La dernière fois que j’ai écrit sur le sujet, elles étaient sept.

Sept femmes tuées en moins de sept semaines dans un contexte de violence conjugale au Québec.

Moins d’un mois plus tard, le décompte funeste, qui s’est accéléré durant la pandémie, s’est poursuivi.

En moyenne, une dizaine de femmes sont victimes d’un meurtre conjugal chaque année au Québec. Avec un dixième féminicide confirmé le week-end dernier, voilà que l’on a déjà atteint en trois mois et demi la moyenne déjà trop élevée pour toute une année.

« Pas une de plus », scande-t-on. Parce qu’une seule vie perdue, c’est toujours une de trop. Elles sont désormais dix. Dix femmes que l’on n’a pas su protéger. Sans compter les milliers d’autres qui, bien que toujours vivantes, sont un peu mortes elles aussi.

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Pour chaque femme victime de violence conjugale, il y a le plus souvent un homme qui a une volonté malsaine de dominer, d’affirmer son pouvoir en utilisant la violence.

Pour chaque femme qui meurt dans un tel contexte, il y a un conjoint ou un ex-conjoint que l’on n’a pas pu empêcher de commettre le pire. Dont on a mal évalué la dangerosité. Auprès duquel on n’a pas su intervenir assez tôt. Qui n’a jamais appris qu’un homme qui aime vraiment une femme l’aime libre. D’où l’importance de rappeler que l’intervention auprès des conjoints violents ou à risque de le devenir fait forcément aussi partie de la solution.

Il est insensé qu’il n’y ait pas suffisamment de ressources pour eux non plus. Il est tout aussi insensé qu’il n’y ait toujours pas de ligne d’accueil et de référence 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 expressément pour eux, comme le recommande le rapport Rebâtir la confiance.

> Consultez le rapport Rebâtir la confiance 

En apprenant qu’un dixième féminicide était survenu, Sabrina Nadeau, directrice du réseau À cœur d’homme, a senti encore une fois une grande tristesse l’envahir. « On se dit : “Bon, encore une qui n’a pas pu avoir la protection qu’elle aurait dû avoir. Et encore un pour qui l’on n’a pas appuyé sur les sonnettes d’alarme.” Ça nous rentre dedans et ça nous démontre l’importance de faire une meilleure job encore pour répondre aux demandes d’aide et sauver des vies. »

PHOTO YAN DOUBLET, LE SOLEIL

Sabrina Nadeau, directrice du réseau À cœur d’homme, qui regroupe 31 organismes communautaires intervenant auprès de conjoints violents

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Ancienne procureure de la Couronne qui a travaillé auprès de victimes de violence conjugale à Québec, Sabrina Nadeau a un parcours pour le moins atypique. Il y a une vingtaine d’années, c’est en écoutant des victimes qui défilaient au palais de justice qu’elle a été sensibilisée aux problèmes de violence conjugale. Ces rencontres l’ont ébranlée.

Je voyais le ravage que ça faisait dans les familles. Les victimes arrivaient dans mon bureau et me disaient : “Moi, je ne veux pas que le père de mes enfants aille en prison. Je veux qu’il change.”

Sabrina Nadeau, directrice du réseau À cœur d’homme

Trop souvent, le système judiciaire peinait à répondre aux besoins des victimes. « Dans une bonne partie des cas, la réponse était inadéquate. Et je me disais : comment pourrait-on faire pour aller davantage à la source du problème ? »

C’est ainsi que la jeune procureure a découvert le Groupe d’aide aux personnes impulsives (GAPI). Elle s’est impliquée dans son conseil d’administration. Elle a côtoyé d’anciens participants qui lui racontaient leur histoire. Elle a constaté comment ils avaient réussi à s’en sortir. « J’ai vu comment cet organisme travaillait avec les hommes à les responsabiliser. Et je suis vraiment tombée en amour avec son approche. »

Après avoir abandonné son travail de procureure – dont la charge émotive lui apparaissait trop lourde – pour une carrière en communication, Sabrina Nadeau a continué à faire du bénévolat au GAPI. Puis, il y a deux ans, alors qu’elle est retournée à l’université pour suivre des cours en intervention, on lui a proposé de coanimer un groupe d’aide. « J’ai eu la piqûre ! »

En décembre 2020, lorsque s’est libéré le poste de directrice du réseau À cœur d’homme, qui regroupe 31 organismes communautaires intervenant auprès de conjoints violents, elle a tout naturellement sauté sur l’occasion. Une façon pour elle, qui a toujours eu à cœur de dénoncer et de prévenir la violence conjugale, de boucler la boucle.

Beaucoup ne comprenaient pas pourquoi j’étais allée travailler du côté des hommes plutôt que celui des femmes. Je pense que c’est parce que, comme femme, ça me permet une certaine distance.

Sabrina Nadeau, directrice du réseau À cœur d’homme

Selon elle, la solution ultime pour enrayer la violence conjugale passe par la prévention et la collaboration entre tous ceux qui luttent contre ce fléau, que ce soit en travaillant auprès des victimes ou des auteurs de violence, pour tisser un filet de sécurité au maillage bien serré.

La diffusion d’un premier Télédon au profit de la lutte contre la violence conjugale (le 23 avril à 20 h sur les ondes de MAtv) est un bel exemple de collaboration, souligne-t-elle. Tous les fonds amassés seront remis au réseau des centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) ainsi qu’au réseau À cœur d’homme.

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Loin de banaliser les comportements violents ou de les justifier, les programmes mis sur pied pour les auteurs de violence conjugale doivent offrir une possibilité de changement axée sur la responsabilisation, m’explique la directrice d’À cœur d’homme.

« On est persuadé que la violence est un comportement qui est appris, répété, transmis. Ce qu’on dit, c’est qu’il y a possibilité de changer, de décider. C’est un choix, la violence. Tu as la possibilité de décider que tu ne prends pas cette voie, que tu ne fais pas ce choix. »

Le système judiciaire, avec son approche punitive, a sa place. « Mais si l’on n’offre pas la chance de se réhabiliter et de changer son comportement, une fois la surveillance, la peine de prison et la probation terminées, on fait quoi ? Est-ce que, par magie, tout a disparu parce qu’un homme a été enfermé pendant six mois ? Non, le problème est encore là. »

Même si demain matin, on s’assurait que toutes les victimes de violence soient bien à l’abri et que tous les responsables soient punis, il resterait encore, si l’on ne fait rien de plus, des hommes ayant des comportements violents.

Malheureusement, les appels à l’aide surviennent souvent lorsqu’il est déjà trop tard. « On est dans le curatif. Selon nous, ce n’est pas la solution. La vraie solution, c’est de commencer à éduquer nos adolescents dès les premiers rapports amoureux à ce qui constitue des rapports égalitaires. Les libérer de la masculinité toxique. Idéalement, on agirait dès le primaire. Ça ferait simplement de meilleures personnes et de meilleurs citoyens. »

Vaste programme, certes. Mais plus urgent que jamais.

BESOIN D’AIDE ?

SOS violence conjugale : 1 800 363-9010, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7

CAVAC : 1 866 532-2822

> Consultez le site de SOS violence conjugale

> Consultez le site des CAVAC

> Consultez le site d’À cœur d’homme 

> Consultez le site de L’R des centres de femmes