(Ottawa) Il n’y avait que quelques lignes consacrées à ce sujet dans le budget fédéral présenté lundi. Les sommes en jeu sont négligeables dans l’ordre général des choses.

Mais pour les responsables de la défense et des experts, ce budget est une étape importante vers un premier véritable financement visant à moderniser le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD).

De nombreuses questions restent toutefois sans réponse. À quoi ressembleront ces futurs systèmes ? À quelle vitesse seront-elles construites ? L’argent nécessaire pour terminer ce projet sera-t-il encore disponible en cas de besoin ?

« Il s’agit d’un pas en avant, juge James Fergusson, professeur à l’Université du Manitoba, l’un des meilleurs experts du NORAD au Canada. Il y a de l’argent. Ce n’est pas beaucoup, mais au moins le gouvernement a commencé à bouger. La question à se poser est la suivante : à quel point tout cela est-il urgent ? »

Le budget fédéral prévoit de nouvelles dépenses totalisant plus de 100 milliards au cours des prochaines années. De cette somme, 163 millions ont été affectés à la modernisation du NORAD.

« Ce financement permettra d’améliorer la surveillance générale de toutes nos approches nordiques et, plus largement, apportera des investissements dans notre défense continentale, indique Daniel Minden, un porte-parole du ministre de la Défense Harjit Sajjan. Notre gouvernement est déterminé à établir de meilleures capacités de surveillance, de défense et d’intervention rapide dans le Nord et les approches maritimes et aériennes du Canada. Nous évaluons actuellement d’autres mesures de modernisation du NORAD, qui seront annoncées une fois complétées. »

Les États-Unis et le Canada ont créé le NORAD dans les années 1950 pour protéger le continent d’une attaque nucléaire soviétique. Des chaînes de radars et de bases aériennes ont été construites pour détecter et intercepter les missiles et les bombardiers ennemis. Le système a été placé sous un commandement conjoint unique.

L’actuel système, le Système d’alerte du Nord, a été installé dans les années 1980. Plusieurs experts et des responsables militaires le considèrent comme obsolète. Soulignant son grand âge des moyens techniques utilisés et des infrastructures du système, ils jugent qu’il est incapable de trouver et d’identifier les nouveaux types d’armes mis au point par la Russie et d’autres ennemis potentiels.

Il s’agit notamment de missiles de croisière volant à basse altitude et de fusées hypersoniques extrêmement rapides, qui sont beaucoup plus difficiles à détecter et à arrêter que les énormes engins balistiques intercontinentaux et les bombardiers à longue portée pour lesquels le NORAD a été conçu à l’origine.

Les responsables militaires ont même averti que le système ne pouvait pas détecter les bombardiers russes avant qu’ils soient en mesure de lancer une attaque.

Le Canada et les États-Unis parlent depuis des années de remplacer le système existant. Justin Trudeau en a parlé lors de ses premières rencontres avec Donald Trump et Joe Biden. Cette modernisation figure dans la politique de défense présentée par le gouvernement fédéral en 2017.

Pourtant, les progrès sont extrêmement lents, ce qui s’est avéré frustrant dans certains cercles militaires. Le projet ne disposait pas non plus jusqu’à maintenant d’un financement canadien.

« Ce montant sera investi pour faire avancer les choses, dit un diplomate canadien à la retraite Michael Dawson, ancien conseiller du NORAD, à propos des 163 millions de dollars. Cela me semble être un assez bon signe. Le gouvernement laisse prévoir qu’il a vraiment l’intention de respecter son engagement envers le NORAD. »

Selon le Pr Fergusson, les nouveaux fonds seront en grande partie dirigés vers Recherche et développement pour la défense Canada, le service de recherche du ministère de la Défense, pour commencer à élaborer des concepts et des moyens techniques.

Les militaires devront déterminer ce qu’il faudra inclure dans un nouveau système, étant donné l’évolution rapide des systèmes d’armement. Privilégieront-ils les systèmes de radars au sol, les satellites ou d’autres technologies ?

On pourrait aussi avoir recours à l’intelligence artificielle et à l’informatique quantique pour accélérer la détection et la prise de décision. Un débat est en cours sur le rôle du Canada, non seulement dans l’identification des menaces, mais aussi dans leur interception.

Le Canada a choisi de ne pas se joindre aux États-Unis dans le système de bouclier antimissile mis en place en 2005. La question devra revenir sur le tapis. Et que fait-on contre les autres menaces ?

Ces discussions s’inscriront dans un contexte d’urgence croissante malgré la lenteur du système d’approvisionnement militaire et des défis que représentent des travaux de construction dans la région arctique.

« Nous avions eu des séances d’information assez intéressantes à ce sujet sur le temps qu’il faut pour faire des choses dans le nord, souligne M. Dawson. La règle de base est que cela prend trois fois plus de temps et coûte quatre fois plus cher pour quoi que ce soit. »

Le Pr Fergusson craint que le gouvernement fédéral et la population canadienne ne soient pas assez conscients de l’importance de ce projet, non seulement pour les relations avec les États-Unis, mais aussi pour envoyer un message aux ennemis du pays.

Des responsables militaires ont précédemment déclaré que le fait de ne pas remplacer le système actuel gênerait toute réaction à une agression russe ou chinoise, ici ou ailleurs. Ces pays pourraient tenir en otage l’Amérique du Nord en menaçant le continent de frappes.

Certains se demandent si le gouvernement fédéral sera apte à fournir tous les fonds nécessaires à la réalisation d’un tel projet évalué à plus de 10 milliards.

Les fortes dépenses prévues par le gouvernement fédéral pourraient venir grever les ressources nécessaires à ce projet à plus long terme. Cela inquiète ces experts.

« Certes, tout le ministère de la Défense a probablement poussé un soupir de soulagement quand il a obtenu le budget. Je suis sûr que personne ne bouge, étant donné les pratiques passées de ce pays, en attendant la prochaine tuile qui leur tombera sur la tête », lance le PFergusson.

« Il faudra bien payer la facture un jour. Je comprends les raisons du gouvernement d’agir comme il l’a fait, mais attendons de voir ce qui se passera l’an prochain. »