(Montréal) Les familles déjà vulnérables ont été les plus durement touchées par la pandémie de la COVID-19 et ses conséquences socio-économiques risquent de se faire sentir pendant des années, estime l’Observatoire des tout-petits, qui redoute notamment cette répercussion sur les enfants : la maltraitance.

L’Observatoire, dont la mission est de favoriser le développement des tout-petits au Québec, dévoile mardi un vaste rapport sur l’impact des politiques publiques dans la vie des 0 à 5 ans, qui peuvent aider à prévenir cette maltraitance.

En amorçant leur travail il y a deux ans sur ce grand — et premier — portrait québécois des politiques favorables aux tout-petits et à leurs familles, les experts de l’Observatoire ne pouvaient se douter que la pandémie viendrait fragiliser les acquis de la société.

Elle a toutefois permis aux Québécois de réaliser à quel point les politiques publiques municipales, provinciales et fédérales sont précieuses, souligne d’entrée de jeu la directrice générale de l’Observatoire, Fannie Dagenais.

La pandémie a ainsi causé bien des difficultés aux parents, explique en entrevue Dre Marie-France Raynault, médecin spécialiste en médecine préventive et en santé publique, qui a grandement collaboré au rapport de l’Observatoire, un projet de la Fondation Lucie et André Chagnon.

Elle souligne que les facteurs de stress, qui affectent les parents et mettent les enfants à risque de négligence et de maltraitance, ont été exacerbés par la crise sanitaire depuis mars 2020.

Dre Raynault, aussi professeure émérite au Département de médecine sociale et préventive de l’Université de Montréal, détaille certaines causes de ce stress accru : elle parle de pertes d’emplois et de l’augmentation fulgurante des loyers, qui ont plongé des familles dans la précarité financière. L’interdiction de contacts pour éviter la propagation du virus a privé bien des familles de soutien, comme la possibilité de gardiennage par les grands-parents, les empêchant d’offrir un peu de répit. Le confinement et la présence constante des membres de la famille à la maison ont augmenté la tension et les conflits, ce qui a notamment fait des enfants des témoins de violence conjugale.

« On peut s’attendre à ce que cela ait des impacts sur le développement des petits », énonce Dre Raynault.

Et quand les parents sont très stressés, ils sont moins disponibles pour les petits, et la pression constante peut aussi mener à de la violence.

Une autre victime collatérale de la pandémie a été la santé mentale des Québécois : l’anxiété accrue et la dépression des parents sont aussi des facteurs de risque pour la maltraitance. Au-delà de la violence, Dre Raynault souligne que la maltraitance se manifeste aussi par la négligence, la non-stimulation de l’enfant et son abandon au quotidien.

La baisse du nombre de signalements à la DPJ au cours de l’année 2020 a mis en lumière une réalité, estime Dre Raynault : avec la fermeture des écoles et des services de garde, « on s’est privés d’un mécanisme de protection important ». Ce fut le cas, car les enfants étaient moins « exposés au regard extérieur », renchérit Mme Dagenais. La négligence et la maltraitance étaient ainsi moins « visibles ».

Le filet de protection a été miné, tranche la docteure.

Les politiques publiques qui aident

Il y a plusieurs politiques publiques au Québec qui soutiennent les tout-petits, constatent les experts consultés par l’Observatoire.

La liste est longue, mais Dre Raynault cite en premier les CPE (Centres de la petite enfance) qui « ont fait leurs preuves » et qui réduisent les inégalités de développement chez les enfants. « Ça se maintient pendant des années », assure-t-elle, et permet aussi aux femmes de s’intégrer au marché du travail. Et ce service a aussi permis à beaucoup de familles à se sortir de la pauvreté : avec deux salaires, le revenu de la famille est plus élevé, ajoute Mme Dagenais.

La docteure souligne aussi l’apport du programme AccèsLogis, qui offre du logement social à des familles défavorisées. Si une plus petite proportion du salaire sert à payer le loyer, il y a plus d’argent pour nourrir adéquatement les enfants, donne-t-elle en exemple, ajoutant que les listes d’attente demeurent « impressionnantes ».

Toutes les politiques de conciliation famille-travail contribuent aussi au bien-être des tout-petits, en réduisant le stress des parents. De plus, le régime québécois de congés parentaux a été un vecteur de changement selon Mme Dagenais : en 1995, alors que le congé de paternité n’existait pas encore, 4,2 % des pères utilisaient une portion du congé parental alors qu’en 2017, 80 % des pères s’en sont prévalus.

Malgré la présence de politiques publiques, un problème demeure toutefois selon la directrice de l’Observatoire : celui des barrières qui réduisent l’accès aux services offerts. Elle insiste : il faut briser ces obstacles pour le bien-être des 0 à 5 ans.

Par exemple, il est notamment plus difficile pour les immigrants, les membres des Premières Nations et les familles très pauvres de trouver les services pour leurs tout-petits, notamment en raison de la barrière de la langue. Les parents d’enfants ayant des besoins particuliers peuvent aussi attendre longtemps avant d’avoir rendez-vous avec un spécialiste.

Dans certains quartiers, dont les plus défavorisés économiquement, il n’y a que peu de CPE alors que les enfants de familles défavorisées pourraient grandement en bénéficier.

« Au sortir de la crise, les experts prédisent que les conséquences socio-économiques se feront sentir bien au-delà du vaccin, donc maintenant, et dans les prochaines années, il sera vraiment important de maintenir les politiques publiques et de s’assurer qu’elles répondent bien aux besoins de la population et qu’elles sont adaptées et optimisées », résume Mme Dagenais.