillette affirme que les locataires n’ont pas subi une forte augmentation de prix. Il considère que les loyers reflètent l’inflation.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Hans Brouillette, directeur des affaires publiques de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec

Si les gens veulent déménager, c’est sûr qu’ils vont trouver que les prix ont bien changé depuis quelques années. S’ils occupaient un logement dont le loyer était entre 650 $ et 850 $ par mois, ils vont peut-être se rendre compte qu’on est maintenant plus dans l’ordre des 1000 $.

Hans Brouillette, directeur des affaires publiques de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, s’est indignée vendredi dans une série de tweets du refus de la CORPIQ de reconnaître la crise du logement abordable, qualifiant ce geste d’« irresponsable ». Elle a affirmé que « les petits propriétaires [comme elle] sont l’épine dorsale du logement abordable » dans la métropole, et qu’ils doivent faire « partie de la solution » à cette crise.